Elle rêvait de devenir enseignante. Jamais elle n’a pensé devenir vendeuse de poisson. Mais elle s’est retrouvée en train de faire le commerce des poissons. Aujourd’hui, elle est à la tête de l’Union des organisations des femmes vendeuses de poisson du Tchad, et en même temps présidente du Réseau international des femmes vendeuses de poisson d’Afrique centrale. Portrait de Fihil Agoï, une dame qui n’a pas regretté d’avoir abandonné le chemin des classes.

“Si elle n’est pas au bureau, elle serait en train de contrôler ses commandes de poissons’’, nous informe une vendeuse de poisson à l’entrée du marché. Un pas, un autre, Fihil Agoï nous reçoit dans son bureau situé au cœur du petit marché de vente du poisson, dans le 7e arrondissement de N’Djamena. Fiche d’identification, registre et plein d’autres documents sont posés sur la table. La présidente de l’Union des organisations des femmes vendeuses du poisson du Tchad (UOFVPTR), Fihil Agoï planifie les activités à réaliser au courant de la semaine nationale de la femme tchadienne (SENAFET).

Défilé des femmes vendeuses de poisson, partage du repas et danse… la liste est longue. “Nous allons défiler. Quand on aura fini, on reviendra pour se prodigué des conseils entre femmes. On prendra notre tambour traditionnel pour danser au sein du marché, frire du poisson pour nous rejouir ensemble dans l’amour’’, détaille-t-elle. Ces activités, la patronne des vendeuses du poisson les organise depuis plus d’une décennie à la tête de l’Union.

De l’ombre à la lumière

Jusque-là peu connue du grand public, Fihil Agoï avance dans l’ombre des grandes dames du pays y compris celles d’Afrique depuis une dizaine d’années. Elle gère l’Union des organisations des femmes vendeuses du poisson du Tchad (UOFVPT).

Un tremplin qui la hissera quelques années plus tard dans les plus hautes sphères des organisations féminines de commerce. Du 25 au 26 octobre 2021, une assemblée générale des femmes s’est tenue avec 22 femmes de différents pays d’Afrique centrale. Et c’est l’Union des organisations des femmes vendeuses de poisson du Tchad (UOFVPTR) qui a pris la tête du Réseau international des femmes vendeuses de poisson de l’Afrique centrale.

Ses débuts

Teint noir, l’originaire du village Kim a fait ses premières armes en 1999 au marché cinquantenaire de N’Djamena, anciennement marché de Dembé. “Mon mari et moi étions des élèves. Il n’y avait pas quelqu’un pour nous soutenir, et il m’a conseillé d’exercer le commerce. En 1999 j’ai pris une petite tasse pour aller au marché de Dembé. Je prenais des poissons avec des femmes pour revendre”, se souvient encore celle qui est aujourd’hui veuve.

Ce qui l’a propulsé au dessus des autres femmes vendeuses de poisson à cette époque est sa connaissance de la langue de Molière. “Un jour, j’étais allée au marché tôt, un commerçant a apporté les poissons dans un véhicule et m’a confié la vente. J’ai distribué aux femmes. Et comme je connais lire et écrire, j’ai enregistré toutes les femmes qui ont pris les poissons. Après j’ai collecté et fait le compte-rendu au commerçant qui m’a remercié avec les bénéfices. Quand il est reparti au Lac, il parlait de moi aux autres et chaque matin je recevais des commandes de poisson en mon nom”, raconte-t-elle.

Naissance de l’Union des organisations des femmes vendeuses de poisson du Tchad

Dans les années précédentes, les femmes vendaient du poisson dans l’informel, nous apprend la femme du Mayo Kebbi-Est. Au fil du temps, l’idée de se réunir en de petits groupements en 2003, après des associations naissent. “Ça a commencé à se développer au fil des années. En 2013, 14 associations se sont unies pour mettre sur pied l’Union des associations des femmes vendeuses du poisson du Tchad (UAFVPT)”, relate t-elle. Un parcours qu’elle a indiqué avoir assisté de bout en bout. A ce jour, des femmes se défendent sous les couleurs de l’UAFVPT.

Des difficultés

Comme la plupart des organisations, l’UAFVPT a connu des périodes difficiles. “Quand nous avons créé l’Union, ce n’était pas facile. Des bousculades par-ci par-là, certaines personnes nous empêchaient de nous réunir”, nous confie la chrétienne protestante. Elle ajoute que “les gens refusaient de nous amener du poisson parce que ce sont les femmes qui gèrent l’association. On n’a pas réagi, on ne fait que sensibiliser des femmes”. Aujourd’hui, l’UAFVPT partage ses expériences avec des femmes commerçantes à l’étranger. En son sein, elle compte environ 550 femmes. La principale difficulté qu’elle rencontre à ce jour est le non fonctionnement de la chambre froide. Cela à cause de la faible intensité du groupe.

Détaillante au départ, Figil Agoï ne liquide plus ses marchandises comme les vendeuses novices. Elle commande de tonnes de poissons et confie à ses employés (7 jeunes garçons) qui distribuent les poissons et collectent l’argent. Elle fait également des stocks de sac de riz et les revend.

Parcours scolaire

De père et mère Kim, Fihil Agoï a commencé ses premières classes dans son village natal. Après avoir obtenu son CEPE/T, elle continue par fréquenter au village Kim. Arrivée en classe de 5e, la jeune lycéenne de l’époque a été sommée de se marier. Elle s’est montrée obéissante et soumise. Elle rejoint donc son mari, lui aussi écolier à N’Djamena et entame une nouvelle vie de couple. Entre le foyer et l’école, le jeune couple n’a pas pu résister aux charges financières.

Avec 2 enfants, la jeune mère regagne ses parents au villages et continue ses études jusqu’à obtenir son BEPC/T. “J’aimais l’école, même au village j’étais parmi les 10 premiers de la classe”. Nantie d’un diplôme scolaire, Fihil Agoï décide alors de revenir vivre aux côtés de son mari à N’Djamena.

Vendre les poissons ne figurait pas dans ses ambitions. “Quand j’étais sur le banc de l’école je me disais que je veux être une enseignante, professeur. J’aimais les mathématiques et l’anglais. Mais mon destin m’a orienté vers la vente de poisson”. De 1999 à 2022, la mère de 5 enfants cumule une vingtaine d’années d’expériences et se positionne en première ligne dans la vente du poisson.

Assise dans son bureau au format carré, la veuve ne regrette pas d’avoir laissé le chemin de l’école. Elle sillonne les pays d’Afrique, Sénégal en 2016, Zambie 2017, Gambie 2018 et Mauritanie 2019. Avec ses revenus, elle assure l’éducation et la formation de sa progéniture. “Avec la vente des poissons, aujourd’hui j’ai envoyé mon fils aîné étudier au Burkina-Faso, le benjamin va soutenir cette année”.

Au delà de ses tâches parentales et commerciales, Fihil Agoï a suivi une formation en théologie en 2014. En ce moment, elle est assistante pasteur à l’église de Dieu de Béthanie à Walia Ngosso à N’Djamena.