La Haute autorité des médias et de l’audiovisuel (Hama) a présenté mardi le rapport d’évaluation de la mise en œuvre du cahier des charges de l’Office national des médias audiovisuels (Onama).  Les six évaluateurs de la Hama découvrent, au fil des entretiens avec les responsables à différents niveaux, les réalités de l’Onama.

Le premier constat est que l’imposante structure manque de ressources financières. Sur un budget de 14,7 milliards FCFA adopté par le Conseil d’administration pour l’exercice 2023, l’Onama s’est vu allouer par le ministère des Finances, 11 milliards FCFA, soit un gap de 3,7 milliards FCFA. Ce gap ne peut pas être comblé avec les recettes publicitaires de l’ordre de 200 à 300 millions FCFA par an.

Or, en plus des charges salariales et des indemnités de 3,4 milliards FCFA, il y a d’autres dépenses incompressibles dont la location du satellite, la maintenance et l’entretien du bâtiment qui engloutissent 6 milliards FCFA. C’est sur la marge restante que la Direction générale de l’Onama affirme assurer la marche quotidienne de la RNT, de la TVT et des 25 stations provinciales qui ont des budgets respectifs de fonctionnement de 12 à 15 millions FCFA, avec des difficultés de décaissement au niveau du trésor public.

Cette situation nuit aux activités de production et limite la création, induisant, selon la Direction générale, une constante rediffusion de vieilles émissions. Le monitoring des programmes de la TVT pour le mois de mai 2023, réalisé par les analystes et observateurs de la Hama, indique que les rediffusions occupent la première place dans le programme avec 19,62%. Le budget de la production de la TVT est de 800 millions FCFA. Pendant que dans les structures audiovisuelles hexagonales ou d’autres pays africains, le budget de la production est supérieur à la masse salariale. Comme la production de l’Onama, ses services d’information sont limités dans leurs activités. Les débats politiques ne sont plus quasiment organisés. Entretemps, les services de rédaction, à la radio comme à la télévision, se contentent eux-mêmes de couvertures factuelles d’événements, avec des comptes-rendus qui représentent près de 91% des genres rédactionnels pratiqués. Le temps occupé par les reportages est d’à peine 7%.

L’Onama est confronté aussi à un faible niveau de compétences de son personnel. Les 749 agents que compte I’Onama sont, de l’avis de son Directeur général, insuffisants, comparés à d’autres structures du genre en Afrique. Le problème du personnel, dont le mode de recrutement est essentiellement administratif, et son manque de qualification. Dans de nombreux services, sur un total de 60 à 100 personnes à peine 7 à 10 personnes sont pleinement utiles. Ce qui a amené le ministère de la Communication, qui assure la tutelle de l’Onama, à envisager un audit du personnel pour assainir la structure et recruter des personnes compétentes. L’Onama ne dispose pas non plus d’une politique de formation continue.

Avoir un personnel compétent est bon, mais l’accompagner d’un bon management est mieux pour régler entièrement la question vitale de la performance de l’Onama, face à la concurrence des médias audiovisuels privés, moins bien lotis. Les nominations des responsables de l’Onama sont décriées par l’ensemble du personnel, notamment par les deux syndicats qui affirment qu’elles n’obéissent pas aux plans de carrière et ne sont pas effectuées sur des bases objectives et professionnelles. Effectivement, depuis plusieurs années, même les nominations des directeurs ne requièrent pas l’avis préalable de la Hama, prévu par la loi.

Les services de production et de l’information sont confrontés à d’incessants problèmes de mobilité, à cause d’un parc automobile dégarni, qui assure très difficilement le transport du personnel et la couverture d’une vingtaine d’activités journalières. La caméra, un outil minimal mais fondamental pour toute activité audiovisuelle, manque. Chaque jour, il faut, pour les agents utilisateurs, s’assurer de disposer de l’un des dix appareils encore fonctionnels pour descendre sur le terrain. Des retards et des rendez-vous sont différés par manque de caméra. De nouvelles commandes seraient en route, a fait savoir la direction de l’institution. En attendant, il n’est pas encore prévu de stratégie ni de plan de renouvellement des équipements et d’approvisionnement de l’Onama.

Si les évaluateurs de la Hama se sont intéressés au fonctionnement interne, c’est qu’il impacte directement la mise en œuvre du cahier des charges de l’Office, qui est le principal objet de cette évaluation, Cela rappelle l’Onama à ses obligations en tant que média de service public. L’un des points essentiels prévus par le cahier des charges est l’accès de toutes les composantes de la société, de toutes les sensibilités et opinions aux services de l’Onama.

Si la Direction générale de l’Onama estime appliquer son cahier des charges à 80%, des acteurs politiques et ceux de la société le démentent vigoureusement, allant jusqu’à affirmer que l’accès de l’Onama est hermétique et que se portes ne sont amplement ouvertes qu’au Mouvement patriotique du Salut (MPS) et les dirigeants du pays. Le monitoring des programmes du mois de mal 2023 nuance ces affirmations.

D’après ce monitoring, le MPS est en tête au temps de diffusion, avec 30,1%, suivi de l’UNDR, avec 8,46%. Mais de nombreux autres partis, dont l’URD, accèdent aussi à cette diffusion, à un taux de plus de 6%. La société civile, dont l’union des Syndicats du Tchad (UST) accède à la télévision avec 32,58% de temps de diffusion. D’autres ont bien davantage accès à la RNT, mais la plupart des associations des droits de l’Homme ne figurent pas parmi elles.

Les évaluateurs ont pu constater que l’Onama est sélectif dans le traitement de l’information. Certains sujets dits sensibles relatifs aux conflits intercommunautaires ou aux manifestations sont totalement ignorés par les deux organes de l’Onama, dont les responsables disent attendre, souvent, l’autorisation des supérieurs avant d’en parler. Quelques-uns disent avoir eu des injonctions relatives au traitement de certains sujets d’actualité, mais leurs responsables rejettent ces déclarations.

Dans tous les cas, les journalistes de l’Onama pratiquent, soit consciemment, soit inconsciemment, l’autocensure. Le regard que jettent la plupart des acteurs politiques et la société civile sur l’Onama est assez négatif. Ils ne le considèrent que comme un instrument au service du régime en place. Effectivement, pour permettre à l’Onama de connaître précisément l’accueil que lui réserve son public, la Hama a sollicité une agence pour réaliser une enquête d’audience. Contrairement aux idées reçues dans divers milieux, l’audience de l’Onama est au-dessus de la moyenne. La TVT est suivie par 56,57% des personnes enquêtées, et la RNT par 55,09%. Les raisons qu’elles invoquent, c’est qu’elles cherchent à se cultiver, à s’informer et à se divertir. Les auditeurs et téléspectateurs qui se détournent de l’Onama se justifient par une abondance de propagande politique, un manque d’attractivité des programmes, une partialité politique et géographique, etc.

En terme d’audience, la TVT (256 sollicitations sur 1.000) arrive après Canal+ (381), Sahara TV (391), Electron TV (423) et France 24 (583). Pour regagner les faveurs de ses auditeurs et téléspectateurs, l’Onama devra tenir compte de leurs recommandations, notamment d’observer la neutralité politique, de recourir à des journalistes compétents, de concevoir un programme attractif et de couvrir, en particulier par la radio, tout le territoire national. Ils rejoignent en cela les principaux points du cahier des charges.