Le Tchad a accédé le 11 août 1960 à l’indépendance. Depuis cette date, estime Dr Evariste Ngarlem Toldé, politologue, le pays a fait un saut dans l’inconnu. Interview.

1/ Que retenez-vous des 63 ans d’indépendance du Tchad ?

Le Tchad a successivement eu six présidents dont seul le premier a été élu démocratiquement. Les autres sont soit des militaires, soit des politico-militaires.

Depuis la 1ère République, le pouvoir a toujours été au bout du canon. Un président chasse un autre et s’installe.
Le Conseil supérieur militaire (CSM) a tué Ngarta Tombalbaye. Hissène Habré a renversé Goukouni Weddeye et son Gouvernement d’union nationale de transition (GUNT). Idriss Deby Itno a chassé Habré.

Aujourd’hui, c’est un général qui prend la place de son père, qui a régné 31 ans. On a vécu pendant tout ce temps sous des régimes de transition et d’exception.

Les 63 ans n’ont rien apporté de bon si ce ne sont que la guerre, la misère et la désolation. Depuis le 11 août 1960, on savait que c’était un saut dans l’inconnu.

2/ /Malgré ses richesses, le Tchad fait toujours partie des pays les plus pauvres. Comment faire pour redresser la pente ?

Il faut mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Ce n’est pas un simple slogan. Au début de l’independance, on n’avait peu de cadres.

Mais, maintenant, au lieu que les nominations se fassent par mérite, on constate un népotisme, un tribalisme exagérés.

Presque toutes les provinces sont dirigées par des généraux. Pourquoi cela ? Il y a des cadres qui sont sortis des écoles d’administration et il y a des recommandations qui vont dans ce sens. Les gens ne savent pas ce qu’ils font.

Il y a une instabilité gouvernementale. Les ministres, rares sont ceux qui font deux ans. Il y a aucune politique économique digne de ce nom.

3/Le pays expérimente depuis 33 ans la démocratie. Comment observez-vous sa mise en œuvre ?

33 ans de démocratie dites-vous ? Quelle démocratie sans alternance politique ? Un président qui règne plus de 30 ans. Ensuite, son fils prend la relève. Il y en a qu’en Afrique francophone. C’est ça qui crée les frustrations.

Qu’ont apporté les élections organisées ? Ce sont que des élections truquées et manipulées qui maintiennent les mêmes au pouvoir.

Cette démocratie à géométrie variable n’a apporté que des divisions. La République est transformée en monarchie. En fin de compte, il n’y a pas de démocratie.

4/La France, ancienne puissance coloniale, est régulièrement accusée d’agir contre les intérêts du peuple tchadien. A tort ou à raison ? Pourquoi ce désamour perdure-t-il ?

Si la France est accusée, c’est parce qu’elle est la puissance colonisatrice. On a vu qu’elle est omniprésente et omnipotente dans les rouages de l’Etat tchadien. Elle est encombrante. Les gens ont remarqué cela.

On a l’impression que la France a encouragé les régimes totalitaires. Elle est venue adouber le fils qui a pris la place du père. Les réserves de devise du Tchad sont placés à la Banque de France. Ce sont les grandes entreprises françaises qui gagnent les marchés.

Les gens suivent ce que la France fait au Tchad. La France elle-même sait ce qu’elle fait. Ce qui ce passe au Niger, Mali, Burkina en est une illustration parfaite.

5/Le Tchad vit une transition. Le dialogue censé réconcilier les fils du Tchad n’a pas permis cela. Vers quoi avance-t-on ?

Comme certaines résolutions du dialogue ont été violées, nous allons d’abord vers l’adoption de ce projet de l’Etat unitaire. Et, plus tard, l’election de l’actuel président de transition. Les dé sont pipés.

Malgré les manquements pointés, les gens continuent d’avancer tête baissée. Ce qui frustre beaucoup de personnes.

On lance une campagne de révision du fichier électoral en pleine saison des pluies au Sud qui est une zone d’agriculture. En cette période, les gens sont au champ et les routes sont impraticables.

Nous tendons vers des extrémités orageuses et dangereuses. J’ai bien peur ! Que les gens essaient d’écouter les cris de cœur des Tchadiens. Il faut un vrai dialogue politique.