Daoussa Deby, grand-frère du défunt maréchal du Tchad, ancien ambassadeur et ancien ministre, actuel président du groupe SNER, a accordé un entretien à Tchadinfos. Il s’est exprimé à cœur ouvert sur son parcours, son passage au sein du gouvernement, l’avenir du Tchad, etc.

Les Tchadiens connaissent, Daoussa Deby Itno, comme un homme politique, un homme d’affaires. Si on vous pose la question de savoir concrètement, qui est Daoussa Deby Itno, que diriez-vous ?

Si les Tchadiens me connaissent en qualité d’homme politique, je ne suis pas tout à fait d’accord parce que je ne crois pas, ce n’est pas du tout ma vocation et je ne me considère pas comme un homme politique.

Si je suis un homme politique, vous serez au courant parce que vous me verrez assez souvent dans les différentes antennes de communication. Bientôt, j’ai presque 40 ans d’expérience dans la Fonction publique au service de notre pays. Vous m’avez vu très rarement intervenir en homme politique.  Non plus, je ne me reconnais pas comme un homme d’affaires. Peut-être que je me reconnais en gestionnaire. Je me reconnais en un ingénieur de construction civile pour mon pays.  J’ai exercé depuis plus de quatre décennies, la majeure partie de mon temps, je l’ai exercé au service de notre pays dans le domaine de la construction et d’ingénierie.  Je pense que c’est un tort si on me qualifie d’un homme politique ou homme d’affaires.

En politique, c’est peut-être par accident de parcours. J’ai fais partie de l’action du 1er avril 1989, et également dans la même poursuite, je suis un membre fondateur du Mouvement Patriotique du Salut (MPS).

Sur ce plan, c’est un parcours que je qualifie de tout à fait accidentel, je n’ai jamais choisi la voie politique pour m’exprimer.  J’ai choisi d’être un ingénieur, j’ai poursuivi mes études d’ingénieur et j’ai travaillé dans notre pays en tant qu’ingénieur.

Sans me glorifier en tant qu’ingénieur de mes exploits, je défie quiconque, quels ingénieurs qui ait fait ce que j’ai fais ? Je vous cite quelques exemples, je suis le seul ingénieur qui ai fait à pied, au sud : Maro, Sarh, Koumra, Doba, Moundou, Kelo, Pala, Léré, jusqu’à la frontière camerounaise.

Également en 1987, à la demande du Président Hissène Habré, j’ai fais à pied, à l’extrême nord : Zouar, Bardaï, Zoumri, Yebbissoma, Yebi et Miski. Parce qu’il y avait une forte présence de l’armée tchadienne à Bardaï. A l’époque, c’était en pleine guerre sous le bombardement de l’agression libyenne qui a posé des mines sur les routes d’accès et nos troupes ont été  totalement bloquées. J’étais donc appelé en rescousse pour ouvrir un nouveau chemin pour désenclaver et ouvrir une route à nos forces qui sont bloquées. Je l’ai fais avec beaucoup de plaisir. Je l’ai fais à pied, cette distance.

 Aujourd’hui, quelqu’un qui prend cette route retrouvera mes empreintes indélébiles. A l’époque, avant mon passage, aucune communication avec un poids lourd n’était possible. C’est moi qui ai ouvert ce qu’on appelle ‘’Gorge de Dinguire’’ à côté du trou au natron.  J’ai mis presqu’une semaine pour l’ouvrir pour faire passer du gros-porteur. Je me reconnais en tant qu’ingénieur.

C’est vrai, depuis 32 ans de pouvoir du MPS, je reconnais avoir servi deux postes importants, comme ambassadeur du Tchad en Libye et également ministre des Postes et des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. Je n’ai jamais demandé. J’ai été appelé en mission et je crois que je l’ai fais avec beaucoup de responsabilités. Donc, je ne sais pas au Tchad, qu’est-ce qu’on appelle un homme politique. Je ne suis pas un homme politique, je suis un technicien chevronné de mon pays. J’ai marqué mon passage partout en tant que technicien. Les affaires je n’ai jamais fais. Je suis un gestionnaire.

 Je suis un ancien de l’Ecole nationale de travaux publics, de bâtiments et de l’urbanisme de N’Djaména. Je suis allé poursuivre le second cycle de mes études supérieures à l’École nationale d’Ingénieurs de Bamako au Mali.  J’ai fini en 1983. Quand je suis rentré au pays, j’ai été nommé directeur général de l’Office national de route. En étant directeur général de l’Office national de route, les malheureux événements du 1er avril ont éclaté et j’ai choisi de faire partie de ceux qui ont battu en retraite à partir de N’Djaména vers l’Est du pays. C’était un accident de parcours, parce que je sais que si j’étais resté, ceux qui ont choisi de rester ont payé de leur vie. C’est comme cela que j’ai suivi mon petit frère Idriss Deby et je suis revenu avec lui en 1990.  Voilà le parcours de maquis que j’ai fais, forcé de faire d’ailleurs.

Vous faites partie de ceux qui ont pris les armes pour renverser le régime de Hissène Habré. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à prendre les armes ?

Vous savez, les rébellions au Tchad ont éclaté depuis 1965. Je n’ai jamais été partisan des rébellions. J’étais toujours un légaliste, mais le 1er avril 1989, c’est un accident de parcours, c’est aussi des contraintes exogènes qui m’ont contraint à suivre mon frère dans sa retraite. Mais, je n’ai pas suivi cette retraite pour le pouvoir ou bien par amour. Je n’ai jamais aimé la rébellion, je suis contre jusqu’à présent.

Pouvez-vous nous parler du climat des affaires au Tchad ?

Au Tchad, le climat des affaire est très dégueulasse. C’est très dégueulasse, je suis même révolté. Le climat des affaires est très mauvais, ce climat est marqué par des situations graves qui ne respectent aucune norme de gestion.  C’est la course effrénée au gain facile. Comme ça, notre pays n’ira pas loin.

Quand vous étiez Ministre des Postes et des télécommunications, les gens ont parlé d’une privatisation de la Sotel-Tchad. Par la suite, vous avez laissé tomber ce projet. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

La Sotel-Tchad est une mine d’or du fait de son statut de l’entreprise publique. Une entreprise publique ne marchera jamais. Quand j’ai été nommé ministre des Postes, des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, j’ai compris que le Tchad a un avenir très important dans la télécommunication.

Vous savez le Tchad est au cœur de l’Afrique, je dirais même que c’est le cœur du globe terrestre. Nous sommes un hub très bien indiqué, c’est le bon Dieu qui nous a donné cette position stratégique. Qu’il faut profiter et jouer sa mission de hub dans l’avenir du pays. Ayant perçu cela, j’ai pensé que cette entreprise moribonde constamment sous perfusion, on va la sortir de là, aller vers la privatisation pour son développement et son rayonnement.

Ce n’est pas que j’aime privatiser ! Non ! Une entreprise d’Etat, je vous dis et je dis à qui veut entendre n’a jamais d’avenir. Regardez toutes ces entreprises Airtel et Tigo sont venues après Sotel-Tchad. Celles-là sont où ? Et Sotel-Tchad est où ? Aujourd’hui, elle bat de l’aile pour payer le salaire de son personnel.

 Si on privatise Sotel-Tchad, elle va occuper une place stratégique dans notre système de télécommunication. Parce que la gestion du privé est d’abord en privé ; il va créer d’emploi, la richesse. Il va verser des impôts au trésor public.

Vous savez, un Etat est actionnaire virtuel à toute entreprise privée parce que 35 % du bénéfice d’une entreprise doit aller au trésor public. Le résultat obtenu et on partage aux actionnaires sous forme de dividende encore, l’Etat intervient, il vous prend 20 % donc dans le bénéfice de n’importe quelle entreprise privée l’état est actionnaire direct de 55 % du bénéfice. L’Etat n’a pas besoin de se casser, de trainer des entreprises moribondes. Il privatise, et il devient l’actionnaire virtuel dans toutes les entreprises privées.

La politique de privatisation nous a été imposée au Tchad par les institutions de Bretton Woods. On avait directement de financement pour faire décoller la Sotel-Tchad. Ça été pratiquement politisé, j’ai dis qui vivra verra. Nous allons voir si Sotel-Tchad publique vivra. Je dis aujourd’hui tout haut Sotel-Tchad publique ne vivra jamais.

Vous savez on a donné la retombée de la fibre optique à la Sotel-Tchad. Mais on aurait dû donné cet argent au trésor public. On donne à la Sotel-Tchad pour payer le salaire des gens qui ne produisent rien. C’est l’Etat qui est le plus perdant.

 J’ai voulu privatiser Sotel-Tchad, dans l’intérêt bien compris du Tchad. D’ailleurs, dans le même ordre d’idée j’ai vu qu’il était nécessaire de passer notre poste à la banque postale. Si on passait à la banque postale ça allait être la plus grande de la place. Parce que déjà les infrastructures postales sont partout à l’intérieur du pays de Mbaïbokoum à Bardaï. D’où la banque postale peut couvrir l’ensemble du territoire tchadien. Le monde entier est passé de la banque classique que nous connaissons à la banque postale. J’espère que ceux qui m’ont succédé vont donner aux Tchadiens cette possibilité qui va être au service du Tchad profond.

Je me suis battu pour faire passer à l’Assemblée nationale plusieurs textes et projets de loi, et actuellement, pratiquement dans le secteur de télécommunication tous les textes sont déjà en place, il suffit de les appliquer et respecter.

Donner la Sotel-Tchad à un franc symbolique à un opérateur, le Tchad aura beaucoup plus d’intérêt, même les employés auront beaucoup plus d’intérêts que la situation actuelle qui n’a pas de rendement.

Retracez-nous brièvement votre parcours comme membre du gouvernement ?

J’étais dans mon bureau, je reçois un appel du feu Premier ministre, Joseph Djimrangar Dadnadji, qui me demande de passer le voir à son cabinet.  Il m’informe qu’il a les instructions du chef de l’État pour que je fasse partie de son équipe. J’ai décliné. Je lui ai dit monsieur le Premier ministre, je ne suis pas demandeur. On se sépare dos à dos.

J’ai quitté la primature, je venais à mon bureau, en cours de route, je reçois un coup de fil du chef de l’État, pour me dire : “J’ai déjà signé le décret en te nommant ministre des Postes, des Nouvelles Technologies et de la Communication. Et le Premier ministre m’a rendu compte de votre entretien”. De toutes les manières, le décret étant signé, que si je veux, je présente ma démission. Pour éviter de faire un tel scandale, j’ai accepté de faire partie du gouvernement de Dadnadji.

Très sincèrement, je considère que j’étais en mission et je n’ai pas regretté mon passage au niveau du ministère des Postes, des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. La plupart du personnel que j’ai côtoyé est actuellement là et je suis très honoré. J’ai utilisé à bon escient toute l’équipe.

 Vous savez, on dit il n’y a pas un mauvais soldat mais un mauvais chef. Moi je considère qu’il n’y a pas un mauvais technicien, c’est le chef qui utilise mal ses techniciens. Ces techniciens que j’ai côtoyés, je les ai trouvé très compétents, très bien formés, ils m’ont accompagné dans ma politique et plus que n’importe quel ministère en un temps record nous avons fait passer tous les projets de loi qui structurent le secteur.

Nous avons inscrit dans notre priorité la connexion à fibre optique à l’Est au Port-Soudan aux câbles marins. Ensuite, on est également connecté vers la façade Atlantique par Kribi. Actuellement, d’autres efforts sont en cours pour nous connecter par l’Algérie, le Nigeria et la Libye.

Nous sommes arrivés à mettre en place l’Ecole nationale supérieure des technologies de l’information et de la communication (Enastic), nous avons mené des réformes au niveau de l’Agence de développement des technologies de l’information et de la communication (Adetic), au niveau de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), au niveau de l’Agence nationale de la sécurité informatique et de la certification électronique (Ansice)… toutes les structures nécessaires pour que le secteur de télécommunication prenne de l’envol, je crois nous avons installé et j’en suis fier.

Après je suis parti, tout à fait logique, c’est normal mais le temps que j’ai passé, trois ans ou un peu plus, je crois avoir fait ce qu’on doit faire. Aujourd’hui, je crois dans tous nos immeubles des ministères, le seul équipé d’un ascenseur c’est le ministère des Postes.

Je me réjouis d’avoir fais mon passage dans un département clé. Je considère que le ministère des postes est plus important que le ministère du pétrole. Il a des ressources intarissables pour notre pays.

D’un seul coup le Tchad est entré dans une phase de transition. Comment appréciez-vous la conduite de la transition par la junte au pouvoir ?

Pour moi, cette transition qui est intervenue après le décès tragique du Président de la République, pareil cas pour beaucoup de pays tourne en catastrophe. J’ai fais partie de l’équipe qui a tout mis en œuvre pour que le pays ne dérape.

En tant que grand-frère, père de famille, j’ai reçu le corps de mon petit frère, j’ai aidé notre armée pour apporter ma part de contribution pour maintenir l’ordre. Toutes ces 30 années d’efforts, il ne faut pas les perdre. J’ai tout fais pour sauver. La mort est tout à fait naturelle, m’importe quel homme va mourir. Le président est mort et il faut sauver le pays, c’est ce qui a été fait d’urgence dans les 24 heures qui ont suivi le décès du président.

Les forces de défense et de sécurité ont choisi la voie du conseil militaire de transition et donc ils ont mis en place, ils ont projeté au cours de cette transition un projet de dialogue national. Actuellement, nous sommes presque à 14 mois après la mise en place de cette transition. Je me réjouis quand même, depuis lors notre pays n’a pas dérapé dans l’inconnu. Tout le monde a compris la situation, l’opinion nationale a bien compris la situation et l’opinion internationale nous a soutenu pour éviter le dérapage. Jusqu’à présent, en dehors de turbulences que nous avons enregistrées çà et là, des conflits communautaires dans les différentes régions de notre pays, je pense que l’essentiel a été sauvegardé.

La transition continue son bonhomme de chemin, nous attendons la fin de négociations au niveau de Doha. Et après, on va rentrer dans le dialogue politique. Et maintenant, tout dépendra de la prise de conscience des uns et des autres, la responsabilité de la classe politique nationale pour que dans le même ordre d’idée que nous sauvions notre pays.

Notre situation à mon avis demeure toujours fragile, il faut la participation de tout le monde pour que le Tchad sorte de dialogue politique grandi. Il faut que ce dialogue accouche un éléphant et non une souris.

Je profite de votre micro pour appeler tout les Tchadiens à prendre conscience, d’aimer leur pays pour que tous ensemble… Surtout nos enfants, la jeunesse tchadienne, nous sommes une génération finie, notre avenir est derrière nous. Mais, notre jeunesse, nos progénitures c’est pour vous, il faut sauver la face. Que notre pays sorte grandi du dialogue national inclusif qui est en vue.

Je me rappelle très bien, nous nous sommes battus comme des taureaux à la conférence nationale souveraine mais ça été très difficile. Il y a des combattants du MPS qui ont craqué dans la salle, et qui ont rendu l’âme, parce que c’était très dur. Quoi qu’on fasse, ce dialogue n’atteindra pas le niveau de la conférence nationale souveraine. Je souhaite vivement un succès à ce projet de dialogue national inclusif.

Qu’est-ce que vous retenez de votre frère Deby ?

Que son âme repose en paix ! Chaque être humain est mortel. L’immortalité appartient à Dieu, nous allons tous le suivre. Que le bon Dieu l’accueille dans son vaste paradis. Mon frère nous a honorés. Je suis très fier de mon frère. Vous vous rappelez pendant la campagne qu’il a menée dans le Tchad profond, il a dit qu’il préfère mourir en soldat avec son arme à la main au milieu de ses soldats. Exactement, ce qu’il a demandé, il a trouvé.  C’est une mort très honorable. Moi, son grand frère, je souhaite mourir dans les mêmes conditions que lui. Je le respecte, non seulement moi, tous les hommes honnêtes le respectent, le monde entier le respecte. Il est mort en un homme d’Etat à la défense de sa patrie, beaucoup de ses frères lui ont succédé, nous avons perdu beaucoup de frères dans les différentes guerres que le pays a traversé pratiquement dans les mêmes conditions. Nous, sa famille, puisqu’on va tous mourir, il vaut mourir dans les mêmes conditions que lui. Il a prononcé le ‘’chahada’’ il est inhumé auprès de son père. Il est unique et restera unique.

Pour revenir un peu en arrière, comment ont été vos moments dans la rébellion ?

C’était un moment très difficile. Nous avons quitté N’Djaména le 1er avril 1989. Arrivé jusqu’à Hadjer Marfaïne, où on a perdu notre frère Hassan Djamous, nous avons fait face à sept combats meurtriers, mais grâce à Dieu on a surmonté. Nous avons marché plusieurs jours, sans manger ni boire de l’eau. Nous avons surmonté plusieurs situations.

Personnellement, le fait que j’ai exercé comme ingénieur dans mon pays, surtout un jeune routier, qui a beaucoup marché ça m’a beaucoup aidé physiquement. Également ça m’a beaucoup aidé sur les réseaux routiers que je maîtrise.

Nous avons fait un combat très meurtrier à Katalogue à 30 km à l’Est de Mongo, on a eu le déçu. On a fait cap sur Amtiman. Nous sommes tombés sur une embuscade à Aboudeïa à 18h. Comme j’avais par cœur la carte routière du Tchad, je dis si on coupe à gauche ici, on va contourner Aboudeïa et on va tomber sur une piste pour Mangalmé. La nuit on a fait moins de 5km on a trouvé la piste et ça nous a sauvé, puis nous sommes arrivés à Mangalmé.

A l’est de Mangalmé, on a fait un combat et on a infligé une lourde perte à l’armée tchadienne. C’est par là qu’on a choisi de continuer sur le Soudan. Après notre retraite, ce n’était pas facile de s’organiser, recruter, former, équiper et de faire face à l’armée tchadienne très puissante. Vous devez faire face à la soif, la faim, à l’amputation de nos membres, la rébellion c’est très difficile, j’ai vécu moi-même et je hais la rébellion. Je ne conseille pas, il n’y a rien de pire que la rébellion. 17 mois après on a marché sur N’Djamena.

Que pensez-vous de l’avenir du Tchad ?

Alors ça c’est une question très délicate et très difficile. Je suis un homme normal, je ne peux pas lire l’avenir. Seul Dieu nous dira quel est l’avenir du Tchad. Mais les éléments d’appréciations, selon ma lecture, sont très mauvais. C’est mauvais sur trois ou quatre points. La gouvernance au Tchad est mauvaise. La gestion au Tchad est très mauvaise.  Qu’on le veuille ou non, le pays est gangréné par la corruption, qu’on le veuille ou non c’est un pays qui se cherche pour son unité nationale. Pour le moment tel que je vois, je suis pessimiste.

Mais je souhaite vivement que je me trompe sur ces points. J’aime beaucoup mon pays, je n’ai jamais fait du mal à ce pays. Je souhaite que mon pays aille de l’avant. Nous avons eu beaucoup de situations très intéressantes, très prometteuses.

Mais notre mauvaise gouvernance, notre corruption, tribalisme, régionalisme, confessionnalisme, n’ont fait que nous reculé. Beaucoup de régions de notre pays ont reculé malgré tout ce qu’on dit. Je me souviens, il était une fois notre budget était à 15 milliards, aujourd’hui on dépasse les 1000 milliards. 

Je suis témoin que trois villes ont reculé : les villes de Faya Largeau, Sarh et Fada. Normalement on ne doit pas reculer, on doit avancer. Je souhaite vivement au sortir du dialogue politique qu’on accouche des structures de gestion politique qui mettent l’intérêt du Tchad avant tout autre intérêt. Je suis sûr et certain que nous avons beaucoup d’efforts à faire.

Sur le plan de la justice, nous avons beaucoup à faire. Je ne crois pas à la justice, je ne vois pas la justice. Le fondement d’une société saine, c’est d’abord la justice. Un pays où il n’y a pas la justice, vous ne pouvez rien faire, quelqu’un vous arrache votre enfant vous ne pouvez rien faire. La justice c’est difficile, mais je ne crois pas à notre justice. Je ne crois pas à notre gouvernance, la mauvaise gestion…

Vous savez, à l’époque, quand on circule en ville si on trouve un grand bâtiment, on dit où est-ce que vous avez trouvé ça. Vous êtes un fonctionnaire, avec un salaire indiciaire de cent vingt mille, mais comment vous arrivez à taper une villa de deux cents, trois cents millions. Je vous assure vous ne pouvez pas trouver un climatiseur dans votre chambre. Aujourd’hui, tout N’Djaména vit sous climatiseur. Un climatiseur coûte cher et consomme d’électricité. Le Tchad doit s’imposer un programme d’ajustement structurel multi sectoriels. C’est très difficile. Là, vous allez vous attaquer aux intérêts des individus.  Ils vont tenter de vous combattre, mettre fin à votre vie.  C’est le prix à payer pour que le Tchad devienne un pays normal, un pays vivable, un pays gérable, sans complaisance. La démocratie c’est bon. Une démocratie sans un pays, c’est rien de tout, sans la justice c’est rien de tout. Je suis pessimiste, malheureusement, sur l’avenir du Tchad.

Je souhaite vivement que les jeunes prennent conscience sur l’avenir de notre pays, au lieu de faire une course effrénée derrière l’argent et de grosse cylindrée mal acquis. Je crois qu’il faut apprendre à marcher ou aller à bicyclette et monter doucement. Ça c’est très difficile de le faire malheureusement, c’est le prix à payer pour redresser le pays.

Avez-vous un conseil pour la jeunesse ?

La jeunesse est très pressée. Vous savez, à notre temps, quand vous êtes engagé à la Fonction publique, vous êtes recrutés en qualité de stagiaire, vous faites un an et on prend un décret de titularisation, mais ce n’est pas automatique. Vous êtes suivis par votre ministère. Je crois, on note un fonctionnaire deux fois par an. Ces notes sont confidentielles.  

A la Fonction publique, les gens se réunissent deux fois par an, pour examiner votre note. Si la moyenne de vos notes fait 17 vous passez, et si vous avez 16,99 vous ne passez pas. Ça c’est au niveau de la titularisation. Vous faites deux ans pour passer au 1er échelon. 

Pendant ces deux ans, vous vous êtes notés quatre fois. La commission de discipline se réunit au niveau de la Fonction publique pour examiner vos notes, si vous dépassez 17 et plus vous passez au 1er échelon. On ne nomme pas un stagiaire à un poste public de responsabilité. Jamais, ça ne se fait pas. Pourquoi on dit il faut avoir une expérience de 5 ans ou 10 ans au minimum ? Le diplôme vous donne la base. Il faut l’exercer. Cet exercice-là vous forge.

La jeunesse, mes enfants, ne vous pressez pas, il faut acquéreur l’expérience, il faut être expérimenté et aller pas à pas. Vous êtes le fer de lance. Soyez conscient de votre avenir. Pourquoi on demande de l’expérience ?  Vous êtes un homme formé avec un diplôme, on regarde votre cursus, pour vous nommer par décret à un poste de responsabilité.

Aujourd’hui, on nomme un stagiaire, il va commander des gens qui ont plus de 15 ans d’expérience. Je suis un cadre formé, plus de 15 ans d’expérience, si on me nomme un supérieur hiérarchique un stagiaire, je vais saboter du début jusqu’à la fin.