A N’Djamena, les tout-petits sont les plus touchés par la crise nutritionnelle. Par jour, le centre nutritionnel thérapeutique de l’hôpital de l’amitié Tchad-Chine enregistre plus de 80 enfants malnutris depuis mi-février.

Fonte musculaire et graisseuse, chevelure décolorée et cassante, Ahmat admis depuis le 31 mai, est emmené ce jour à la phase 2 des soins intensifs au centre nutritionnel de l’hôpital de l’amitié Tchad-Chine dans le 8e arrondissement de N’Djamena. ’’Cet enfant que vous voyez souffre de malnutrition aiguë sévère avec complications médicales. Il a été admis à la réanimation où nous l’avons intubée avant de regagner les soins intensifs’’, explique le responsable dudit centre, Ousmane en touchant le patient.

Malgré ces soins, ce bébé d’environ 5 mois présente un déficit pondéral selon les explications du responsable du centre nutritionnel. ’’Son poids reste –3 z scores à la médiane. Après les soins intensifs, On l’emmènera dans la salle ’’bébé’’ où il bénéficiera du lait enrichi. La dernière étape est la salle de transition. Là-bas on le testera avec du plumpy net’’, explique-t-il.  

Dans cette unité nutritionnelle thérapeutique (UNT), réservée aux soins et traitements des cas de malnutrition aiguë sévère, les enfants de moins de 6 mois, se battent nuit et jour pour garder le souffle. Ils sont atteints de malnutrition aiguë sévère, avec complications médicales (diarrhée, infections respiratoires, anémie, troubles métaboliques et autres), le stade le plus grave de la maladie. ’’La plupart des cas sont ceux à l’état avancé qu’on nous emmène ici, ou nos UNT nous contactent et on part à leur recherche avec nos ambulances’’.

Plus de 80 enfants admis par jour

Seulement dans la journée du mercredi 15 juin, le centre nutritionnel a enregistré 82 patients, tous des enfants malnutris, sur son tableau affiché à l’entrée. Un nombre qui ne cesse de grimper depuis le mois de mars où il tournait autour de 40 par jour. Une situation qui a poussé la structure à élargir ses locaux. ’’ Comme nous recevons beaucoup de patients, nous étions obligé de transformer une salle de gymnastique en une salle de soin, c’est la salle de transition’’, indique Ousmane. De même, le centre a augmenté le nombre du personnel soignant et des lits pour recevoir les patients. ’’Au début, nous avions 40 lits et on avait 14 médecins assistants nutritionnels. Au fur et à mesure que le nombre des patients augmentait nous avions demandé 40 autres lits et ajouté d’autres assistants nutritionnels. “Arrivé vers mi-avril et début mai, le nombre des patients ne fait qu’augmenter. J’ai rédigé une note pour demander une augmentation des infrastructures et le personnel, et ceci étant il va falloir revoir notre budget. La coordination a demandé une aide pour contenir les patients’’, indique Ousmane.  

’’Généralement en ce moment, nous recevons moins de 80 cas. Parce que nous avons une capacité de 80 lits. Mais nous avons remarqué qu’à partir du mois de mars (2022), on recevait plus que ce que nous attendions. En principe on est au-delà de 80 cas quand nous arrivons à la période de soudure qui commence au mois de juin. Le taux d’occupation de lit était au-delà de 100%, ce qui n’est pas normal en ce moment’’, explique docteur Claude Kiangala, chef de mission à l’ONG Alima.

De nombreuses causes

Les causes de cette crise nutritionnelle sont multiples. Elles sont, entre autres, l’insuffisance pluviométrique de l’année 2021, l’arrêt des importations des céréales causé par la guerre entre l’Ukraine et la Russie, la crise du pouvoir d’achat, la période de soudure. A cela, le chef de l’UNT indique que cette malnutrition est causée par les mamans. ’’De fois les mamans font le sevrage brutal car elles se disent qu’elles ne mangent pas bien, ou qu’elles n’ont pas du bon lait naturel. Et cela joue sur l’enfant’’.

En début du mois de mai, l’ONG Alima et l’Alerte santé ont lancé un cri d’alerte au gouvernement. Car ’’le phénomène que nous remarquons n’est pas habituel. Il doit y avoir un problème’’, indique docteur Claude Kiangala, chef de mission à l’ONG Alima. Le 1er juin, le gouvernement du Tchad  a déclaré l’urgence alimentaire et nutritionnelle suite à la « détérioration constante de la situation alimentaire et nutritionnelle relevée cette année et compte tenu du risque grandissant que les populations encourent si aucune assistance humanitaire comprenant une aide alimentaire et autres activités de relèvement et de renforcement des moyens d’existence et de la nutrition n’est apportée ».

Que signifie l’appel du gouvernement ? Le docteur Claude Kiangala, chef de mission à l’ONG Alima explique que cet appel ’’veut dire qu’on est dépassé par rapport à ce que nous faisons. Avec nos moyens habituels, on ne parvient pas à faire face à ce problème. Il faut qu’il y ait des soutiens extérieurs, des ONG et autres’’.  

La situation au-dessus du seuil fixé par l’OMS

Selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) au Tchad, la malnutrition demeure un problème majeur de santé publique au Tchad. L’insécurité nutritionnelle reste l’une des principales causes de mortalité et de morbidité, particulièrement chez les enfants de moins de cinq ans. Les résultats de la dernière enquête nutritionnelle effectuée par la FAO en (septembre 2019) révèlent au plan national une prévalence de la malnutrition aiguë sévère (MAG) de 12,9%, soit au-dessus du seuil d’alerte de 10% fixé par l’OMS. Environ 360 205 enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition aiguë sévère au Tchad.

Du côté du gouvernement, un rapport montre que le taux de la mortalité infantile est de 78% de naissances vivantes et la mortalité infanto-juvénile à 122% de naissances vivantes.  ’’En matière de santé mère-enfant, le Tchad est loin, très loin d’atteindre les objectifs du développement durable en 2030’’, a indiqué le ministre en charge de la Santé publique, Dr Abdel-madjid Abderahim lors du forum national sur le dialogue organisé par le ministère de la santé publique et de la solidarité nationale sur la mortalité maternelle, néonatale et infantile.