Excellence Monsieur le Président, j’ai, pour la première fois, suivi avec beaucoup d’intérêt votre discours à la Nation à l’occasion du nouvel an 2023. Je suis animé d’un sentiment mitigé au regard des promesses habituelles faites au Peuple, mais aussi des questions liées à la problématique de l’aménagement du territoire en général et de la Ville en particulier.

En effet, je ne vais pas m’aventurer à commenter le discours dans son intégralité, mais je voudrais relever quelques aspects essentiels qui feront l’objet de ma présente analyse.

De prime abord, je voudrais noter que la période de transition que vous conduisez, à l’instar de celle que traversent d’autres pays, est une opportunité pour régler définitivement les questions essentielles de la vie d’une Nation. C’est donc une période de grandes réformes dans les secteurs essentiels afin de préparer le pays à amorcer la réelle période de son développement comme pour rejoindre l’un des Objectifs majeurs mentionnés dans votre discours : la mise sur les rails d’un Tchad refondé.

Excellence Monsieur le Président, cette période suppose que chaque Tchadien doit véritablement apporter sa pierre à la construction du pays tout entier. Mais déjà les mesures annoncées n’augurent pas des résultats crédibles et bénéfiques pour les populations tchadiennes qui aspirent à sortir définitivement d’une situation très peu enviable dans laquelle elles sont empêtrées depuis plusieurs décennies.

Aux rangs des mesures prises, nous pouvons noter la création des zones économiques spéciales, l’industrialisation, la sécurité des biens et des personnes, un plan d’urbanisme des zones inondables, l’energie, les liaisons routières entre régions, la révision du code des Marchés publics.

Au demeurant, Excellence Monsieur le Président, la plupart de ces questions sont liées et nécessitent une réflexion générale. Toutes ces mesures sont spatialisées et nécessitent, par conséquent, des réponses techniques appropriées. C’est à juste titre que le célèbre Architecte Egyptien Hassan Fathy disait « Changez l’espace, vous changerez le mode de vie des populations ».

L’espace a un réel souci au Tchad car il a toujours été mal géré. En témoignent éloquemment les conflits agriculteurs-éleveurs, les exploitations conflictuelles des ressources minières, l’insécurité liées aux investissements immobiliers, le difficile trafic inter et intra-urbain, etc., auxquels se greffent les catastrophes naturelles et les risques environnementaux.

Comment l’espace est-il géré à l’échelle nationale ? Existe-t-il un outil de planification stratégique de l’espace national à l’instar du schéma de cohérence territoriale dans d’autres pays ? L’avantage avec l’Urbanisme, c’est que chaque pays peut s’approprier un outil d’aménagement en fonction des réalités socio-économiques, culturelles, environnementales voire politique. Qu’en est-il de notre pays ?

Nous avons été particulièrement choqué lorsque vous avez parlé d’un Plan d’urbanisme des zones inondables alors que la Ville de Ndjamena ne dispose pas d’un outil récent de planification et d’aménagement efficace et efficient de son espace. En effet, la ville est un tout, un système et donc ne saurait faire l’objet des réflexions partielles à priori. Même sur les questions liées à l’industrialisation, aux conflits fonciers, aux transports, à l’aménagement de Voirie, à la gestion de l’énergie, les réflexions ne doivent pas être isolées au point de finir par ne rien régler. C’est en ce moment que le sacro-saint principe « du PENSER GLOBAL, de L’AGIR LOCAL » s’impose indubitablement à notre pays. Pour les techniciens (Urbanistes, architectes, Ingénieurs, Géographes), la réponse à cette situation est plus qu’urgente car tant que l’espace national tchadien est mal encadré, aucun développement n’est possible. Et surtout l’histoire nous donne raison car lorsque des Chefs d’Etat ont voulu marqué leurs passages à la tête d’un pays, c’est à travers une empreinte spatiale. Lorsque le Président François Mitterrand voulait révolutionner Paris, il n’a pas fait appel à des Architectes de sa mouvance de la Gauche, mais à des Architectes de tous horizons pour offrir à Paris une nouvelle fenêtre sur l’Avenir symbolisé par l’Arche de la Défense en plus des nombreux projets à l’échelle nationale. C’est pourquoi, lorsque vous rejoignez dans votre discours la célèbre maxime : Gouverner, c’est prévoir et anticiper, Excellence Monsieur le Président, nous sommes particulièrement émerveillés à l’idée qu’il y’a enfin de l’espoir, car nous nous disons que la place sera faite aux techniciens de tous bords avec les Chefs d’orchestre, les Architectes et Urbanistes pour penser globalement l’espace national et les autres espaces urbains. La Ville est un moteur de développement par excellence. La ville tchadienne n’utilise pas son plein potentiel. Sinon, comment est-ce que la Ville de N’Djamena pourrait tourner le dos à son fleuve alors qu’il n’existe pratiquement pas d’espace de loisir dans la ville ? Paris a valorisé la Seine, Ganvié au Benin et Venise en Italie vivent au quotidien avec l’eau qui est en réalité une bénédiction pour nos villes. L’eau donc l’inondation en soit n’est pas le problème, c’est comment nous assurons cette veille climatologique pour anticiper et adapter nos constructions pour éviter les catastrophes, c’est à ce niveau que l’interrogation devient intéressante. Les gens de 1er et du 2ième Arrondissement n’ont peut-être pas besoin de voiture ou de moto pour venir au Centre-ville. La navigation fluviale comme cheval de batail de certains Architectes comme Senoussi Ahmat Senoussi est une opportunité pour le transport urbain.

Un autre aspect casse-tête de vos concitoyens de N’Djamena est la question récurrente du transport urbain. En effet, Excellence Monsieur le Président, une ville bien planifiée et bien gérée n’a pas besoin de 10 policiers aux carrefours ou aux feux tricolores. Une ville bien planifiée s’autorégule comme le corps humain. Comme pour rire, si vous arrivez à N’Djamena et que vous voulez rencontrer un parent dont vous avez perdu l’adresse mais au moins qui a un engin, aller au Rond-point du pont à double-voie ou bien aller au rond-point Adoum Tchérré, il passera certainement par là ; car dans les ronds-points de Chagoua et de Démbe, ils peuvent passer en haut sur le semblant d’échangeur. Pour dire que la voirie urbaine de N’Djamena est à repenser complètement dans un cadre général d’aménagement de la Ville.

Sur la question de la révision du code des marchés, la dernière en date n’a pas encore fait 3 ans mais comme elle n’a pas été suffisamment inclusive, les anciennes erreurs y figurent toujours. Les marchés publics représentent une part importante dans le PIB National et pour ce faire, son processus d’attributions doit répondre aux critères de compétences en tenant compte de la préférence nationale. Car encourager les entrepreneurs tchadiens, c’est donner de l’emploi à des milliers de jeunes diplômés sans emploi.

En conclusion, nos villes au Tchad sont une juxtaposition des réflexions ponctuelles le plus souvent tenues dans nos rares hôtels de N’Djamena pour des perdiems et des photos destinées à inonder les réseaux sociaux, loin des populations qui continuent de croupir sous le poids des difficultés quotidiennes. Nous, techniciens, n’avons pas de couleurs politiques ; nous travaillons avec tout le monde. Car dans le dimensionnement d’une structure en béton-armé, le logiciel ne demande pas à l’ingénieur une contrainte liée à la politique.

Il en est de même pour les Architectes lorsque Hassan Fathy disait : « Les architectes ne conçoivent pas des murs, mais des espaces entre les murs ». Il voulait attirer l’attention des dirigeants qui limitent nos interventions aux ouvrages alors que nous anticipons sur le comportement des usagers et des utilisateurs futurs.

Ce message est en réalité un cri de cœur d’un technicien, mais à travers moi, celui de beaucoup d’autres voix, pour demander que la place de choix soit donnée aux Concepteurs que nous sommes pour réfléchir globalement Notre Espace National. Je vous remercie d’avance de l’intérêt que vous porterez à ce message.

Bekoye Doumde Irénée Architecte-urbaniste