Le phénomène de violence en milieu scolaire va crescendo. Face à l’exacerbation du problème, des réflexions sérieuses doivent être menées par tous les acteurs en vue d’atténuer ce phénomène qui menace sérieusement le système éducatif tchadien. Le spécialiste de l’éducation et chercheur au Centre National de Curricula, Ousman Haroun Guet identifie les causes et propose des pistes de solutions.

Qu’est-ce qui explique l’exacerbation et la généralisation de la violence en milieu scolaire ?

A cette question, il peut y avoir plusieurs réponse mais nous allons nous résumer à quelques points pour nous permettre d’aborder cette question de manière holistique afin de trouver des réponses adéquates.

Premièrement, il y a l’aspect oisiveté des élèves. Ces derniers se sentent oisifs, le temps scolaire des élèves n’est pas suffisamment rempli. Cela est dû à plusieurs causes : les absences des enseignants, l’inefficacité des cours qui sont parfois laconiques et mécaniques perçus par les élèves comme des séquences dénuées de sens. Du coup, les apprenants se sentent ennuyeux et oisifs donc ils vont essayer de remplir ces temps avec des chamailles et toutes les sortes d’indisciplines qu’on peut retrouver dans la cour de l’école ou en dehors de l’école.

Deuxièmement, il y a aussi le manque cruel des activités parascolaires. Dans nos écoles, les cours sont généralement livresques, il y a rarement des activités culturelles, sportives et littéraires dans nos écoles. Plus on accumule des connaissances livresques uniquement, plus l’enfant va s’ennuyer. Cela va entrainer une déprime scolaire qui fait que l’élève peut venir chaque jour à l’école sans faire cours. Du coup, il y a cette démotivation vis-à-vis de l’école et le seul exécutoire malheureusement qui existe et banalisé par notre société est la violence. Et les enfants vont s’adonner à des violences pour des causes qui sont vraiment minimes (petites chamailles, des petites querelles, etc.).

Par la suite, il y aussi la faiblesse de l’administration scolaire et qui n’est pas de moindre. Cette faiblesse est due au fait que les administrateurs scolaires (proviseurs, censeurs, surveillants, …) n’ont pas toujours le bon profil. Il n’y a pas une formation initiale ces derniers temps, si ce n’est pas depuis toujours, au profit des administrateurs scolaires. Et aussi il y a très rarement des renforcements de capacité pour ces derniers afin de renforcer leur capacité pour résoudre les conflits qui vont advenir dans leur école. Donc les administrateurs ne sont pas bien outillés. Normalement, les administrateurs scolaires doivent être des personnes compétentes et capables de gérer les conflits entre les élèves et aussi solliciter les parents d’élèves afin de résoudre ensemble de problème.

A cela s’ajoute la généralisation de l’impunité au pays. Les proviseurs, les censeurs, les surveillants ont peur et ne peuvent condamner ou prendre des mesures sévères vis-à-vis des élèves car on a vu plusieurs fois des cas de meurtre des administrateurs scolaires sans pour autant rendre justice. Pour leur propre sécurité, parfois, ils ne prennent pas certaines mesures.  Aussi, ne banalisons pas aussi les cas de corruption en milieu scolaire. Si les administrateurs prennent de la corruption, les élèves peuvent faire leur loi, au prix de la violence au besoin. Ce sont tous ces paramètres qui font que la violence continue à s’exacerber.

Et les élèves viennent à l’école avec une faible éducation de base…

La responsabilité des parents et de la société est un élément important dans la prévention de la violence en milieu scolaire. Aujourd’hui, les parents ne font pas le suivi de leur progéniture. Déjà on sait très bien que l’éducation de base commence cruellement à faire défaut. Les parents ne se soucient pas de l’éducation à la maison de leur progéniture et aussi ils ne suivent pas l’évolution scolaire de leur enfant. Ils ne se posent pas de question sur son admission, son échec, sur la gestion de son temps scolaire et à la maison. Du coup, vu que ces parents ne remplissent pas suffisamment leur rôle depuis la maison, et comme c’est des enfants qui sont généralement en âge de puberté, ils vont continuer à s’affronter jusqu’à l’école, c’est ce qui fait qu’on est en train de sombrer vers le cycle de la violence en milieu scolaire. A l’école, quand l’administration ne peut ou ne veut pas faire son travail et la maison est en retraite de son rôle, l’enfant va s’adonner impunément à toutes les options d’indisciplines.

La consommation des contenus des réseaux sociaux par les élèves ne contribue-t-elle pas à amplifier la violence en milieu scolaire ?

Les contenus du réseau social tchadien amplifient aussi la violence en milieu scolaire. Cela s’explique du fait qu’il y a une récurrence dans un discours de haine, de mépris et de négligence des autres, d’un discours qui est tout sauf encourageant à l’élève, respectueux et respectable d’une société qui va aspirer à coexister. Les élèves regardent ce que leurs ainés disent sur les réseaux sociaux (Facebook, Whatsapp, Tiktok, …), et ces discours incontrôlés se manifestent sous formes des comportements à l’école. Donc s’il y a un discours de haine quelque part, ça peut se répercuter facilement sur le comportement des élèves parce qu’ils vont avoir cela comme une idéologie et ils la mettront en œuvre sur le terrain scolaire.

Peut-on établir un lien entre la baisse de niveau et la violence constaté chez la plupart des élèves ?

Absolument, il y a une corrélation directe entre la baisse de niveau et la violence en milieu scolaire. Parce que, par essence, on sait que l’école est un havre de paix, quand il n’y a pas de paix dans cette école, elle n’est pas disposée à produire des compétences. Si dans cette école il y a des troubles, le temps scolaire n’est pas respecté. Donc le programme n’est pas exécuté comme il se le doit, les cours ne sont pas faits comme il se le doit et à la fin on va évaluer les élèves au rabais.

En votre qualité de spécialiste des questions de l’éducation, que doivent faire les acteurs du système éducatif (État, parents, enseignants, élèves) pour atténuer ce phénomène ?

Pour atténuer ce phénomène, je crois que la responsabilité de tous doit être engagée. Premièrement, l’Etat doit prendre ses responsabilités en finançant le système éducatif comme il se doit. Deuxièmement, il nous faut des acteurs qui sont compétents et surtout forts pour assurer un fonctionnement normal et régulier du système éducatif, parce que même si l’État finance le système éducatif et quand on a en face des acteurs médiocres on ne peut pas s’attendre aux résultats escomptés.

Les parents doivent absolument suivre leur progéniture, répondre aux convocations de leur école et aussi encourager les proviseurs, censeurs et les surveillants à communiquer avec eux afin de résoudre ensemble les problèmes qui adviennent.

L’élève, lui-même, doit s’impliquer pleinement pour son avenir et faire face à la violence en milieu scolaire, parce que si celui-ci n’est pas conscient et se bat pour des petites querelles passagères, il est en train de compromettre son avenir.

Tous les acteurs doivent intervenir conjointement pour mettre terme à la violence en milieu scolaire. Chacun de nous doit prendre sa responsabilité et l’assumer convenablement afin que l’école tchadienne devienne un havre de paix et productrice des compétences.  Ensemble, disons non à la violence en milieu scolaire !