Par essence, au XIIème siècle, le mot Excellence dérivait du verbe latin excellere qui signifie “dépasser, être supérieur, éminent”. D’où, plus tard, d’emprunt italien, Excellentia donna sens à “supériorité, excellence”. Elle était d’origine ecclésiastique, une formule de politesse employée pour s’adresser aux Evêques et archaïques. Protocolairement, le mot s’écrit toujours avec un grand E, c’est-à-dire un E majuscule, pour exprimer une haute qualification honorifique, une dignité supérieure à laquelle a droit une personnalité dans l’ordre politique international ou sur l’échiquier politique national. D’après Pradier FODERE, il fut employé pour la première fois envers un ambassadeur étranger par le roi Henri IV de France au XVIème siècle.

L’avis des écoles doctrinales

Juridiquement, le prédicat honorifique d’Excellence ne trouve aucun ancrage dans la Convention de Vienne de 1963. Il relève plutôt d’un usage pour intégrer la coutume universelle et le lexique diplomatique pour s’appliquer, à l’oral et à l’écrit, à certains « hauts dignitaires d’un Etat » dont « son usage est réservé strictement aux personnalités étrangères » (Hassana DJIDDA, p. 8, 2023), tels les Chefs d’Etat et de gouvernement ou assimilés, ministres, ambassadeurs et nonces.

Si le Protocole demeure évolutif, sujet de son époque, sa pratique diffère d’un Etat à un autre. Comme disait Blaise Pascal : « vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Pour éviter la singularité de la pensée, il importe d’extérioriser la curiosité humaine à cerner l’autre avec son vécu ; sans jugement de valeur. Se plante alors le décorum à connaitre et comprendre les avis divergents des écoles sur l’usage du prédicat honorifique et de civilité “Excellence”. Elles sont nombreuses qui servent de référence en matière de pratiques protocolaires. Afin de faciliter la compréhension et limiter la recherche, il importe de cerner l’usage coutumier qui fonde le protocole de chancellerie des Etats anglo-saxons, du Commonwealth et francophones.

Ecole du Commonwealth et anglo-saxonne

Pour les Etats du Commonwealth dont le roi Charles III est reconnu comme le Chef de l’Etat, l’usage du prédicat honorifique d’Excellence varie du protocole national de chaque Etat. Généralement, ce prédicat est attribué aux représentants du monarque anglais, les Chefs d’Etat et gouverneurs généraux, les premiers ministres et ambassadeurs étrangers. Quant aux ambassadeurs, communément appelés Hauts Commissaires, ils portent le titre d’Honorable.

Au Canada, suivant un formalisme rigoureux, le titre honorifique d’Excellence est réservé exclusivement pendant la durée de son mandat à la gouverneure générale ou le gouverneur général ainsi qu’à son conjoint ou sa conjointe. De même, par courtoisie, ont droit les Chefs d’Etat ou de gouvernement et les ambassadeurs étrangers accrédités.

Par ailleurs, même si le prédicat d’Excellence n’est usité aux Etats-Unis d’Amérique aux autorités nationales, quelques autorités nationales tels les gouverneurs des Etats fédérés (Pennsylvanie, Caroline du Nord, Caroline du sud et Virginie) ont droit au traitement selon l’usage local. Il s’emploie, par contre, pour s’adresser aux Chefs d’Etat ou de gouvernement, ministres et ambassadeurs étrangers ainsi qu’aux Secrétaires Généraux de l’ONU, de l’OEA et autres représentants des organisations internationales. Ainsi, toute personnalité ayant eu droit du prédicat d’Excellence, le conserve sa vie durant.

Ecole française

D’emblée, l’école française demeure unanime sur l’usage du prédicat honorifique d’Excellence qui n’existe point dans le protocole national. Pour Jacques GANDOUIN dans Guide du protocole et des usages (1993), le terme d’Excellence est réservé aux ambassadeurs et ministres étrangers et utilisé au traitement et non dans la formule d’appel (p. 108 et 121). Pour d’autres à l’exemple de PANCRACIO et GUIGNARD dans Protocole et Cérémonial (2012), avec une vue large, soutiennent l’idée qu’« il n’y a d’Excellences qu’étrangères » (p. 134). Alors tout comme pour Jean SERRES, dans Manuel pratique de Protocole (2010), il est de droit d’accorder, par courtoisie le titre d’Excellence, aux « hauts personnages politiques étrangers » et aux « chefs de missions diplomatiques accrédités en France, s’ils sont Ambassadeurs » ; « même dans les pays où il ne fait pas partie des appellations officielles » (p. 226). Donc, le Protocole français proscrit l’emploi du titre d’Excellence en faveur des autorités nationales par les citoyens français à l’exemple du Président de la République, du Premier-ministre, des Présidents des assemblées, des membres du gouvernement, des ambassadeurs de France et autres administrateurs civils. Pour les ambassadeurs français, le titre d’Excellence est uniquement employé dans la suscription des enveloppes, tranchait Jacques GANDOUIN.

Qui est “Excellence” au Tchad ?

Les mauvaises habitudes du fait d’un silence complice et de l’abus langagier ont rendu incongrue toute notion de civilité liée à la bienséance et aux honneurs. Pour obtenir un bol de riz ou se faire pistonner pour un poste, on se met à encenser toute autorité d’Excellence. De prime abord, la Loi est muette sur l’usage. A fortiori, s’impose, ici, la pratique usuelle des coutumes universellement applicables. Le Tchad comme certains Etats africains francophones et anciennes colonies françaises, après son indépendance, avait calquée son Administration sur celle de la France. Après truchement, comme le Protocole s’avère le metteur en scène de l’ordre dans la République, l’usage officiel des rituels cérémonieux au Tchad ne se distingue guère de la pratique commune du Protocole diplomatique, « baromètre des relations internationales » (ROOSEN cité par T. BALZACQ et al, p. 133, 2018).

En effet, étant un Etat, partie prenante des Conventions de Vienne et héritière des us et coutumes relatifs aux pratiques diplomatiques, le titre d’Excellence est accordé aux personnalités étrangères (Chefs d’Etat et de gouvernement, Secrétaires Généraux des organisations internationales, ministres, ambassadeurs et nonces). Dans le style diplomatique relevant purement du protocole épistolaire, le titre d’excellence s’emploie au traitement, à la réclame et à l’inscription à l’adresse de ces personnalités étrangères. Par exemple, on dit dans la conversation, les plénipotentiaires accrédités sont appelés “madame ou monsieur l’Ambassadeur” et “Votre Excellence” au traitement. Mais au niveau national, seul le Président de la République auprès de qui sont accrédités les plénipotentiaires étrangers et les représentants des organisations internationales, et par droit constitutionnel le Chef par essence de la diplomatie tchadienne, a droit au prédicat honorifique d’Excellence. Au demeurant, l’estime suprême, le haut degré de perfection dans la République revient, de facto, au Président de la République. Comme ce prédicat honorifique est attaché à la fonction et non à la personne, quand cette fonction cesse, il redevient Monsieur le Président.

En sus du Président de la République, sur le plan diplomatique, il est d’usage de donner au Ministre des Affaires étrangères le traitement d’Excellence, si le destinataire de la dépêche ou correspondance est du personnel de la diplomatie (même un ambassadeur étranger).

Alors prenons garde de nommer épistolairement, tout compatriote député, conseiller, ambassadeur, chargé d’affaires, consul général ainsi que ministre, ambassadeur dignitaire ou gouverneur, “Excellence”. En dehors de son titre de fonction, il est juste par courtoisie madame ou monsieur. Que cesse l’usage sans commune mesure, à la fois encenseur et flagorneur d’appeler tout détenteur du pouvoir politique et militaire “Excellence”. Sans le savoir par ce ravissement exquis, se crée une fierté déplacée qui pousseraient les uns à être aux oiseaux comme disent les québécois. Bien dommage que la belle raison soit corrompue pour tout corrompre, pour paraphraser Montaigne. Donc ne bombons pas nos torses par des titres vains dont point de mérite.

HASSANA DJIDDA ABDOULAYE, diplomate et auteur

Dernier ouvrage “Le Protocole au Tchad et les usages diplomatiques” (éditions SAO, 2023)