ENQUETE – Plus de deux millions de personnes vivant directement ou indirectement du secteur de la gomme arabique au Tchad broient du noir depuis plus de deux mois. A l’origine, un « message radio » du directeur général des Douanes et Droits Indirects bloque la sortie des camions transportant ce produit vers l’extérieur. Amalgame ou mauvaises interprétions des textes, le Tchad risque et perd gros !

Tout est parti d’un simple message radio du directeur général des Douanes demandant aux chefs des circonscriptions d’interdire l’exportation des « produits céréaliers jusqu’à nouvel ordre » pour sauvegarder l’autosuffisance alimentaire. Depuis la réception de ce « fameux » message, les services des Douanes bloquent toutes les exportations des produits issus de la nature. Or, la gomme arabique n’est pas une céréale.

Ce blocus, depuis plusieurs semaines risque d’avoir des conséquences économiques très graves sur ce secteur qui génère plusieurs milliards de devises annuelles au pays. Les différentes démarches menées par les exportateurs et les entités administratives tardent à débloquer la situation. Alors que la saison des pluies qui a déjà démarré dans certaines contrées du pays sifflera bientôt la fin de la saison de production.

Selon nos informations provenant des zones principales de production (Salamat, Sila, Batha, Hadjer Lamis, etc.), des milliers de tonnes de gomme arabique sont entassées dans les forêts claires d’acacia. Les producteurs ne savent à quel saint se vouer, les yeux tournés vers le ciel. Car, une première grosse pluie réduira des efforts de plusieurs mois à néant. D’après un producteur de la province du Salamat, aucun d’entre eux ne disposent d’un magasin de stockage. « Nous conservons ce que nous récoltons dans des hangars en pailles. Si une pluie arrive, tous les stocks de la gomme arabique s’envoleront. C’est un produit qui se dilue dans l’eau. Les autorités doivent tout faire pour nous sortir de cette léthargie. Si non c’est le chaos. Il faut plusieurs autres années pour s’en sortir » alerte le producteur.

Les collecteurs qui vivent au jour le jour de cette activité, cumulent plusieurs factures impayées. « Nous récoltons les gommes arabiques pour les producteurs. Nous sommes payés en fonction de ce qui est récolté. Depuis plus de 9 semaines, nous sommes sans activité. Ce que nous avons collecté n’est pas payé. Nous vivons le pire cauchemar de notre vie » raconte un collecteur du département de Dababa, dans la province de Hadjer Lamis.

Les exportateurs ayant épuisé tous les recours administratifs commencent à subir des pressions et des menaces de leurs partenaires extérieurs avec qui ils ont des contrats de livraison de la gomme arabique tchadienne, très prisée sur le marché international. Les camions qui ont quitté N’Djaména, il y a plus de deux mois vers l’extérieur, sont bloqués et déchargés à Moundou. Pourtant, la gomme arabique ne subit aucune utilisation ou transformation sur place.

Avec ce blocage, le risque d’exportation frauduleuse de la gomme Arabique de la province du Salamat vers le Soudan voisin est grand. Un exportateur explique que si les producteurs n’ont pas la possibilité d’écouler leurs produits sur place, ils sont capables d’explorer d’autres pistes. Il se rappelle qu’à une période, le Niger voisin a occupé le 2ème rang mondial des pays exportateurs, avec la gomme arabique du Tchad.

Les responsables d’une quinzaine d’entreprises exportatrices craignent que si la situation perdure, l’annulation des commandes les conduira inéluctablement à mettre les clefs sous les paillassons. « Il nous faut évacuer ce qui est en brousse avant le mois de juin. Nous pensons que le chef de l’Etat, qui a toujours accordé une place de choix au secteur privé, particulièrement au secteur agricole doit intervenir pour décanter la situation » appelle, un responsable d’une entreprise exportatrice.

Un autre prévient que si les partenaires extérieurs n’ont plus la possibilité de s’approvisionner à partir du Tchad, ils se tourneront vers d’autres pays. « Nous pensons que l’attitude de la douane est un frein à notre économie. En tant que régie financière, la douane doit faciliter les exportations et non constituer un blocage. La situation actuelle a des conséquences au-delà de nos entreprises qui ne peuvent plus honorer leurs engagements contractés avec des clients à l’extérieur du pays. Cela impactera la rentrée des devises au Tchad » s’emporte-t-il.

Justement des partenaires extérieurs commencent à multiplier des courriers pour demander des justifications aux entreprises tchadiennes avec lesquelles des contrats sont signés. « La gomme arabique est un produit d’importance systématique pour la production alimentaire allemande. Nous vous prions de faire tout votre possible pour transporter et embarquer nos commandes immédiatement sans aucun délai. Nous avons absolument besoin de la gomme pour la fabrication alimentaire et pharmaceutique » tonne, dans un courrier daté du 15 avril 2020, une entreprise allemande à l’une des entreprises tchadiennes contractantes.

L’Agence Nationale des Investissements et des Exportations (ANIE), qui a été saisie à cet effet, « peine à trouver une solution ». Les correspondances adressées aux plus hautes autorités n’ont pas produit les effets attendus. Sinon, des sources à l’ANIE relèvent qu’il est possible de lever ces « contraintes ». D’après ces sources, à la suite d’une de ses correspondances, la présidence de la République a saisi le ministre en charge du Commerce pour disloquer la situation. Le ministre en charge du Commerce a écrit à son collègue des Finances, sans obtenir une suite favorable.

« Ce sont des situations pareilles qui nous mettent en mal pour convaincre les investisseurs de venir au Tchad. Comment un directeur général des Douanes peut être plus puissant que son ministre. Franchement les exportateurs ont raison. Eux comme nous, avons exploré toutes les pistes sans aucun résultat parce que nous sommes face à un individu plus puissant que l’Etat » dénonce une source au ministère en charge du Commerce.

Les entrepôts pour le triage de la gomme arabique à N’Djaména sont vides. Les centaines d’employés sont mis en chômage technique. Le secteur de la gomme arabique est ainsi à l’arrêt mettant en péril la vie de plusieurs en danger.  

A savoir :

La gomme arabique est principalement utilisée dans l’industrie agroalimentaire, qui représente entre 60 et 80 % de la consommation. En effet, elle a deux fonctions importantes : elle empêche la cristallisation du sucre dans les produits qui en contiennent en grande quantité (comme les sodas par exemple). Elle agit en tant qu’émulsifiant, maintenant les corps gras uniformément distribués dans le produit, afin d’empêcher ces derniers de s’accumuler à la surface du produit et donc d’être facilement oxydés. Dans le Sud de la France, on peut la retrouver dans la composition du sirop d’orgeat ; elle est aussi présente dans le pastis et y apporte un goût frais et sucré.

En outre, la gomme arabique contient une quantité importante de fibres et est même vendue comme un supplément de fibres, généralement commercialisée sous le nom de fibre d’acacia. Une étude de la British Journal of Nutrition a montré que la supplémentation avec de la gomme arabique provoquait une augmentation des souches bactériennes, plus particulièrement des bifidobactéries et des bactéries Lactobacillus acidophilus. En œnologie, la gomme d’acacia Verek est utilisée pour stabiliser les matières colorantes des vins rouges et pour réduire les risques de casse cuivrique des vins blancs et rosés. La gomme arabique intervient dans la fabrication du  cuberdon belge. Elle est aussi utilisé dans d’autres domaines tels : le bâtiment, la peinture, la photographie, la céramique, la papeterie, etc. selon Wikipedia.