OPINION- Ibni était très estimé par des millions de Tchadiens et des milliers d’Africains et d’Européens pour son intégrité, sa droiture et sa hauteur de vue. Il fallait donc blesser tous ces gens au plus profond d’eux-mêmes, et, en même temps, décomplexer la bande des griots et courtisans en leur assurant que l’honnêteté est un choix perdant et que seule la bassesse paie.

La fierté, l’honnêteté, la dignité et le travail fait sans calcul pour sa patrie sont donc des choix non seulement perdants mais aussi dangereux. L’exemple a été donné à travers le Professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh : torturé et exécuté pour rassurer les bouffons et ôter à la jeunesse toute idée de révolte contre l’ordre établi.

Chers parents, frères, amis et camarades,

Une paix réelle et un développement durable ne sont possibles au Tchad qu’avec la sincérité. Pour cela, les acteurs doivent être francs et non motivés seulement par l’argent, les postes de responsabilité lucratifs, les grades et le prestige. Sinon, tout s’effondrera à la moindre occasion.

Aujourd’hui plus que jamais, je continue sans relâche à concilier l’exigence de réclamer un droit naturel avec le souci d’une paix durable plus ou moins intégrée dans notre pays, sans haine particulière contre qui que ça soit, ni menée belliqueuse mais de façon ferme et engagée, toujours avec le besoin de cohésion sociale que nous devons tous défendre sans exception.

C’est donc toujours avec un esprit de pardon et non de revanche que je réitère humblement pour la énième fois au peuple tchadien et aux pouvoirs publics le droit le plus primaire de l’être humain de disposer de la dépouille de son père et/ou de voir sa sépulture afin que son âme puisse reposer définitivement en paix. Je le fais en mettant en avant l’intérêt supérieur de la nation.

L’Homme qui pardonne ou qui demande pardon comprend qu’il y a une vérité plus grande que lui. Le pardon est une option du cœur qui va contre l’instinct spontané de rendre le mal pour le mal.

En effet, le Professeur IBNI Oumar Mahamat Saleh était un homme historique, il avait les caractéristiques que recouvrent tous les hommes historiques, il était comme NELSON MANDELA en quelque sorte, il aimait la non-violence et toute sa vie a été émaillée de combat pour la non-violence et l’objectivité.

IBNI est devenu au fil des années un symbole, un patrimoine universel, de par sa sincérité, de par sa noblesse d’âme, de par son engagement pour une société plus juste et égalitaire, démocratique et prospère, respectueuse de la dignité de la personne humaine.  

Sa disparition tragique a une triple portée :

  • D’abord c’est une affaire de droit de l’Homme puisque les preuves sont établies qu’il a été arrêté à son domicile et il fut enlevé. Il a subi des traitements dégradants, cruels et inhumains qui mettent à mal la dignité de la personne humaine, et dès lors nous avions plus eu des signes de son existence. Par conséquent, les actes de torture et d’assassinat ne sauraient laisser indifférents les militants des droits de l’Homme ainsi que les institutions publiques internationales qui luttent en faveur des droits humains dont le premier est le droit à la vie. Plus précisément c’est un droit universel reconnu par ailleurs par le monde entier à la famille de revendiquer la dépouille de son membre, éventuellement pour lui réserver une sépulture digne de lui.
  • Ensuite, c’est une menace contre la démocratie, car le Professeur IBNI était un universitaire, leader de l’opposition civile démocratique. Il a professé comme toujours être contre la violence comme mode de prise ou d’exercice du pouvoir : il privilégiait la lutte démocratique et ne saurait faire autrement lui qui était connu sur l’échiquier international de par ses prises de position. C’est pourquoi toutes les structures et les personnalités politiques du monde entier chacun en ce qui le concerne et à sa façon, n’ont cessé de réclamer justice, du moins assez de lumière sur ce crime d’Etat. En soutenant la cause IBNI, ce faisant ils soutiennent la démocratie, c’est-à-dire un pouvoir élu, une alternance électorale périodique, la bonne gouvernance, les libertés publiques, notamment celle d’association et de la presse. Ces valeurs sont irréversibles et ils s’introduiront au Tchad.
  • Enfin, le cas d’IBNI est aussi une atteinte au savoir, car la communauté universitaire en particulier celle du Tchad qui en a tant besoin a accusé ainsi une grande perte. Ce qui justifie en toute logique toute la lutte que mène le Centre International de Mathématiques Pures et Appliquées (CIMPA) avec la Société Savante et Mathématique Mondiale qui a consacré un prix en sa mémoire.

Cette disparition a donc marqué la mémoire de ceux qui ont toujours à cœur de transcender les clivages claniques, régionalistes et ethnocentristes qui ont endeuillé à maintes reprises les Tchadiens. Car loin d’être l’homme d’un groupe ou d’une communauté, dans ce pays où les pouvoirs se sont toujours appuyés sur des formes de tribalisation des combats politiques, le Professeur IBNI avait su réunir des Tchadiens de toutes origines et de toutes confessions. Mieux encore sans doute, il était parvenu à dépasser la fracture nord-sud qui marque l’histoire du pays depuis son Indépendance. 

L’islam reconnait qu’il existe dans chaque être humain deux facultés mutuellement antipathiques : l’une c’est l’égo et l’autre c’est la conscience. L’action violente réveille l’égo et conduit inévitablement à la rupture de l’équilibre social. Tandis que l’action non-violente réveille la conscience et abouti à l’introspection, l’auto-évaluation et finalement une amélioration des relations sociales.

‘’ Et nous y avons prescrit pour eux vie pour vie, œil pour œil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent. Les blessures tombent sous la loi du talion. Après, quiconque y renonce par charité, cela lui vaudra une expiation. Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes ‘’. (Sourate 5, Verset 45) 

Dans un hadith rapporté par Al-Bukhari, le prophète Mohamed SAW a dit :

Aide ton frère, qu’il soit juste ou injuste. Et un compagnon de répondre : – Quand il est juste nous comprenons, mais comment pouvons-nous l’aider quand il est injuste ? – En mettant un terme à son injustice.

‘’ Ne faites pas de mal et ne rendez pas le mal pour le mal ‘’, il est même recommandé de rendre le bien pour le mal.  Repousse le mal par ce qui est meilleur. Nous savons très bien ce qu’ils décrivent. (Sourate 23, Verset 96).

Le coran nous dit à propos du Pardon :

‘’ Et celui qui endure et pardonne, cela en vérité, fait partie de bonnes dispositions et de la résolution dans les affaires ‘’. (Sourate 42, Verset 43)

‘’ Que vous fassiez du bien, ouvertement ou en cachette, ou bien que vous pardonniez un mal …. Alors Allah est Pardonneur et Omnipotent ’’. (Sourate 4, Verset 149)

‘’ Accepte le pardon lorsqu’on te l’offre, commande ce qui est convenable et éloigne-toi des ignorants ‘’. (Sourate 7, Verset 199)

À propos de la patience :

‘’ Ô mon enfant, accomplis la Salat, commande le convenable, interdis le blâmable et endure ce qui t’arrive avec patience. Telle est la résolution à prendre dans toute entreprise ‘’.

À propos de la justice et l’équité qui sont des principes fondamentaux :

‘’ Ô les croyants ! Soyez stricts (dans vos devoirs) envers Allah et (soyez) des témoins équitables. Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injuste. Pratiquez l’équité : cela est plus proche de la piété. Et craignez Allah. Car Allah est certes parfaitement connaisseur de ce que vous faites ‘’. (Sourate 5, Verset 8)

Mettez-vous à la place des autres. Si vous arrivez, vous ne serez plus capable de faire du mal à autrui.

La violence est comme un virus. Lorsqu’une personne a recours à la violence, d’autres aussi commencent à l’utiliser. Ainsi, la violence escalade avec de plus en plus de personnes prises dans le cycle. L’égoïsme, le désespoir et la peur poussent les uns et les autres à recourir à cette logique. Il n’y a aucune justification pour avoir recours à la violence car cette dernière est injuste d’où qu’elle vienne.

Résoudre un conflit par la violence aboutit à un résultat gagnant-perdant, où il y a une partie qui se sent lésée et frustrée. Une solution imposée par la partie la plus forte peut calmer la situation pendant un certain temps, mais il n’est pas durable et, généralement, le conflit rebondira plus tard. La victoire obtenue par la violence équivaut à une défaite, car elle est momentanée. Ce que l’on gagne par la violence, une violence plus forte nous la fera perdre.  Nous devrions renoncer à la voie de la violence et aller à l’encontre de l’autre par le dialogue, le pardon, et la réconciliation, pour reconstruire la justice, la confiance et l’espérance autour de nous. C’est à travers la non-violence que l’humanité sortira du cycle de la violence.

La violence et le conflit ne sont pas les mêmes : la violence est une manière de réagir au conflit. Réagir face au conflit de manière non violente demande plus de courage et constitue une arme plus puissante que la force. Face au conflit, nous avons toujours un choix comment réagir : en optant pour le chemin de la violence et la destruction ou bien pour le chemin de la non-violence et la construction d’un monde meilleur.

Beaucoup de gens défendent aujourd’hui le concept de combat juste mais je pense que nous devons surtout prôner la non-coopération avec le mal. L’idée de ne pas participer à un fonctionnement injuste, quel que soit l’injustice en question, de ne pas coopérer à l’injustice ne se résume pas à un retrait de la société, mais à organiser une non-coopération qui transforme la société. Eloignée de toute idée de neutralité et de toute idée de prise de pouvoir et surtout d’insurrection violente (ce qui parfois revient seulement à faire fonctionner la même injustice au profit d’un autre groupe social), l’idée de non-coopération fait partie du corpus même de la non-violence. Nous devons sortir des conflits en rejetant la vengeance, l’agression et l’esprit de revanche car la haine paralyse, embrouille et assombrit l’être humain.

Notre source d’inspiration doit être le sens exemplaire du courage et de la compassion pour ne pas être prisonnier de notre passé. Nous devons consacrer notre énergie à la réconciliation, en nous employant à concrétiser notre conception d’un Tchad paisible.

Le Tchad en tant que patrie n’est viable que dans l’unité de toutes ces composantes, le bienfait ou le mal d’un citoyen ne peut en aucun cas engagé la responsabilité d’un autre citoyen. La diversité de notre composante peut être mieux utilisé pour le progrès de ce pays que pour sa perte. Nous sommes tous responsables devant l’histoire, notre combat de tout instant et dans toute activité doit être résolument orienté vers l’unité et rien que l’unité du Tchad.

Du nord au sud, notre grand pays est riche de sa diversité multiethnique et pluriconfessionnelle, ce pluralisme naturel doit être un atout et non un frein pour refonder notre pacte social.

Enfin, j’appelle de tous mes vœux l’Etat tchadien à libérer tous les prisonniers politiques et à créer un cadre de dialogue en vue de faire la paix avec l’opposition armée et les Tchadiens exilés ou qui se sentent comme tels. Car au 21ème siècle, les rebellions, les prisonniers politiques, les exilés, les assassinats ne peuvent que détruire la crédibilité de tout gouvernement qui en sera tenu responsable. Les tragédies de l’histoire révèlent les grands Hommes mais ce sont les médiocres qui provoquent les tragédies.

Sur ce, je ne saurais terminer sans rendre hommage à tous les martyrs de notre pays sans exception, qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition, car rien dans la mort nous distingue.

Brahim Ibni Oumar