GRANDE INTERVIEW – Nous avons eu à mener une grande interview avec Djerassem Le Bemadjiel, ministre des Hydrocarbures et de l’Énergie du Tchad. Au cours de cette discussion, nous avons abordé divers sujets, tels que les causes de la pénurie de carburants et ses conséquences, les problèmes d’approvisionnement, l’augmentation des prix et le rôle que jouent les distributeurs dans cette crise.

Monsieur le ministre, le Tchad fait face à une crise énergétique sans précédent depuis l’arrêt de la raffinerie de Djermaya pour des raisons de maintenance. En amont, quelles ont été les stratégies adoptées par votre département pour assurer la continuité de la livraison de carburant ?

Merci pour l’opportunité que vous nous offrez pour expliquer ce qui nous a conduits dans cette situation. Tout d’abord, le ministère des Hydrocarbures et de l’Energie s’excuse auprès de la population et des entreprises pour tous les désagréments subis. A propos de la crise énergétique que notre pays traverse actuellement, je tiens à clarifier certains faits orchestrés sciemment par les partenaires nationaux pour saboter les bonnes dispositions prises pour anticiper les désagréments actuels.

En effet, le ministère par anticipation a organisé deux rencontres avec les marketeurs et les professionnels du secteur pétrolier tchadien dès janvier 2023. Dans tous les pays du monde les professionnels du secteur Pétrolier sont responsables quand l’État leur demande, de fournir le carburant nécessaire à satisfaire le besoin national en pareille situation.

A la première rencontre, le ministère a annoncé à tous les marketeurs, l’arrêt de la raffinerie d’une part, et la nécessité d’importer eux-mêmes quarante-trois millions (43) de litres d’essence et soixante-trois millions (63) de litres de gasoil ainsi que du gaz butane pendant cette période d’autre part.

A la deuxième rencontre à laquelle les marketeurs devraient donner leur accord sur la quantité des carburants et gaz à importer par chacun d’eux, à la surprise générale le Ministère constate que tous les marketeurs ont refusé sans raison fondée de procéder à l’importation.

Face à ce refus, les hautes autorités ont instruit donc la SHT et l’ARSAT pour travailler sur la possibilité d’importation des produits pour couvrir la période de maintenance. Un seul marketeur s’était engagé à importer le gaz butane pour couvrir le besoin des ménages raison pour laquelle le gouvernement n’a pas pris l’importation du gaz en main.

Aussi le gouvernement s’est tourné vers le secteur bancaire pour un lever de fonds pouvant permettre de répondre à cette demande. L’implication personnelle du Chef de l’État a permis d’obtenir une facilité de préfinancement avec trois banques de la place que nous saluons (BCC, CBT et UBA) pour ce geste très significatif posé pour le peuple tchadien.

Le fournisseur de carburant a donc accepté les lettres de crédit émises par ces trois banques et accepte d’être payé 90 jours après la livraison du carburant. Le modèle proposé par le fournisseur et les trois banques permet à l’État de ne pas sortir de l’argent des caisses du Trésor et le délai de 90 jours permettrait à la SHT et l’ARSAT de vendre le carburant reçu et les fonds collectés permettront de rembourser 90 jours après le fournisseur.

Aussi convient-il de préciser que le carburant est acheté sur le marché international et transporté par bateau jusqu’à Limbé (Cameroun) sur le site de stockage de la SONARA avec laquelle le gouvernement tchadien a conclu le contrat de stockage et de livraison.

Vingt millions (20) de litres d’essence et onze (11) millions de litres de gasoil proportionnellement à la disponibilité de capacité de stockage sont livrés dans les cuves de la SONARA à Limbé. Ils seront enlevés au fur et à mesure.

Pour assurer la distribution normale du carburant, il faut au minimum 650 citernes de 36000 litres de capacité, il faut 65 citernes par jour au Tchad pour couvrir le besoin national et assurer une continuité. Il n’y a pas une compagnie de transport qui a 650 citernes dans la CEMAC. Il faut donc faire appel à plusieurs compagnies de transport. Il serait difficile de gérer une flotte de 650 citernes ayant différents propriétaires. Il a été décidé de donner la gestion logistique à un grand nombre de partenaires de la logistique dans la zone CEMAC pour gérer de manière professionnelle cette importante opération.

Il existe une convention entre les transporteurs tchadiens et les transporteurs camerounais. Le pays destinataire (Tchad) doit fournir 65% des 650 citernes soit 423 citernes et le Cameroun 35% soit 227 citernes. La Société de Logistique en charge de ce contrat a aussi l’obligation face à ses engagements de garantir les quantités journalières à livrer.  Au lieu de 650 citernes, la compagnie de logistique n’a pu mobiliser que quatre cents citernes. Il n’était pas possible d’amener journalièrement 65 citernes à N’Djamena dans les proportions contractuelles permettant le ravitaillement habituel. Le chargement d’essence et de gasoil au niveau de Limbé se fait donc de manière alternative.

Autour de 20 avril, et suite à un manque cruel de gasoil constaté, une bonne partie de citernes ramenait plutôt le gasoil au lieu de l’essence, ce changement constitue l’un des facteurs de la pénurie d’essence que connait N’Djamena.

Le dysfonctionnement qui a conduit à la situation que nos concitoyens subissent innocemment est l’œuvre de beaucoup d’individus mal intentionnés qui prennent le malin plaisir de voir les Tchadiens souffrir pour leur gain : le cas des marketeurs qui, au lieu de servir le carburant dans leurs stations amènent du carburant dans des concessions pour distribuer dans le marché parallèle.

Malgré ces dispositions que vous venez d’expliquer, la crise semble s’accentuer de plus belle. Comment expliquez-vous cela ?

Des transporteurs ont sciemment stoppé leur convoi à la frontière du côté Cameroun précisément à Touboro immobilisant 600000 litres d’essence pendant 3 jours (1er au 3 mai) alors que la ville de N’Djamena est plongée dans une crise grave. Heureusement la présence du GPS sur les camions a permis de les localiser. Le transitaire à la frontière s’était déporté du côté du Cameroun pour les obliger à quitter leur stationnement ce 3 mai 2023. Des actions seront engagées contre les auteurs des actes de sabotages et le gouvernement en tirera toutes les conséquences.

On a constaté que dans les stations-service, la quantité servie aux motocyclistes est réduite. Pourquoi ?

La quantité de carburant servie aux engins à deux roues a été réduite parce qu’on a constaté que certains usagers de moto font partie de la chaine du marché parallèle. Ils font le plein dans les stations et vont vendre dans le marché parallèle. Désormais c’est 2 000 FCFA par moto et 15.000 FCFA maximum pour les voitures à essence jusqu’au retour à la normale. On constate partout la présence de l’essence dans les trottoirs à des prix hors norme alors que les stations sont à sec. Ce n’est pas normal.

Visiblement les Tchadiens n’en peuvent plus de cette situation. Peut-on espérer à une amélioration de la situation ?

Plusieurs centaines de citernes d’essence sont en route et les premières citernes ont fait leur entrée sur le territoire national. La priorité est donnée à l’essence au niveau logistique jusqu’à ce qu’un nombre supplémentaire des citernes attendues (150) du Niger arrivent. Les mesures sont prises pour suivre de près le mouvement des camions depuis le port de Limbé jusqu’au Tchad.

La raffinerie reprend la production le 18 mai 2023, mais l’importation va continuer pour lui permettre de reconstituer au-delà de la réserve stratégique, la réserve de sécurité (deux mois du besoin national).

Un dernier mot ?

Le ministère des Hydrocarbures et de l’Energie tient à rassurer la population tchadienne qu’il travaille de manière permanente contre et envers tout pour lui assurer une consommation optimum du carburant disponible et de ses sous-produits. Au demeurant, le ministère appelle la population à la sérénité afin d’éviter de tomber dans le piège des saboteurs et délateurs.