Les magistrats sont en grève depuis le 21 juin 2023 à l’appel de leurs deux organisations syndicales que sont le SMT et le SYAMAT.

Ils revendiquent la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, composé uniquement des magistrats dans le cadre de l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie, la dotation des chefs des juridictions en moyens roulants et de tous les magistrats en armes de poing.

Faute pour le gouvernement d’avoir satisfait leurs revendications, la grève se poursuit, paralysant ainsi gravement le fonctionnement de l’appareil judiciaire durant plus d’un mois.

Récemment, cette grève a pris l’allure d’un bras de fer avec la décision du Premier ministre ayant mis en place une commission interministérielle pour « contrôler les dossiers administratifs des magistrats ». Ceux-ci y voient une manœuvre destinée à casser la dynamique de leurs revendications et ont durci le ton. En face, le gouvernement, porté par le ministre de la Justice, demande aux magistrats de regagner leurs postes et menace de couper leurs salaires en cas de refus. Dans la foulée, un groupe de magistrats se réclamant d’un comité ad hoc fait une sortie médiatique en présence des proches collaborateurs du ministre de la Justice pour se désolidariser de leurs collègues et désavouer leurs syndicats tout en appelant à la reprise.

Il faut remonter à l’année dernière pour trouver les raisons qui motivent la grève des magistrats. Le 4 novembre 2022, le gouvernement et les organisations syndicales des magistrats signent un protocole d’accord prévoyant la revalorisation des indemnités des magistrats et le rehaussement de leurs points d’indice dans les meilleurs délais. Mais le gouvernement n’a pas tenu parole. S’il a fallu un débrayage pour que la revalorisation des indemnités soit actée, celui-ci n’a jamais honoré son engagement en ce qui concerne le point relatif au rehaussement des points d’indice.

Bien avant la signature du protocole d’accord, les recommandations faites à l’issue du DNIS début octobre 2022 sont favorables à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour réaffirmer son indépendance. Les recommandations du DNIS évoquent également l’amélioration des conditions de travail des magistrats, la cessation des immixtions des membres du gouvernement et autres personnalités politiques et militaires dans le cours des affaires judiciaires, etc.

Mais le constat est que la partie gouvernementale ne fait pas assez pour mettre en œuvre les recommandations du DNIS.

Sur le contrôle des dossiers administratifs des magistrats, ceux-ci estiment qu’il ne revient pas au Premier ministre d’en prendre l’initiative. Selon eux, les magistrats sont juridiquement placés sous l’autorité du Président du Conseil supérieur de la magistrature, qui est le Président de la République, seul à même de prendre une telle décision. En plus, disent les syndicats, les magistrats sont nommés dans les juridictions par décret du chef de l’État et non par arrêté du Premier ministre. Un haut cadre du ministère de la Justice a fait une confidence sur le sujet en ces termes : « Le contrôle des dossiers administratifs des magistrats est une patate chaude que le ministre de la Justice et son collègue de la Fonction publique ont filée au Premier ministre, qui n’en a pas moins l’habilitation et qui n’en a pas mesuré les enjeux. Le véritable problème est que les personnes irrégulièrement recrutées dans la magistrature sont en grande partie des arabophones. L’entreprise du Premier ministre est hautement politique et risquée parce qu’elle recoupe avec le bilinguisme, qui sera bientôt invoqué pour stopper ce contrôle. Avez-vous vu le contrôle des agents de l’État aboutir un jour ? Cela ne veut pas dire que les magistrats ne doivent pas être contrôlés, non. Il y a trop d’intrus dans leurs rangs qu’il faut nécessairement dégager car leur conduite impacte la qualité et l’image de la justice. Mais il faut que le contrôle soit mûri et se fasse conformement à la loi et relève des intentions sérieuses et saines. Ce qui n’est le cas dans le contexte actuel de la grève. Je peux parier que si les magistrats reprennent le travail, ce contrôle va être abandonné. Ce qui donne raison aux syndicats qui disent qu’il s’agit d’une décision subversive. »