Précurseur de la philosophie moderne africaine, le Professeur Paulin Houtondji[1] aura consacré plus de cinq décennies de sa vie au service de l’immatériel, la pensée et le savoir endogène.
Penseur humaniste, il s’est distingué par sa philosophie de l’inclusivité. Il révolutionne la philosophie africaine par sa critique acerbe sur la construction d’un savoir caricatural dont les hypothèses sont consolidées sur des présupposés essentiellement généralistes, dans une Afrique récemment indépendante dans les années 1960.
Il fustige les méthodologies de collectes et d’analyses de certains chercheurs occidentaux et africains de son époque[2]. Il développe une pensée critique dont le fil conducteur aura permis de déconstruire le discours colonial ayant la prétention de réhabiliter la philosophie africaine. Cette prétendue philosophie africaine ventée par certains penseurs coloniaux, n’est ni purement philosophique au sens strict, ni purement ethnologique, mais de l’ethnophilosophie.
Pour le Professeur Paulin Houtondji “L’ethnophilosophie expose objectivement les croyances, les mythes, les rituels, puis brusquement, cet exposé objectif se mue en profession de foi métaphysique, sans se soucier ni de réfuter la philosophie occidentale, ni de fonder en raison son adhésion à la pensée africaine. De la sorte l’ethnophilosophie trahit à la fois l’ethnologie et la philosophie”.[3]
Il a le mérite d’avoir balisé la pensée philosophique africaine en dénonçant l’imposture méthodologique de certains penseurs. Une déconstruction du discours colonial réducteur, assimilant l’ethnologie à la philosophie africaine en faisant référence aux travaux sur la philosophie bantoue[4]. Il prône la nécessité de reconnaitre les particularismes africains comme des identités authentiques et des richesses.
Il revendique une philosophie africaine, à partir de la conception de cadres théoriques et de savoirs endogènes spécifiques et propres à l’Afrique, par la nécessité de se réapproprier des savoirs traditionnels dans une dynamique de transmission et la rigueur méthodologique.
Le Professeur Paulin Houtondji, suggère dans son œuvre, le retour aux sources endogènes car les savoirs ancestraux africains n’ont pas été suffisamment exploités, en faisant référence aux sciences médicinales.
Son œuvre a contribué à une critique de l’universalisme classique excluant les diversités culturelles. Il défend une approche futuriste et dynamique de l’universel constructiviste, qu’il oppose à l’universalisme européanisé.
Sa conception de l’universel suppose l’égalité des peuples et non une standardisation euro-centrique des valeurs européennes. Une construction commune de l’universel sur la base de l’égalité et non de l’exclusion des peuples endogènes.
Aux nouvelles générations de chercheuses et chercheurs africain(e)s et diasporiques, il lègue sa philosophie de la transmission. Une philosophie du passage, qui nécessite le partage des savoirs, des connaissances à partir de la reconnaissance de la dignité humaine. Ainsi, dans cet humanisme global, l’Afrique contribuera à l’universalité par une valorisation de son identité et de son héritage immatériel millénaire.
Jean-Marc Segoun,
Docteur en science politique
Université Paris Nanterre.
[1] HOUNTONDJI, Paulin, philosophe béninois né en 1942, est l’un des pères fondateurs de la philosophie africaine moderne.
[2] Présence africaine, 1949, 7 : Témoignages sur La Philosophie bantoue du Père Tempels. Alioune Diop (1949) l’a lue ainsi. Ainsi l’ont lue les philosophes et intellectuels anticolonialistes ou tiers-mondistes tels que Gaston Bachelard, Albert Camus, Louis Lavelle, Gabriel Marcel, Chombard de Lauwe, Jean Wahl et d’autres encore, sollicités par Alioune Diop pour donner leur appréciation sur le livre, dans un numéro spécial de Présence africaine.
[3] HOUNTONDJI, Paulin J., Sur la « philosophie africaine » : critique de l’ethnophilosophie. Paris : François Maspero, 1977.
[4] TEMPELS, Placide, 1949a La Philosophie bantoue. Paris, Présence africaine [1re éd. : Élisabethville, Lovania, 1945].