Toutes proportions gardées, nous tentons, en 3 volets, de savoir ce que valent les Tchadiens nés entre 1980 et 1995. S’ils peuvent, à l’image de leurs semblables dans le monde, modifier la société dans laquelle ils vivent. Notre second volet raconte une triste réalité : une démographie avantageuse fait face à l’illettrisme, à l’argent facile et à l’oisiveté.

Les Millennials représentent près d’un tiers de la population tchadienne. Par truchement, il est aisé de dire que c’est la force vive du pays : sur les 5 845 646 personnes âgées de plus de 20 ans (en âge de travailler), 3 859 055 (66%) sont des GenY. Il va s’en dire que les Millennials ont le poids démographique nécessaire pour influer dans la vie sociale, économique et politique du Tchad.

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Cette prédominance démographique est-elle un atout pour cette population ? « A quoi ça sert d’être les plus nombreux si nous ne sommes que 20% de lettrés, avec une formation digne de ce nom ? 20% ne pourront jamais changer 80%, ou alors il faudra beaucoup de temps » affirme sur un ton découragé une jeune juriste – elle même tchadienne. Elle évoque à juste titre la formation (académique ou professionelle)… Est-ce là que réside le problème des 80-95 tchadiens ? Il est claire que la plupart est formé au Tchad avec à la base un bac à rabais. Seuls les mieux encadrés, les plus intelligents, les plus assidues ou les plus besogneux s’armeront pour obtenir des diplômes dignes de ce nom. Pour le reste, ils grossiront les rangs des pseudos « intellectuels » tchadiens. Avec les carences que l’on connait dans notre administration publique. Si changement il doit y avoir, il faut qu’il s’amorce dés les bancs de l’école.

Des apparatchiks en devenir

Un autre son de cloche retentit lorsqu’on évoque le poids Millennials. « Il y a une nuée de trentenaires qui thésaurisent des sommes d’argent faramineuses. C’est quasi les plus riches du Tchad depuis quelques années » m’assure Ousmane, fonctionnaire au ministère des Finances. Mais c’est là que réside l’incapacité à saisir la quintessence de mon approche sur le poids et l’apport sociétale de la GenY tchadienne. A l’instar d’Ousmane, on confond trop souvent réussite entrepreneuriale, sociale, capacité d’influence et inspiration avec l’accumulation d’argent. Le déficit de repère réside dans cet amalgame. Comprenons-nous, l’idée que je souhaite développer, c’est qu’il y a une énorme différence entre un trafiquant de drogue et un startuper à succès. Entre un corrompu de la fonction publique et un brillant haut fonctionnaire. La question est donc : dans un pays occupant régulièrement les dernières places dans les classements tels que le « Doing business », les plus jeunes pourront-ils changer la donne ou se fondront-ils dans la masse pour perpétuer les habitudes qui font du Tchad la risée du monde dans beaucoup de domaines ? En d’autres termes, promouvrons-nous l’enrichissement improductif ou la valeur travail ? La glande ou le volontarisme ?

 

Apparatchik

 

Certains assurent que ces jeunes loups (ceux qui thésaurisent) seront pires que leurs ainés, car bénéficiant de formations plus pointues, de connaissances digitales poussées et de réseaux internationaux plus faciles à construire aujourd’hui qu’hier. Un observateur avisé de la société tchadienne assure sans ambages : « Ils seront pires. Les détournements et les montages douteux se feront à plus grande échelle et sur des sommes plus importantes. Si l’on devait imager ce qui se fait aujourd’hui à ce qui se fera dans les années à venir, la délinquance en col blanc passera d’un traitement manuel à une gestion mécanisée. Même si l’on dit qu’il n’y a plus d’argent au Tchad, ils trouveront les moyens de tirer un intérêt personnel. Nous aurons une nouvelle classe sociale de jeunes multimillionnaires à l’image des apparatchiks russes des années 1990. Ceux-là même qui ont démantelé les entreprises d’Etat pour pouvoir les revendre ou s’en accaparer à vil prix ». Voilà qui augure des années encore plus dures pour le Tchad…

Dans mon souci de corroborer ces affirmations, j’ai cherché des informations officielles sur les Millennials occupant des postes à responsabilité dans les ministères et/ou sociétés d’Etat. Mais malheureusement pour moi (et vous mes lecteurs), c’est l’omerta totale. A croire que le fait de demander l’âge, le parcours académique et l’expérience professionnelle d’une personne est synonyme de vouloir percer un secret-défense. Cette méfiance  vis-à-vis de l’information au sens large m’intrigue…

La valeur travail

Dans un autre ordre d’idée, il y a ceux qui souhaitent voir éclore des Millennials qui vont inspirer leurs coreligionnaires pour un Tchad débarrassé de ses turpitudes vénales. Gagner de l’argent (et parfois même beaucoup d’argent) est la finalité de toute œuvre entrepreneuriale, d’une carrière de salarié ou de fonctionnaire. Mais qu’en est-il de la forme ? Je ne rentrerai pas dans cette rhétorique simplicité et binaire qui consiste à séparer le Tchad en honnêtes et malhonnêtes citoyens. En plus dans un pays où on marche sur la tête, ces notions sont plus que relatives…

Non, je veux parler de deux idées qui ont fait leur preuve. Le travail et l’inspiration qui sont des élements essentiels dans la réussite des « Y ». Ces deux concepts sont pourtant battus en brèche dans le Tchad d’aujourd’hui : le travail est renvoyé à sa portion la plus congrue et la seule inspiration qu’ont les plus jeunes sont des exemples peu éloquents par rapport à la thèse que je soutiens. Et pourtant, les Millennials possèdent tous les atouts pour être des figures de proue pour un changement radical. Ils ont, comme précisé plus haut, le poids démographique nécessaire pour impulser une nouvelle vision, ils maîtrisent des outils qui ont une force de résonnance internationale et ils possèdent des armes (numériques et intellectuelles) pour s’imposer face à la vielle école et aux « apparatchiks » de leur âge. La recette de la réussite par le travail est limpide, mais compliquée à appliquer. Car elle nécessite de la discipline, de la patience, de l’endurance, du courage et de l’humilité. C’est peut-être ce qui rebutera les enfants de l’instantanéité que sont les “Y” tchadiens. Des exemples de personnes qui créent de la richesse et qui pourraient inspirer les plus jeunes ne manquent pas. « Mais ces femmes et ces hommes qui se battent tous les jours on les prend pour des cons. Pourtant ce sont eux les seuls à produire dans ce pays » s’offusque un fonctionnaire d’une quarantaine d’années au physique éreinté croisé à l’entrée du Palais de la Nation de Gassi, siège de l’Assemblée nationale. Il résume parfaitement la situation. Alors que sous d’autres cieux, les travailleurs du quotidien sont les cibles privilégiés des politiciens pour leurs desseins électoraux, ici ils sont ignorés. Ils ne seront par conséquent jamais mis en avant pour créer des émules.

Le coup de boutoir sur les espoirs de changement qu’apporteraient les Millennials est asséné par Ali. Pour ce Tchadien étudiant en France, « les 80-95 n’apporteront rien. Ils n’ont pas cette culture du travail comme ceux des autres pays, ce qui hypothèque tout changement de la situation du pays». Il prend sa personne et son parcours en exemple : « Le Tchad ne m’a pas appris à travailler, il m’a  appris à dormir et m’a préparé à la facilité. C’est le cas de presque tous les 80-95. Certains vont construire leur propre destin. La majorité est oisive. »

La GenY tchadienne est-elle donc perdue, vouée à l’échec alors que dans le monde entier les Millennials et leur enthousiasme sont des réponses tangibles à des économies au ralenti ? Si tel est le cas, ce serait encore une singularité tchadienne. Une anomalie de plus.

Pour conclure notre mini-dossier sur les Millennials made in Chad, je vous présenterai ce mercredi une brochette de GenY inspirante qui peut, si on lui entrouvre la porte, modifier de fond en comble notre contexte de travail.

Chérif ADOUDOU ARTINE

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