Dans l’imaginaire collectif, les violences conjugales sont souvent associées à des femmes victimes et des hommes bourreaux. Pourtant, la réalité est plus complexe. Certains hommes subissent également des abus, enfermés dans un silence pesant par peur du jugement ou du ridicule. Ce reportage donne la parole à l’un d’eux, un survivant dont l’histoire, douloureuse et poignante, mérite d’être entendue.

“Je me suis marié avec elle il y a pratiquement 4 ans”, raconte-t-il, la voix tremblotante. À l’époque, il rêvait de fonder une famille après une première union sans enfants. “Quand elle est tombée enceinte, j’étais tellement heureux de devenir père. C’était mon rêve. Mais je ne savais pas que ce serait aussi le début de mon calvaire.” Très vite, l’amour et la complicité laissent place aux menaces et à la manipulation.

“J’adorais ma fille. Je la chérissais plus que tout. Mais ma femme a commencé à utiliser cet amour contre moi. À la moindre dispute, elle me menaçait de partir avec elle. Je vivais dans la peur constante de perdre ma fille”, raconte notre interlocuteur. Il explique comment son salaire, autrefois suffisant pour le ménage, est peu à peu absorbé par des dépenses imposées. “Elle me forçait à dépenser presque la moitié de mon salaire pour notre fille, même pour des choses inutiles, pendant que moi, je manquais de tout.”

Le quotidien devient encore plus lourd lorsque sa femme tombe à nouveau enceinte. “Elle a dit qu’elle ne pouvait plus faire les tâches ménagères. Elle a fait venir sa mère, ses deux petites sœurs, son oncle, sa femme et leurs trois enfants. La maison est devenue un camp”, lâche-t-il.

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Dans sa culture, cohabiter avec sa belle-mère est mal vu. Pour éviter les conflits, il prend sur lui et quitte sa propre maison pour dormir chez son frère. “J’espérais que ça durerait quelques mois, le temps de la grossesse. Mais après l’accouchement, ils ont dit qu’ils ne repartiraient pas, et qu’en plus deux autres cousines allaient venir”, lui ont-ils annoncé.

Sa voix se brise. “Je rentrais du travail épuisé, mais je ne pouvais plus me reposer chez moi. Dix mille francs ne suffisaient même plus pour nourrir tout le monde. Je n’avais plus d’économies.”

Le point de rupture arrive lorsqu’on lui impose de revenir dormir chez lui, avec toute la belle-famille. Sa belle-mère lui ordonne de réintégrer la maison familiale. “J’ai voulu en parler avec ma femme, mais elle m’a dit clairement, soit tu acceptes, soit je pars avec ma famille.” Abattu, il retourne encore une fois dormir chez son frère. Mais cette nuit-là, la douleur dépasse l’épuisement. “Je réfléchissais à tout ça, et le lendemain matin, je me suis réveillé à l’hôpital. Ma mâchoire était déplacée. Je n’arrive même plus à parler normalement.” Il ne se souvient plus de ce qui s’est passé entre le moment où il s’est couché et celui où il s’est réveillé. Son regard se perd, comme s’il revivait cette nuit noire. “Maintenant, ma famille est fâchée contre moi. Ils disent que je me suis trop laissé manipuler par ma femme.”

Selon le sociologue Mahamat Abba, ces violences prennent souvent une forme psychologique et économique, mais elles peuvent aussi devenir physiques. “Les hommes hésitent à signaler les abus, de peur d’être ridiculisés ou de ne pas être pris au sérieux”, explique t’il. Pour lui, il est essentiel de rappeler que la violence conjugale, quelle qu’en soit la victime, n’a pas de genre. Les mécanismes de contrôle, de manipulation et de domination peuvent toucher tout le monde.