Le ministre des Hydrocarbures et de l’Energie, Djerassem Le Bemadjiel  a dressé, aux conseillers nationaux, la chronologie des faits qui ont poussé le gouvernement tchadien à prendre la décision, « qui semble à vue d’œil être forte mais absolument nécessaire pour le pays ».

En 1988 (Ndlr, le 19 décembre 1988), EssoExxonMobil fait partie du consortium qui a bénéficié d’exploration et d’exploitation du pétrole dans le bassin de Doba, au sud du pays. Le 10 mai 2004, il y a une modification de cette convention. « Et durant les 25 ans de sa présence, le Tchad n’a aucun problème avec Esso – ExxonMobil. Mais ce que nous avons déploré, c’est la manière où cette cession a été faite », indique le ministre Djerassem Le Bémadjiel.

En effet, le 17 décembre 2022, la Présidente-Directrice Générale d’Esso Tchad, a envoyé une lettre au ministre du Pétrole d’antan pour lui signifier son désir de quitter le Tchad et de céder sa part à une société britannique, notamment Savannah. « Dans ce cas de figure, le Tchad n’a pas d’objection à faire car pour les grandes compagnies, lorsque le niveau de production atteint un certain seuil, elles préfèrent plutôt partir car économiquement, ce n’est pas rentable pour elles. La production de Doba est passée de 250 mille barils à 31 mille barils à peu près. Dans les 31 mille barils, Esso n’a que 10 mille barils par jour et c’est ce qui a motivé le départ d’Esso. Et dans ce cas de figure, ce sont des petites compagnies qu’on appelle junior qui reprennent les actifs pour continuer la production », explique l’ingénieur aux manettes du ministère des Hydrocarbures. Et de qualifier même le départ d’Esso de « tardif ».

Il poursuit que le ministre a posé deux questions à la PDG d’Esso Tchad demandant d’avoir les éléments pouvant permettre d’apprécier la capacité technique et financière de la société Savannah. « Il n’y a pas une réponse convaincante venant d’Esso. Le monde pétrolier étant trop petit, après recherche, Savannah n’a jamais opéré un champ pétrolier. Ils ont un bloc pétrolier au Niger et actionnaire dans un petit champ gazier au Nigéria mais ne sont pas opérateurs. Le ministre n’a donc pas donné son avis favorable », explique le ministre.

Et d’indiquer qu’après un mois de prise de service, il n’a aucune nouvelle d’Esso Tchad mais a appris que cette dernière a procédé au transfert des données techniques et financières concernant les actifs de Komé et de pipeline à Savannah Energy. « Le 4 avril, nous avons envoyé une lettre à Esso Tchad leur demandant de suspendre tout processus de transfert avec Savannah car le gouvernement n’a pas donné son accord. Esso a dit prendre acte et que les employés de Savannah à Komé et de COTCO se sont retirés et le processus arrêté pour attendre l’approbation du gouvernement », informe Djerassem Le Bémadjiel.

L’exigence des garanties par le gouvernement et le refus d’Esso Tchad

Les membres du gouvernement de poursuivre qu’en juin 2022, Esso Tchad a programmé un conseil d’administration pour coopter les représentants de Savannah Energy dans les deux sociétés de pipeline qui sont COTCO et TOTCO. « Nous avons encore écrit pour demander l’annulation de ce conseil d’administration car le gouvernement n’a pas encore approuvé le processus. Et jusqu’à l’heure où je vous parle, la lettre demandant la suspension de la transition entre Esso Tchad et Savannah Energy n’a jamais été annulée », fait-il savoir.

En date du 4 décembre 2022, selon le ministre des Hydrocarbures et de l’Energie, la PDG d’Esso Tchad a été convoquée par le secrétaire général de la Présidence pour lui faire savoir qu’ils ne sont pas d’accord sur le solde de tout compte. « Nous acceptons le solde de tout compte mais la seule condition, nous ne voulons pas de Savannah parce qu’elle n’a pas la capacité technique de reprendre vos actifs et d’opérer comme vous. Trouver n’importe quelle société qui a votre gabarit et nous approuverons la transaction. A notre grande surprise, le 9 décembre, la PDG et quelques employés étrangers qui étaient encore au Tchad ont quitté le pays et c’est de l’étranger qu’on nous a informé par mail que désormais Esso a conclu toutes les cessions de leurs actifs à Savannah Energy dans le projet Doba aussi bien que dans le projet pipeline et que l’interlocuteur est à compter de la date, la société Savannah Energy », rapporte Djerassem Le Bémadjiel.

Dans la perspective de faciliter l’installation de la société de transport, le Tchad a octroyé le 10 juillet 1998, une convention d’établissement à la société de transport d’hydrocarbures par l’oléoduc Tchad Oil Company (TOTCO), dont il est actionnaire. Dans le consortium, le groupe de la société de transport Esso – ExxonMobil a joué un rôle central dans le secteur, en sa qualité d’opérateur des champs pétroliers historiques de Doba et l’oléoduc utilisé par l’intégralité des opérateurs pétroliers au Tchad, pour exporter leur production.

« Malgré sa position dominante dans le consortium, le groupe Esso – ExxonMobil a fait part, au gouvernement en 2021, de son intention de céder Esso Exploration and Production Chad Inc. ainsi qu’Esso Pipeline Investments Limited, la société actionnaire de TOTCO, à une société acquéreuse anglaise du nom Savannah Energy Chad Limited », explique Djerassem Le Bémadjiel, le début du processus qui, aujourd’hui, est devenu le problème actuel de nationalisation.

Selon les ministres, en réaction à la lettre d’Esso, le gouvernement a évoqué les conditions préalables liées aux capacités techniques et financières d’un éventuel acquéreur prévues dans les conventions d’établissement de TOTCO. « Mais sans respect de ces conditions préalables, Esso – ExxonMobil et Savannah ont procédé à l’opération de cession des actifs d’Esso Tchad. C’est ainsi que Savannah a saisi le gouvernement pour lui annoncer avoir prétendument réalisé l’acquisition des actifs au Tchad d’Esso – ExxonMobil Chad », informe le ministre des Hydrocarbures et de l’Energie.

Manque de considération à l’endroit de l’Etat tchadien

Pour les ministres présents, en agissant ainsi, Savannah, de concert avec Esso – ExxonMobil, n’a pas seulement bafoué les prérogatives de l’Etat mais a aussi sciemment violé le droit de préemption dont bénéficiait la Société des Hydrocarbures du Tchad (SHT), au titre de ses accords commerciaux avec Esso Exploration and production Chad Inc.

« Au-delà de cet acte considéré inacceptable par le gouvernement, Savannah et Esso – ExxonMobil ont posé des actes qui font peser des menaces graves et immédiates sur l’ordre public tchadien ainsi que sur l’intégralité des acteurs de ce secteur économique crucial pour la stabilité et le développement du Tchad, qui dépendent tous des services de l’oléoduc. Dans une telle situation, le gouvernement tchadien n’a pas d’autres choix que de prendre une décision forte pour garantir la souveraineté, la sécurité et l’intérêt général de notre pays », fait-il comprendre ce qui a poussé l’Etat à prendre la décision.

Et de rappeler que dans l’histoire du secteur pétrolier tchadien, il y a eu beaucoup de cessions entre différentes sociétés et rien qu’en 2022, il y a eu trois demandes de cessions dont deux ont été approuvées. Et de citer les exemples tels que Glencore avec Perenco, United Hydrocarbone avec CGI, Encana avec CNPCIC. Et de s’interroger pourquoi ces cessions n’ont pas posé de problème mais celle entre Esso – ExxonMobil et Savannah ?