Ndjamena est au centre des attentions depuis un certain temps : les sommets régionaux et internationaux se succèdent, et les visites de l’investisseur étranger affluent. Le Tchad est en plein mouvement, dans l’œil du cyclone, devenu l’épicentre.
Ndjamena veut occuper l’échiquier continental et ainsi refaire son retard. L’importance géostratégique du Tchad est un atout potentiel à exploiter avec beaucoup d’habilité et de diplomatie de la part des dirigeants tchadiens.
Les autorités en charge des affaires publiques semblent déterminer à changer l’image d’un Tchad longtemps associé à un territoire habité par des chefs de guerre, pour paraphraser un ancien dirigeant de la République française. Sortir de l’ornière suppose de soigner le visage d’un Etat qui a longtemps été en déliquescence et absent du continent. La présence militaire tchadienne au Mali suscite chez les Tchadiens fierté et incompréhension. L’actualité au Tchad a été marquée tout le mois de février par cette action menée au nord Mali.

Enthousiasme…
Chaos, instabilité, intempéries de toute sorte… L’image du Tchad n’était pas glorieuse jusque là. Depuis le conflit au Mali, son image devient celle d’un pays puissant militairement, à la même enseigne que la France. Voir le Tchad aux côtés d’une puissance mondiale, soulève un sentiment fort de fierté nationale. L’armée tchadienne a été saluée comme étant la force salvatrice pour le peuple du nord malien. Dans les territoires libérés, le drapeau malien était arboré, et sa gloire chantée haut et fort. Pourtant, le pays n’a jamais rencontré autant de résonance chez cette population avant les guerres. Le décryptage à travers cet engagement montre que l’Etat tchadien a voulu envoyer des signaux forts au continent en général, et plus particulièrement à la sous-région.
L’enjeu est double. Tout d’abord, cette expédition militaire viserait à faire calmer les velléités guerrières de voisins immédiats de l’est du Tchad (Soudan, Libye). Dans le jargon diplomatique, il s’agit d’une dissuasion. En second lieu, le Tchad entend jouer le rôle qui est le sien : une mini puissance militaire sous-régionale, occupant une position géostratégique idéale. Cette montée en puissance n’est pas appréciée par tous les pays voisins qui ont une certaine méfiance vis-à-vis de ce pays considéré comme responsable et coupable de casus belli.

C’est l’occasion pour le président Deby d’exprimer plus fort ses idées panafricanistes qu’il ne cesse de répandre depuis un temps. Notamment son idée d’une Afrique responsable d’elle-même sur le plan sécuritaire, qui doit agir sans attendre l’aide des pays occidentaux. Le Mali apparaît comme un cas d’école pour cette politique. Le sommet extraordinaire de la CEN-SAD (Communauté des Etats sahélo-sahariens) ne vient que confirmer cette théorie; il y a été réaffirmé la volonté de créer une force permanente, à même de se déployer rapidement en cas de tension au cœur du Sahel. Dans la même optique, l’Union africaine a déjà émis le souhait similaire lors de son dernier sommet (janvier 2013). En effet, l’organisation continentale a décidé de mettre en place des forces armées dans les grandes régions du continent, prêtes à intervenir dans les conflits. Relever les défis politiques, sécuritaires et socio-économiques auxquels fait face la région du Sahel : le défi devient un test pour les pays concernés.

… ou scepticisme ?
Le Tchad est-il menacé au point d’engager une armée? Le Tchad, qui ne fait pas partie de la MISMA (Mission International de Soutien au Mali) a promis l’envoi au Mali de 2 000 soldats, autant que le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Togo et le Benin réunis, alors que le pays semble moins concerné par la menace immédiate du terrorisme-extrémisme jihadiste. Quel est donc le véritable enjeu d’un tel risque ? Tout légitimement, cette action suscite inquiétude et incompréhension chez beaucoup de Tchadiens et s’interrogent sur la nécessité d’une telle aventure périlleuse.
Cette aventure n’ouvrira-t-elle pas la porte à des menaces sur le pays ?
Ce pays comme bien d’autres de la région est fragile et maitrise très peu l’étendue de son territoire, vaste et avec des frontières poreuses. Beaucoup voient cet engagement comme un risque d’importer l’extrémisme religieux à nos portes.
Certes, le Tchad pratique un islam modéré moins rigoriste, mais reste très perméable aux discours idéologiques véhiculés par les groupes islamistes longeant les frontières immédiates du pays : à l’est, le Soudan et à l’ouest, le Nigeria. Ces deux pays sont considérés comme les terreaux de l’extrémisme avec l’histoire récente de Boko Haram au Nigeria et l’islamisme radical idéologiquement ancré qui sévit depuis des décennies au Soudan, ayant notamment des tentacules dans la partie est du Tchad.
La crainte de la population tchadienne repose sur le péril de l’effet boomerang qui se pourrait se produire sur le pays et sa population.

Le Tchad défend ses intérêts géostratégiques
Au-delà d’une simple image de faire-valoir qu’on attribue au Tchad aux cotés de la France, dont le seul but serait de satisfaire l’ancienne métropole coloniale, ou tout simplement taxer le régime en place de vouloir gagner la sympathie de l’Occident, il faut admettre qu’il y a de véritables enjeux politiques, économiques et sécuritaires pour le Tchad.
Nous voyons plutôt l’émergence d’un pays, auréolé par sa capacité militaire, qui veut s’affirmer un temps soit peu sur le plan stratégique et sur la politique de sécurité.
C’est avant tout un pays enclavé et menacé par la sécheresse, doté d’un destin commun avec ces pays du Sahel notamment le Mali et le Niger. Avec ce dernier, le Tchad a un projet de relier le pipeline nigérien au sien en vue d’une exportation du pétrole via le port Cameroun. Une route transsaharienne est sur le point d’être construite rapprochant davantage l’économie de ces deux pays d’une part, d’offrir d’autres alternatives au Tchad en terme de voie d’accès d’autre part. Le seul port maritime qui dessert la capitale Ndjamena est celui du port Douala au Cameroun. Ce nouveau projet nigero-tchadien permettra d’accélérer le processus de désenclavement du Tchad donnant accès aux ports du Cotonou (Benin) et ceux de l’Afrique du Nord. Surtout, ce désenclavement est vital pour l’économie naissante du Tchad et le besoin est pressant si le Tchad veut devenir un Etat prospère.
La présence d’intérêts géostratégiques capitaux peuvent justifier l’intervention du Tchad au Mali. Comme tout autre pays, le Tchad doit protéger ses intérêts.
Il faut retenir que c’est la première fois qu’on assiste à une sur-médiatisation d’une guerre dans laquelle est engagée ce pays, et c’est aussi la première fois que le Parlement est consulté. Pourtant, le Tchad s’était impliqué par le passé dans plusieurs conflits (RDC, Niger, Congo), preuve que le pays retrouve une certaine normalité dans sa gestion des relations internationales.

Toutes ces questions stratégiques et géostratégiques soulevées pourraient enfin servir des considérations économiques, géopolitiques et sécuritaires majeures pour le Tchad. Pour comprendre la place du Tchad dans l’équation nord-malienne, il faut se référer à son émergence récente sur la scène continentale : la République centrafricaine et le Mali ont montré à quel point les ambitions de ce pays sont autres qu’une simple vassalisation. Il joue l’équilibriste en essayant de soutenir à la fois les uns et les autres.
Mais la grande question qui taraude nos esprits est de savoir quelles seront les conséquences pour le Tchad après la guerre du Mali, aussi bien en terme de sécurité intérieure que d’enjeux géostratégiques.

 

Source : Le Journal International