La crue du fleuve Chari est un phénomène naturel et cyclique qui aurait pu être anticipé si nous avions des services publics fonctionnels. Au stade actuel de la catastrophe, il faut désormais se projeter sur les conséquences sanitaires et sécuritaires de cette montée des eaux.

Garantir la bonne marche des services publics est un des fondements de ce qui fait un Etat. Sans cela, ce dernier ne peut qu’être défaillant pour répondre aux besoins de sa population. La crue du fleuve Chari que nous vivons depuis une semaine a mis au grand jour les carences de notre administration.

Est-ce que cette élévation du niveau des eaux du fleuve qui longe notre capitale n’était connue d’aucun service du ministère en charge de la météorologie pour que nous nous trouvions dans cette situation ? Ce cas de figure, s’il est avéré, est une insuffisance qui prouverait que nous n’avons aucune visibilité, aucune faculté d’anticipation par rapport aux phénomènes naturels. Si cette montée était, au contraire, connue des services, c’est encore pire. Ce serait une faute professionnelle d’une gravité très élevée et la démonstration que plus rien ne fonctionne dans ce pays.

Maintenant que la montée des eaux est en train de submerger certaines parties du pays, avec un pic annoncé entre le 22 et le 24 octobre pour N’Djaména et sa région, que faisons-nous ? Toujours rien ! Les services des ministères et les dirigeants politiques (si prolixes d’habitude) sont toujours aux abonnés absents. Demeurant des spectateurs dépassés par l’ampleur du phénomène.

Tels des plots posés pour embellir les voies publiques, les responsables administratifs des ministères concernés par la crue (météorologie, administration du territoire, intérieur) sont immobiles, incapables d’agir sans les consignes de leur hiérarchie (qui elle est politique et se préoccupe d’autre chose) alors qu’ils devraient normalement juste suivre des processus élaborés en amont : exploiter les données récoltées d’année en année par les différentes cellules de veille, mettre en éveille leurs dispositifs de communication de crise (ce qui aurait dû être fait dès les 1ères confirmations de la crue), déployer un plan opérationnel de communication basique afin d’informer les populations et aiguiller ces dernières face aux éventuels dangers qui les guettent. En concertation avec les responsables de quartier, monter des programmes d’évacuation avec une intendance efficiente qui accueillera…. Et ensuite faire intervenir les politiques pour des solutions à plus long terme.

Mais voilà, ce scénario ne peut se dérouler que dans un pays doté d’une administration publique efficace, dans laquelle les gens sont responsabilisés, dans laquelle les fonctionnaires sont considérés, avec des services dotés de ressources humaines maintenues actives, dotés d’équipements, dotés de cahiers de procédures, etc. On ne parle même pas ici de fonds outre ceux prévus par le budget courant. En République du Tchad, rien de tout cela… Si ce n’est le folklore habituel des ministres qui portent des sacs de sables le temps d’une photo et les distributions de vivres dont ne sauraient quoi faire ces pauvres gens sur ce sol détrempé.

Que faire concrètement au stade actuel ?

A l’heure où les échelles limnométriques sont englouties, personne ne peut plus rien faire pour contrer cette montée des eaux (certes exceptionnelle, mais prévisible car, selon les explications de certains hydrologues « nous sommes entrés dans un cycle humide et ces crues étaient prévisibles »), il faut que les services anticipent l’après crue qui ne sera rien de plus qu’une continuation de la crise actuelle.

Aggravation du paludisme et de la typhoïde seront le lot des habitants de ces quartiers. De plus les agents pathogènes dus aux eaux de latrines, des caniveaux (quand il y en a), etc. seront la source de maladies telles que la dysenterie ou le choléra. Si l’on atteint cette phase, nous passerons le stade de la simple catastrophe naturelle qui pour l’instant ne cause que des dégâts matériels. Nous serons en plein dans une catastrophe d’ordre médical avec des risques de contagions liés à ces maladies létales si elles ne sont pas prises en charge immédiatement.

Les campagnes de communication, les secours, les prises en charges médicales, les aspects sécuritaires (maîtriser les flux de population et sécuriser les habitations abandonnés) doivent en urgence être coordonnés par une cellule interministérielle et non pas à l’emporte-pièce comme on a pu l’observer lors des inondations de juillet-août, ou pire, lors des premiers mois de l’année 2020 avec la crise du COVID.

Personne ne souhaite voir un défilé de ministres ou de responsables administratifs s’adonner à des sorties médiatiques sans concertation. L’idéal (étant donné qu’ils n’ont pas pipé mot depuis le début de la crue) serait qu’ils ne s’affichent plus et qu’ils laissent plutôt les personnes dont c’est le métier essayé de rattraper ce qui peut encore l’être et d’éviter le pire.

Chérif Adoudou Artine