Par décision N°0333/PCNT/Q/SG/DGSAL/20023 du 14 Juillet 2023, le Conseil National de Transition du Tchad créé une Commission chargée de l’évaluation de la Convention d’établissement et des différents accords signés entre le Gouvernement de la République du Tchad, Olam International et la Société Cotonnière du Tchad, Société Nouvelle (Cotontchad SN). Une initiative surprenante qui met à nu la méconnaissance de la législation tchadienne par les Conseillers Nationaux, si ce n’est le mépris ou une volonté de la fouler, plaisamment, aux pieds, comme d’habitude.

Au lieu de se limiter, tout au plus, à une interpellation du pouvoir exécutif, à travers les Ministères sous les tutelles desquelles la Société Cotonnière du Tchad, Société Nouvelle (Cotontchad SN) est placée, si et seulement si cela se justifie, et si l’institution qui fait office de Parlement souhaite faire un état des lieux de la Convention d’établissement et des différents accords signés entre le Gouvernement de la République du Tchad et Olam International, pour une raison ou une autre. Mais ce dernier semble, par cette initiative maladroite, se tromper d’attributs et de missions, en tentant, par ce fait, de s’ingérer, de manière intempestive, dans la gestion de cette société. Et ce, au mépris de la Charte de Transition révisée en Octobre 2022, en vigueur, mais aussi, viole allègrement les dispositions légales supranationales pertinentes, régulièrement ratifiées par le Tchad.

Pourtant, l’article 76 de la Charte de Transition dispose, de manière limitative, que : « Le Conseil National de Transition a pour mission :

  • de suivre et contrôler l’exécution, par le Gouvernement, des résolutions et recommandations du Dialogue National Inclusif et Souverain ;
  • d’exercer la fonction législative ;
  • de veiller à la défense et à la promotion des droits de l’homme et des libertés ;
  • d’examiner et d’adopter le projet de Constitution et les textes législatifs».

 

Etant donné, qu’en principe, le suivi et le contrôle de l’action du Gouvernement, reconnu au Conseil National de Transition par la Charte de Transition, dans les dispositions suscitées, se limite, strictement, aux résolutions et aux recommandations du Dialogue National Inclusif et Souverain, il ne peut agir, ultra petita, en créant une Commission ad hoc d’Evaluation, puisqu’il ne ressort nulle part, même dans le préambule de cette « décision » du 14 juillet 2023 signé de la 2ème Vice-présidente de l’Institution, une référence auxdites recommandations, moins encore à une résolution spéciale du DNIS concernant un audit la Société Cotonnière du Tchad, Société Nouvelle (Cotontchad SN) qui est une Société Anonyme, régit par le Droit OHADA.

Point n’est besoin de rappeler que le Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) a été ratifié par le Tchad le 13 avril 1996 et les instruments d’adhésion à l’OHADA ont été déposés le 03 mai 1996 auprès du Sénégal, pays dépositaire du Traité. Il est entré en vigueur au Tchad le 02 juillet 1996.

L’idée de la création de l’OHADA est née d’une volonté politique de renforcer le système juridique africain en adoptant un cadre juridique certain et stable pour la conduite des affaires et l’investissement en Afrique.

Surabondamment, il faut aussi rappeler les dispositions de l’Article 111 de la Charte de Transition qui prévoient que : « Les traités, conventions et accords régulièrement ratifiés ou approuvés, ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois nationales, sous réserve, pour chaque traité, convention ou accord, de son application par l’autre partie ».

Dans le monde du droit, et en tant qu’organe législatif, il est essentiel de bien appréhender la structure hiérarchique des différentes normes juridiques, notamment la théorie de la pyramide des normes, développée par le juriste autrichien Hans Kelsen et qui permet de mieux comprendre cette hiérarchie et d’analyser les relations entre les différents types de normes.

Trois (3) principes fondamentaux sous-tendent la théorie de la pyramide des normes : (1) la supraconstitutionnalité qui signifie qu’aucune norme ne peut être contraire à la Constitution (charte, pour le cas d’espèce), qui est la norme suprême d’un État ; (2) la primauté du droit international qui prévoit qu’en cas de conflit entre une norme internationale et une norme nationale, la première doit prévaloir et enfin  (3) le principe de légalité qui indique que toutes les normes infra-législatives doivent respecter les lois en vigueur.

Il convient de rappeler aussi que la Société cotonnière du Tchad, Cotontchad, Société Nouvelle, est un organisme créé en 1972, privatisée en avril 2018 et détenue à 60 % par le groupe singapourien Olam. Elle était précédemment détenue à 75 % par l’État tchadien, à 19 % par Dagris, et à 6 % par des banques locales, et qui a pour mission de fournir les outils et engrais aux planteurs et de commercialiser le coton-graine.

Un mode de gestion strictement règlementé par le droit OHADA

Avec son statut de Société Anonyme, les règles de sa gestion sont prévues par le droit OHADA. Répartir d’une façon plus claire et équitable les pouvoirs entre les différents organes de gestion et d’administration de la société anonyme est un objectif majeur qui a été pris en compte par le législateur OHADA.

Ce dernier a précisé dans les dispositions pertinentes de l’article 415 de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif au Droit des Sociétés Commerciales que : « La société anonyme avec conseil d’administration est dirigée, soit par un président-directeur-général, soit par un président du conseil d’administration et un directeur général ».

Une société anonyme avec Conseil d’Administration en OHADA peut donc opter entre deux modes de gestion et d’administration : (1) la formule avec Président Directeur Général (mode moniste), ou (2) la dissociation des fonctions de Directeur Général et de ceux de Président du Conseil d’administration (mode dual).

Dans le premier mode de direction, le Président du Conseil d’Administration cumule ses fonctions avec celles de Directeur Général : c’est « la gouvernance réunie ». Il détient donc, à côté de ses fonctions de Président du Conseil d’administration, les pouvoirs et les responsabilités du Directeur Général. C’est la raison pour laquelle le législateur aurait d’ailleurs conservé l’appellation de “Président Directeur Général”. Dans le second mode de direction, la direction générale de la société (la gestion quotidienne) est confiée au Directeur Général, tout en conservant un contrepoids dans la personne du Président du Conseil d’Administration qui représente les actionnaires : c’est « la gouvernance dissociée ».

Contrairement au premier mode de direction, dans le second, le Directeur Général est le véritable chef d’entreprise. A ce titre, il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société en même temps qu’il dispose du pouvoir de décision et d’action pour le compte de la société, dans la limite de son objet social. Ce dernier représente la société notamment dans ses rapports avec les tiers et en est donc le représentant légal.

D’un point de vue pratique, la société peut même être engagée par ses actes qui ne relèvent pas de l’objet social conformément aux dispositions de l’article 488 de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif au Droit des Sociétés Commerciales. Dans le même temps, les pouvoirs du Président du Conseil d’Administration sont limités en ce qu’il représente le Conseil d’Administration, organise et dirige les travaux de celui-ci. Il a donc simplement un rôle de représentation et d’organisation du Conseil d’Administration, et ne représente pas la société dans ses rapports avec les tiers. Si à la réalité, plusieurs raisons ont amené certaines entreprises opérant dans les territoires OHADA à faire le choix d’une gouvernance du mode dual, force est de constater que ce choix est à l’origine de dissensions qui surviennent de plus en plus entre les parties prenantes à la chose sociale, ce qui pourrait finir par aboutir à une restauration de la gouvernance par mode moniste.

Un mécanisme de contrôle et d’audit bien encadré par le droit harmonisé OHADA

Si le Conseil National de Transition n’ignorait pas le droit des affaires uniformisé, selon la volonté commune des Chefs d’Etat et de Gouvernement d’Afrique et qui, à ce titre, fait partie de l’ordonnancement juridique interne, il devait savoir, au moins, que la Cotontchad, Société Nouvelle n’est pas une société d’Etat mais une Société Anonyme régulièrement constituée par des actionnaires, régie par l’OHADA et dont l’Etat est actionnaire à part entière, représenté dans le Conseil d’Administration.  Le contrôle de sa gestion n’est pas du ressort du Conseil National de Transition, mais il est exercé par un ou plusieurs commissaires aux comptes, qui sont nécessairement des experts-comptables agréés par l’Ordre des Experts-comptables de l’Etat partie (article 695 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique). A défaut d’existence d’un tel ordre, il faut se référer à la liste des experts-comptables dressée par la commission (article 696 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE).

Le commissaire aux comptes exerce, au cours de l’exercice comptable, une mission permanente de contrôle sur les valeurs et les documents comptables de la société (articles 712 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE). A cette fin, il a la possibilité de se faire communiquer sur place tous contrats, livres, documents comptables et registres des procès-verbaux de la société contrôlée. Il peut même récolter toutes informations utiles auprès des tiers qui ont accompli des opérations pour le compte de ladite société. Durant cette mission permanente de contrôle, il est en droit de se faire assister ou représenter par des experts ou collaborateurs de son choix, dont il donne le nom à la société.

De manière plus ponctuelle, il est appelé à exercer deux types de contrôle. Il s’agit, d’une part, de certifier que les états financiers de synthèse de la société sont réguliers et donnent une image fidèle de la situation financière et patrimoniale de la société et, d’autre part, de s’assurer du respect de l’égalité entre actionnaires (articles 710 et 714 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE).

Le commissaire aux comptes joue ainsi un rôle essentiel de protection de contrôle dans la société, permettant d’éviter une présentation inexacte de la situation économique de la société. A côté de ce devoir de contrôle, le commissaire aux comptes est tenu, sous peine de sanction pénale, de dénoncer au ministère public tout fait délictueux dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa mission, sans toutefois que cette dénonciation engage sa responsabilité (articles 716 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE). Le commissaire aux comptes, par ce devoir d’information, protège non seulement les intérêts privés des actionnaires, mais également l’intérêt général représenté par l’Etat.

De ce qui précède, il n’est prévu nulle part, même dans la Charte de Transition qui est la Loi Fondamentale, un quelconque pouvoir du Conseil National de Transition de s’ingérer, de manière intempestive et par simple « décision », dans la gestion d’une Société régulièrement constituée et est régie par des normes supranationales très précises, régulièrement ratifiées par le Tchad. Si des difficultés évidentes liées à sa gestion existent, en tant qu’actionnaire, le représentant de l’Etat tchadien qui siège dans le Conseil d’Administration, peut bien remonter ses préoccupations aux plus hautes autorités, pour conduite à tenir, dans le respect de la Loi, sinon la démarche en cours est maladroite et créera un précédent fâcheux, surtout lorsque sa violation viendra du « Législateur assimilé ». Cet acte administratif unilatéral qui porte grief est susceptible des recours (gracieux, contentieux ou référé suspensif…), en raison de son caractère inopportun, illégitime et surtout son illégalité.

L’OHADA, faut-il le rappeler, a été créée dans un contexte de crise économique aigüe et de chute drastique du niveau des investissements en Afrique, puisque l’insécurité juridique et judiciaire étant alors identifiée comme cause majeure de défiance des investisseurs.

Jean-Bosco MANGA

Juriste-Journaliste-Ecrivain