Le débat sur la fédération est d’actualité à l’occasion des consultations en vue du dialogue national inclusif. Lors du pré-dialogue pour la zone Europe et Amérique à Paris, Tchadinfos a rencontré Laoukissam Feckoua Laurent, un ancien grand commis de l’Etat qui vit depuis des années en France. Nous avons abordé avec cette question en partant de son livre « Tchad : la solution fédérale » écrit quelque temps après la Conférence nationale souveraine de 1993.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Feckoua Laoukissam, je suis originaire du Tchad. Je vis en France mais j’ai accompli une bonne partie de mes activités au Tchad. Je suis venu ici en 1982 pour respirer un autre air. Je suis venu ici en ayant abandonné la vie politique ; j’ai exercé au Tchad. Mais chaque fois qu’il y a un événement, je suis là. J’ai vécu au Tchad qui est mon pays, j’ai exercé des fonctions politiques importantes. J’ai été directeur de cabinet du ministre de l’Education nationale, directeur de l’enseignement supérieur, j’ai été directeur de l’Institut des sciences humaines, j’ai été conseiller à la Présidence, j’ai été ministre du Plan, j’ai été ambassadeur. Récemment, j’ai été premier conseiller à la délégation du Tchad à l’UNESCO. J’ai exercé pendant 28 ans à l’université de Nanterre.

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Vous avez écrit un livre, « Tchad : la solution fédérale ». Ce sujet revient sur la table des discussions. Beaucoup de gens en parlent en prélude du dialogue national. Selon vous, cet engouement pour le fédéralisme ne témoigne-t-il pas de l’échec de l’Etat unitaire ?

Complètement ! Tout mal a une racine. Le pays était devenu indépendant en 1960. Depuis 1960, il  y a eu beaucoup de problèmes tchadiens : problèmes de gestion, problèmes politiques. Il y a toute une série de problèmes qu’il faut essayer de résoudre. J’ai écrit ce livre parce que j’ai participé à la Conférence nationale souveraine. On a débattu de beaucoup de questions. Mais le point d’achoppement était le terme « Conférence nationale souveraine ». Le terme « souveraine » a fait tiquer les hautes autorités. On a fini quand même les débats. Mais je n’étais très satisfait dans la mesure où j’ai entendu beaucoup de choses. J’ai voulu consigner ce que j’ai ressenti, c’est le sens de mon livre qui parle de la forme de l’Etat, du bilinguisme, de la gestion. La conclusion, c’est qu’il faut trouver une solution qui satisfasse l’ensemble de la communauté. On peut avoir parfois des problèmes mais l’essentiel c’est de trouver de bonnes solutions pour tout le monde.

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La question a été au centre de votre réflexion il y a 25 ans. Comment expliquez-vous ce retour au cœur du débat ? Les gens se posent des questions sur la forme de l’Etat et ils se disent, comme vous, que peut-être le fédéralisme est la solution pour le Tchad…

La centralisation outrancière de l’Etat pose problème. La centralisation de l’Etat fait converger tout au niveau du chef supérieur. Mais si le chef supérieur concentre tout, à la base, il n’y a rien. C’est la France qui est notre référence avec un pays centralisé. Quand on voit la carte de la France, Paris fait converger toutes les voies de communication. Cela signifie que la centralisation était axée sur le roi. Avec la démocratie, progressivement, on a abandonné certains pouvoirs aux régions. Le général de Gaulle a voulu décentraliser mais il s’est heurté à l’opposition qui a refusé. C’est la raison pour laquelle il avait démissionné en 1969. Mais le président Mitterrand est venu après, il a fait la décentralisation. Si la décentralisation permet aux différentes régions de travailler dans l’harmonie, si les administrations décentralisées permettent une meilleure gestion du pays, permettent un meilleur développement des régions, c’est très bien.

Mais c’est le cas chez nous. On est un Etat décentralisé…

Nous avons copié la décentralisation française mais nous n’avons pas lâché, nous n’avons pas décentralisé. La décentralisation ne signifie pas qu’il faut créer une région. Et si on ne lui donne pas le pouvoir ? Qu’est-ce que cette région peut faire ? Elle peut mourir parce que le pouvoir central aspire tout.

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Le débat sur le fédéralisme suscite beaucoup de passion. Beaucoup de gens pensent que fédération signifie scission…

C’est une erreur monumentale. Regardez le Nigeria. Le Nigeria est parti à l’indépendance avec 3 Etats. Après trois ans, il est passé à 4 Etats. En 1967, il est passé à 12 Etats. Actuellement, nous sommes à 19 Etats. La guerre que le Nigeria a connu, c’était en 1967. Cette guerre a pris fin en 1970 et aujourd’hui, toutes les régions se développent harmonieusement. Le Nigeria est la première puissance africaine aujourd’hui. Cela signifie que le Nigeria, avec la décentralisation, a bien géré.

Quelle est la différence entre fédération et fédéralisme ?

Oh ! C’est un jeu de mots qui n’enlève rien à la réalité. La fédération, c’est le découpage. Le fédéralisme c’est un substantif qui ne change rien à la réalité.

Avez-vous un mot ou un message particulier ? Comment voyez-vous l’avenir ?

De quoi se plaint-on ? De la gestion du pays, du recrutement des fonctionnaires. Bref, c’est tout ce qui est mal fait. C’est la raison pour laquelle les gens ne sont pas contents de la gestion. Je ne sais pas si je me trompe mais tout le monde parle, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Moi, j’ai anticipé peut-être en parlant de cela. Tout le monde pensait bas mais on n’osait rien dire. Moi, j’ai préféré consigner ce que je ressens, je l’ai écrit.