Pour se faire fortune, Tog a fui son village pour la capitale. A N’Djamena, ses rêves se sont transformés en utopie. Et sa vie a basculé le jour où il a été accosté par deux trafiquants des personnes. Voici son récit. 

Les représailles. C’est dans ce bar en plein cœur de N’Djamena que Tog, nous reçoit.  A notre arrivée, la vingtaine discute avec un homme qui semble bien être son nouveau patron. Illico, le natif de la province du Mandoul, sud du Tchad, nous installe au fond de ce lieu où il office comme servant–gérant. Après avoir répondu à un appel, celui-ci tient à dissimuler son identité pour sa sécurité et se confie à nous : « c’était au mois de septembre. En ce temps, je travaillais dans un autre bar loin d’ici » commence-t-il d’une voix rauque.  

Ce jour, Tog s’en souvient encore. Deux de ses clients lui demandent de leur trouver dix jeunes en bonne santé disposés à aller travailler dans un chantier au nord. A leur requête, le gérant du lieu rétorque avec un oui. Au fil des discussions, les deux parties tombent d’accord. Le deal est scellé. Une somme de 42 000 francs est versée au jeune polygame. Un montant pour payer le transport de quatre de ses frères au village prêts à rallier le nord. A la veille du départ, Tog touche la dernière partie de l’argent :150 000 milles francs CFA. Le lendemain matin, les six bras valides qu’il a copté sur place à N’Djamena débarquent à la gare. Les deux hommes sont présents. Au moment de monter à bord du bus, la Police fait irruption sur le lieu. De l’incompréhension de la foule, les forces de l’ordre appréhendent les deux hommes et le reste du groupe.

“Honnêtement, j’ai peur que ces personnes me tuent”

Tog

Dans les murs de la Coordination de la Police judiciaire, Tog passe à l’aveu. Il dit aux enquêteurs avoir tout planifié.  Que c’est son idée de faire démanteler ce réseau de trafiquants.  Une version de fait que confirme par dame Monique, la femme qui l’a aidé a alerté la Police.  Les deux hommes piégés sont arrêtés. Après quatre jours de détention pour nécessité d’enquête, Tog est libéré. Ses bourreaux sont auditionnés et l’affaire transférée au parquet. Aujourd’hui, le jeune homme vague à ses occupations mais avec la peur au ventre. On lui a fait savoir que les deux personnes qu’il a fait tomber en disgrâce sont libres. « Honnêtement, j’ai peur que ces personnes me tuent. Je voudrais fuir pour le village, mais je n’ai rien pour payer mon déplacement actuellement », confie-il. « Je ne regrette pas mon acte. Si je n’avais pas agi ainsi, j’allais encore perdre mes frère », dit-il d’une mine serrée.

Comme la plupart des jeunes, Tog a quitté sa terre natale de Koko en 2015 pour la ville en quête d’une vie meilleure. Il a d’abord commencé par vendre des cigarettes avant finir servant dans un bar. Au bout de cinq son rêve de faire fortune en ville se transformé en utopie.  « Moi, j’ai bien fait de ne pas suivre mes frères dans la zone d’orpaillage. Sinon, j’allais laisser ma peau comme deux de mes cousins », déclare-t-il d’un ton triste.  

Depuis l’explosion de l’exploitation aurifère de manière artisanale dans le Sahara-Sahel en 2012, des milliers de jeunes tchadiens issus principalement de la province du Mandoul sont déportés en masse sur le site de Kouri Bougoudi. Une localité située à 17 kilomètres de la frontière libyenne et très hostile au groupe rebelle. Selon les estimations officielles, c’est environ 40 000 orpailleurs qui opèrent dans cette zone à 1 000 kilomètres la capitale, N’Djamena.  

“Moi, j’ai bien fait de ne pas suivre mes frères dans la zone d’orpaillage”

Tog

En début de l’année, le réseau des associations du Mandoul avait haussé le ton pour alerter sur la migration des jeunes vers cette zone aurifère. De nos jours, le réseau estime que plus de 5 000 bras valides principalement du Mandoul ont été déportés grâce à de multiples réseaux dans l’extrême-nord du Tchad.  “La plupart a été dupée par un proche avant d’être vendu comme un bétail à environ 10 grammes d’or, soit 250 000 francs CFA“, soutient le coordonnateur du réseau, Delaville Djimyabaye.  En dénonçant la complicité des agences de voyage, les autorités traditionnelles, les investisseurs, Delaville Djimyabaye reproche à l’Etat et la communauté internationale d’être insensible face à ces violences des droits de l’humains.  Le réseau des associations du Mandoul avait tiré la sonnette d’alarme suit à la publication des vidéos sur les réseaux sociaux. Des séquences vidéo qui montrent des personnes ligotées, torturées par leurs bourreaux. Ces images qualifiées d’humiliantes, de dégradantes et d’atteinte à la dignité des personnes ont provoqué l’indignation des Tchadiens.  

Aujourd’hui, l’Organisation internationale (OIM) estime que des milliers de ces personnes auraient besoin d’une aide humanitaire d’urgence. Une assistance évaluée à 6 millions francs CFA. Cette aide sera destinée aux orpailleurs évacués vers Zouarké, Wour, Zouar, Faya.  Ils sont plus de 3 200 dont 172 enfants à être bloqués selon les chiffres l’organisation.  Ces personnes sont évacuées dans quatre localités par les autorités tchadiennes à la suite de l’éclatement d’un conflit meurtrier entre les orpailleurs sur le site de Kouri Bougoudi le 23 et 24 mai. Ces affrontements ont fait beaucoup de morts.