N’DJAMENA, 9 décembre (Xinhua) — Le secteur de la téléphonie mobile au Tchad, libéralisée depuis une quinzaine d’années, est en pleine expansion, tandis que les services proposés restent chers et que la qualité du réseau fortement critiqué.

Depuis 2000, date de l’octroi de la première licence, le secteur de la téléphonie mobile connaît une croissance exponentielle au Tchad. Ayant versé 191 milliards F CFA (382 millions USD, Ndlr) entre 2009 et 2013, au titre de diverses redevances d’impôts et taxes, il vient en deuxième position après les industries du pétrole en termes d’apport dans la croissance de l’économie du pays.

Si la téléphonie mobile se porte bien, c’est grâce notamment à deux opérateurs à capitaux étrangers: Airtel, propriété du groupe indien Bharti, et Tigo, filiale du groupe Millicom.

A côté de ces deux géants qui dominent le marché tchadien depuis quatorze ans (plus de 95% du chiffre d’affaires global), la Société tchadienne des télécommunications (Sotel) peine à se faire une place. La situation de l’entreprise publique qui détenait le monopole avant 2000, est aujourd’hui ridicule, comparativement aux deux autres opérateurs. Elle cumule un passif qui s’élève aujourd’ hui à 23 milliards F CFA (46 millions USD), et l’Etat tchadien veut s’en débarrasser. La procédure de privatisation piétine depuis plusieurs années, les employés jugent insignifiantes les mesures sociales proposées.

Parmi les 12 millions d’habitants que compte le Tchad, plus de 4,5 millions sont abonnés aux services à la téléphonie, selon le dernier rapport annuel de l’Observatoire du marché des télécommunications. Mais pour la plupart, les services proposés sont souvent hors de portée.

“Les tarifs d’interconnexion au Tchad sont les plus chers d’ Afrique subsaharienne”, affirme Moupeng Tabah, directeur des Etudes et Prospectives à l’OTRT.

Avec de tels prix, les communications ne peuvent se faire qu’en intra-réseau. Cela favorise également l’augmentation du phénomène multi-SIM qui est estimé à 35%. Pourtant, la baisse du tarif d’ interconnexion ferait, selon M. Tabah, augmenter considérablement le volume du trafic, et donc les chiffres d’affaires.

De même, la cherté du prix de connexion à internet fait que ce dernier a très peu de clients: fin 2013, seuls 14.689 consommateurs sont abonnés à l’internet fixe, tandis que 675.387 autres ont utilisé l’internet mobile, soit 6% de la population globale du Tchad. En réalité, il y aurait plus d’utilisateurs internet que les chiffres déclarés. Beaucoup d’utilisateurs internet au Tchad sont des “free riders” et profitent de l’ internet des administrations au lieu de chercher à s’abonner.

“Avec l’avènement de 3G et 4G, si les opérateurs téléphoniques et les fournisseurs d’accès à internet ne font rien pour baisser leur prix de connexion à internet, il se pourrait qu’ils n’aient pas le retour sur investissement comme il le faudrait”, explique le directeur des Etudes et Prospectives à l’OTRT.

Pour avoir accès à internet illimité d’un mois au Tchad à l’ heure actuelle, il faut débourser 50.000 F CFA, soit le tiers du salaire d’un travailleur moyen de la Fonction publique ou plus de 83% du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG).

Si les services de la téléphonie mobile sont chers au Tchad, leur qualité laisse également à désirer.

“Les ruptures d’appel sont fréquents, tout comme l’ indisponibilité du réseau. Et comme si cela ne suffit pas, on assiste à une nouvelle pratique de renchérissement des coûts des communications par des prélèvements de taxes et redevances multiples destinées aux secteurs qui n’ont aucun lien de causalité avec les TIC”, dénonce M. Daouda Elhaj Adam, secrétaire général de l’Association pour la Défense des droits des consommateurs (ADC).

Au début, l’Etat tchadien avait imposé, à travers une loi, une redevance audiovisuelle de 10 F CFA sur le premier appel passé ou message envoyé dans la journée. L’objectif était de percevoir près d’un milliard F CFA par an qui devront servir à appuyer la création artistique, la presse, la formation professionnelle dans le métier de la communication et les droits d’auteur.

Mais très vite, d’autres taxes ont suivi: 1,18 F CFA par appel téléphonique au profit du Fonds national de développement du sport (FNDS), 1 F CFA au profit du Fonds national de développement des sports, 50 F CFA par minute sur chaque appel international entrant au pays et 1.000 F CFA sur les contrats d’abonnement aux téléphones mobiles prépayés, etc.

“Ça fait trop de taxes pour le Tchadien qui vit avec moins de 1 USD par jour et qui paie déjà une TVA (taxe à la consommation, Ndlr) de 18%”, déplore M. Daouda Elhadj Adam.

Le 15 mars 2014, à l’occasion de la journée mondiale des consommateurs, les Tchadiens avaient observé vendredi une “journée sans téléphone” pour protester contre la mauvaise qualité, les coûts élevés des communications téléphoniques et des taxes que les pouvoirs publics ne cessent d’imposer.

Depuis trois ans, le régulateur multiplie les audits sur la qualité du réseau mobile: deux ont été réalisés en 2011, trois en 2012, un en 2013 et deux en 2014. “La poursuite des audits découle de la persistance des motifs d’insatisfaction, en dépit des précédents contrôles réalisés”, indique Idriss Saleh Bachar, directeur général de l’Office tchadien de régulation des télécommunications (OTRT).

Le dernier audit, publié fin novembre 2014, démontre que mis à part l’opérateur public Salam, qui n’a pas d’engagement vis-à-vis de l’instance nationale de régulation, les deux autres opérateurs de téléphonie mobile ne respectent pas leurs engagements: 23% seulement à Airtel, contre 38% pour Tigo.

Ces chiffres sont parlants et le régulateur se veut ferme. “Par rapport à ces résultats, nous avons pris des mesures correctives en référence aux lois et textes promulgués”, précise M. Saleh Bachar. Il ajoute que son institution jouera pleinement son rôle auprès des opérateurs afin de voir l’amélioration des services de télécommunications mobiles satisfaire le plus grand nombre de nos concitoyens”, conclut Idriss Saleh Bachar.