Doha a accouché de son accord. La transition peut continuer son cours. Le Tchadien, quant à lui, observe ce spectacle de loin en se demandant au nom de quoi il a été sacrifié toutes ces années. A lui de prendre ses responsabilités de devenir ce citoyen capable de se construire un avenir en dehors du système qui le broie depuis trop longtemps.

La messe est dite ! L’accord de paix de Doha paraphé par le gouvernement et une partie des groupes rebelles ce lundi 08 août prendra sa place dans notre mémoire collective comme ceux qui l’ont précédé et qui ont périclité dès les premiers désaccords entre les frères de circonstance. Il permet en tout cas au CMT de se frayer un chemin vers le Dialogue national inclusif et souverain ; qui lui-même déroulera le tapis rouge à un des membres de ce même CMT vers le palais présidentiel.

Même si la vie s’obstine à nous mettre des coups, il faut que nous, les Tchadiens, trouvions la force de les surpasser en faisant notre la morale du mythe de Sisyphe. A savoir ne plus accepter notre sort béatement, mais en agissant afin de trouver un sens par l’exercice de notre conscience collective.

Le pouvons-nous ?

Spontanément, la réponse à cette question triviale ne peut être que « Non ! ». Tout simplement car la société tchadienne ne peut compter sur une homogénéité qui ferait d’elle un roc face à ces agissements politiques qui hypothèquent la paix et par extension l’avenir de notre pays.

S’extraire de la vie politique

Au diable les belles formules entendues après la signature de ce lundi matin car chacun dans son for intérieur sait que le document a été signé par des parties qui n’ont nullement négocié la paix, mais tout simplement des avantages personnels.

Oublions donc cette sphère politique engoncée dans ses fausses certitudes et pensons « out of the box » pour construire une sorte de société non politique entre gens de bonne volonté.

A l’instar d’un Pierre Rabih qui rêvait de s’extraire de la vie urbaine, les Tchadiens doivent travailler à s’extraire de la vie politique, celle qui au final, dans sa configuration actuelle, ne sert pas plus de 10% de la population (des nantis par la force des choses) alors qu’elle devrait être au service des plus pauvres. Pour le reste vous pouvez mourir si vous n’êtes pas dans les petits papiers de tel ou tel. C’est en tout cas le message perçu quand on voit l’état désastreux de notre système de santé, la décrépitude de l’éducation nationale ou encore les failles béantes tant, dans les textes que dans la pratique, des politiques sociales. Cessons donc d’attendre quoi que ce soit.

La réponse passe par la construction de réseaux associatifs parallèles à celui existant. Il nous faut désormais des leaders citoyens qui œuvrent pour construire ce nouveau type de société en marge de cette mouise que nous appelons État.

Un des acteurs politiques les plus en vue parle souvent de « leadership serviteur », il pourrait gratifier ses compatriotes de cette théorie, en attendant peut-être de toucher à son graal présidentiel un jour, en activant ses réseaux et en les aidant à mettre en place des petites communautés qui s’organiseront autour d’une idée de développement calquée sur les communautés Amish d’Amérique du nord, qui vivent en marge de la société consumériste tout en étant autonome.

En adaptant ce mode de vie aux besoins modernes et en s’astreignant à ne plus rien attendre de l’Etat (qui de toute manière n’apporte plus grand chose) les Tchadiens se donneront l’opportunité de créer des réseaux associatifs forts, des économies de consommation circulaires tout en continuant à travailler, des mutuelles privées pour se soigner, des écoles pour donner une vraie éducation à leurs enfants. Ce modèle forgera dans chaque groupe une conscience collective, notion de sociologie développée par Émile Durkheim, qui n’est rien d’autre que le partage d’intérêts, de comportements et de faisceaux psychologiques par une communauté. Le modèle Amish évoqué en infra est la matérialisation de cette idée de développement qui éloigne l’esprit individualiste qui mine notre pays.

L’histoire sans fin

Le citoyen doit se réveiller, sortir de sa torpeur pour se prendre en main. Car dorénavant, il ne peut plus rien espérer de cet Etat privatisé pour des intérêts singuliers.

Car ce sont les mêmes qui ont fait couler tant de sang qui se retrouveront demain aux commandes de ce pays dans un partage déjà scellé. Dans son discours tenu devant les groupes rebelles qui ont accepté de parapher l’accord qatari, Moussa Faki a prononcé une phrase symptomatique de ce qu’est le Tchad depuis les années 1970 : « Il est révélateur de ce sempiternel recommencement de constater que 2 témoins attitrés de ces accords (NDLR : les précédents accords) soient aujourd’hui parmi nous (…) Mahamat Nouri et Baba Gana Kinguibé, médiateur pour l’accord de Lagos il y a 43 ans. »

La mascarade de Doha n’est que la répétition d’un scénario qui se répète comme dans une comédie écrite par un scénariste qui manque d’imagination. Kano, Lagos, Khartoum, Doha, CMS, GUNT, CMT, CNS, DNIS. Une histoire sans fin.

Chérif Adoudou Artine