Pour lutter contre le chômage des jeunes, Mahamat Zène Ali Mahamat Zène, diplômé en Finances publique et en Management, propose à l’Etat d’insérer la culture entrepreneuriale dans le programme scolaire. Ce qui favorisera le développement de l’économie.
De nos jours, le chômage des jeunes devient une préoccupation majeure. Selon Ecosit 3, le chômage est estimé à 22%. Quant au sous-emploi, il est estimé à 35% de la population active occupée. A cela, s’ajoute une forte croissance démographique, estimée à 3,6%/an. Cette forte croissance démographique entraîne en effet, une forte progression de jeunes à la recherche d’emploi. Ainsi, chaque année, environ 170.000 jeunes en âge de travailler arrivent sur le marché du travail. Et quand bien même que l’Etat soit le plus grand pourvoyeur d’emploi, il ne peut néanmoins à lui seul résorber le chômage. A cet égard, n’est-il pas judicieux d’orienter les jeunes vers les initiatives entrepreneuriales ? comment s’y prendre ?
En effet, il est important et même impératif d’orienter les jeunes vers l’entrepreneuriat. Il faut noter que l’émergence du secteur privé constitue une opportunité de création d’emplois et de croissance. Et selon la formule célèbre d’Adam Smith, dans son livre intitulé La richesse des nations, la recherche par les hommes de leur intérêt personnel mène à la réalisation de l’intérêt général. Cela suppose que le privé joue un rôle capital dans le développement d’une nation. Ainsi, l’encouragement des initiatives privées notamment dans le domaine de l’entrepreneuriat constitue un facteur de développement socio-économique.
Il faut cependant noter que les Tchadiens n’ont pas la culture d’entreprendre ; ce qui est une dimension culturelle pour nous en tant qu’ancienne colonie française : on a tendance à croire que ce sont ceux qui travaillent dans l’administration publique qui ont réussi dans leur vie. De ce fait, la plupart des jeunes sont attirées par l’intégration à la Fonction publique ou une institution étatique, paraétatique ou privée. Rares sont ceux qui aspirent à créer leurs propres entreprises alors qu’il est possible de créer une entreprise et s’épanouir, et ce, même sans diplôme. On peut certes connaître des débuts difficiles en entreprenant mais grâce à la détermination et bien sûr, avec des objectifs clairs, on pourra réaliser nos projets. Le Tchad regorge de beaucoup de potentialités dont les jeunes peuvent exploiter en créant des entreprises dans de domaines aussi variés. S’il faut parler du fait que les jeunes tchadiens n’ont pas le réflexe d’entreprendre, il faut aussi reconnaître que cela est dû, en partie, à l’absence d’une communication de long en large non seulement sur les avantages de l’entrepreneuriat mais aussi sur le fait qu’on peut entreprendre, même avec zéro franc car l’idée est déjà un capital. Il convient de relever aussi que le système éducatif tchadien est moins orienté vers l’entrepreneuriat. Ce qui ne favorise ni l’épanouissement des jeunes ni la lutte contre le chômage.
Mais il n’est tout d’abord pas superflu de faire un bref aperçu sur le cadre institutionnel. Sur le plan international, le Tchad est membre de plusieurs organisations, entre autres : la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports (CONFEJES), le Mouvement panafricain de la Jeunesse (MPJ), la Charte africaine de la Jeunesse (CAJ), le Plan d’action mondial pour la Jeunesse (PAMJ), etc. Au niveau national, des institutions telles que l’Office national de la Jeunesse et des Sports (ONAJES), le Fonds national d’appui à la Formation professionnelle (FONAP), le Programme d’appui à la Finance Inclusive au Tchad (PAFIT), etc. appuient les initiatives entrepreneuriales. A cela s’ajoute, la création des structures telles que le fonds alternatif de soutien à l’entreprenariat et au commerce. Aujourd’hui, il y a un ministère en charge de l’entreprenariat. Cependant, l’Etat n’a pas mis en place tous les mécanismes facilitant l’installation des nouveaux entrepreneurs. Le constat est que de jeunes créent parfois leurs entreprises mais ces derniers font face à des difficultés comme les charges du personnel, l’acquittement des taxes, le paiement du loyer, … Cet état des choses conduit inéluctablement à la fermeture de ces entreprises et constitue donc un manque à gagner pour l’Etat notamment en termes de perception des impôts. Ces jeunes entrepreneurs se voient ainsi découragés et ce découragement n’incite pas les autres jeunes à créer leurs entreprises.
Quelques actions menées en faveur des jeunes méritent quand même d’être saluées. En effet, l’organisation à N’Djamena, des assises comme le Forum sur l’Emploi en 2010, le Forum panafricain de la jeunesse en 2017 et les différentes éditions de « Tchad Talents » sont à saluer et à encourager. Ces initiatives constituent une opportunité pour valoriser le capital humain des jeunes afin de les aider à mieux entreprendre mais aussi pour édifier l’Etat tchadien dans sa quête permanente de lutte contre le chômage. Une autre initiative de grande envergure a vu le jour en 2012 avec la réalisation du Projet Best Business Plan qui a permis le financement de 121 jeunes diplômés dans les techniques de création d’entreprise. Une autre action tendant à encourager les initiatives entrepreneuriales est celle de l’Institut supérieur de Commerce d’Administration des Affaires et de Management (ISCAM) qui exige aux étudiants en fin de 1er cycle de rédiger un mémoire sous forme de Business Plan ou plan des affaires. Le cas du Centre technique d’Apprentissage et de Perfectionnement (CTAP) qui contribue, entre autres, à l’auto-emploi des jeunes, mérite aussi d’être apprécié. Les actions qu’entreprend la Chambre de Commerce, d’Industrie, d’Agriculture, des Mines et de l’Artisanat (CCIAMA), l’Agence Nationale des Investissements et des Exportations (ANIE), la Maison de la Petite Entreprise (MPE), le Conseil National de la Jeunesse Tchadienne (CNJT) et le Conseil National Consultatif des Jeunes (CNCJ) sont à saluer. Aussi, des plateformes comme wenakLabs, Chad innovation, … jouent leur partition.
Il y a lieu de relever que la population tchadienne est extrêmement jeune. En effet, selon le Plan National de Développement (PND) 2017-2021, 51% de la population a moins de 15 ans ; ce qui est un point fort qui mérite d’être exploité. Ainsi, en vue de favoriser l’épanouissement de la jeunesse et permettre au secteur privé de jouer son rôle de porteur de croissance, d’emplois et de la richesse, il convient de mener les actions qui suivent. En effet, la première action à mener consiste à sensibiliser les jeunes sur les avantages de l’entrepreneuriat. Et cette sensibilisation se fera notamment par le biais de la création de sites web, l’organisation des émissions Radio et TV. Ensuite, il paraît important d’introduire l’entrepreneuriat dans le système éducatif.
D’autres actions pourraient contribuer à l’atteinte de cet objectif : un plus grand soutien aux initiatives entrepreneuriales, la recherche de financements plus diversifiés au profit des jeunes entrepreneurs, la mise en place de partenariats solides avec le pool bancaire et certaines Organisations Non Gouvernementales (ONG) vers plus de financements au profit des jeunes entrepreneurs, l’encadrement des jeunes grâce à l’appui des partenaires techniques et financiers. Il est aussi d’une importance capitale que l’Etat mette l’accent sur la micro finance pour favoriser l’entrepreneuriat car le développement de la micro finance constitue non seulement une source de mobilisation de fonds mais aussi un instrument de lutte contre la pauvreté. S’agissant du soutien aux initiatives entrepreneuriales, il serait également intéressant d’accorder des exonérations spécifiques aux entrepreneurs. Par exemple, instituer la taxe zéro pour les cinq (5) premières années en vue de permettre l’installation des nouveaux entrepreneurs. Aujourd’hui, des institutions et même de particuliers financent les initiatives entrepreneuriales : ce sont des opportunités à saisir. L’exemple du milliardaire nigérian Tony O. Elemulu, entrepreneur et philanthrope avec un ambitieux programme de développement de l’Afrique à travers l’entrepreneuriat est une énorme opportunité à exploiter. Il parait aussi important de faire la promotion du leadership dans le milieu de la jeunesse. L’on devrait utiliser régulièrement, dans les médias et même afficher dans certains lieux publics, des slogans comme Jeunesse : fer de lance de la Nation, Jeunesse : avenir de demain, … La vision de la Maison de la Petite Entreprise « La lutte contre le chômage passe par la promotion et par l’accompagnement à la création et au développement d’entreprises » mérite d’être vulgarisée.
Pour encourager les initiatives entrepreneuriales, il faudrait aussi décerner de prix, de distinctions aux réussites dans le domaine de l’entrepreneuriat. Il paraît aussi opportun d’identifier les catégories de jeunes qui nécessitent un soutien immédiat comme le cas des brevetés des lycées et collèges techniques industriels qui méritent un accompagnement en vue de leur permettre de créer leurs propres entreprises. De même, il paraît important de valoriser la place du ministère en charge des petits métiers en vue d’une plus grande efficacité. L’Etat devrait également réfléchir sur la création d’une chaîne de télévision à l’image de la Chaîne de télévision ivoirienne Business 24 qui est consacrée aux sujets tels que les investissements, la croissance, les projets économiques, les entreprises, les managers, les entrepreneurs, etc. Ce projet pourrait être réalisé par le biais d’un partenariat avec le privé et dont la chaîne en question sera dédiée, entre autres, à l’encouragement des initiatives entrepreneuriales. Aussi, l’Etat pourrait envisager, toujours par le biais de partenariats, la création d’un périodique dédié à la proposition d’idées tendant à développer les entreprises, à l’image du célèbre magasine français, l’entreprise, du groupe l’Express. A travers ce périodique, il serait également plus facile d’orienter les jeunes vers des domaines qui apportent de la valeur ajoutée notamment la création et le développement de startups car l’importance de l’économie numérique n’est plus à démontrer aujourd’hui.
Par ailleurs, il paraît judicieux de sensibiliser les jeunes sur les conséquences et le danger que représente le phénomène migratoire. Il est indéniable que si ces jeunes à la recherche d’emploi, parfois désœuvrés, ne voient pas de perspectives dans le pays, ces derniers pourraient même être tentés par la traversée des déserts ou océans. Le cas de la grogne récente des demandeurs d’emploi qui menaçaient de quitter le pays devrait nous conduire à une relecture des perspectives d’emplois. Ainsi, il faudrait non seulement continuer la réflexion sur la création d’emplois mais aussi orienter les jeunes vers les initiatives entrepreneuriales.
Un accent particulier devrait être mis sur la jeunesse rurale tchadienne quant à l’encouragement des initiatives entrepreneuriales par le biais du financement et de la sensibilisation. L’Etat devrait ainsi améliorer les conditions du monde rural pour encourager les jeunes à y rester en mettant à leur disposition de structures appropriées mais aussi en leur octroyant de microcrédits (adaptés au monde rural), rendant par conséquent, les centres ruraux plus attractifs. Ces entreprises créées par les jeunes ruraux auront, sans aucun doute, d’impacts sociaux, à travers la création des activités génératrices de revenus. Ces actions ainsi menées pourraient pallier en partie au problème d’exode rural des jeunes qui prend de proportions inquiétantes ces dernières années.
Par ailleurs, il n’est pas sans objet de s’inspirer de l’expérience des pays qui ont, entre autres, misé sur l’entrepreneuriat, pour favoriser le développement économique et social. A ce niveau, les progrès enregistrés par le Togo sont à féliciter et explorer. En effet, 12.592 entreprises ont été créées en 2020 au Togo. En 2021, rien que pour 1er trimestre, 4.087 entreprises ont été créées (dont 1104 par les femmes). Ceci revient à dire qu’on devrait œuvrer davantage sur tous les aspects liés à la création d’entreprise.
Ces différentes démarches sont d’une importance capitale car une politique orientée vers l’entrepreneuriat réduit considérablement le chômage des jeunes et offre d’opportunités prometteuses d’investissement. Et si ces initiatives venaient à être prises, cela aura sans nul doute, un impact sur la croissance de l’économie tchadienne.
Pour finir, il est important pour le Tchad de poursuivre la réflexion sur les stratégies liées au développement de l’entrepreneuriat. Ceci est crucial si l’on veut valoriser l’entrepreneuriat au Tchad en vue de favoriser le développement économique et social.