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NETTALI.NET – A 51 ans, Mbacké Fall se voit précipiter au devant de la scène médiatique pour avoir réussi à faire délivrer un mandat de dépôt contre l’ancien Président tchadien, Hissène Habré, qui a passé 22 ans d’exil sur le sol sénégalais sans vraiment être inquiété des crimes de guerre qui lui sont reprochés.

« Est-ce vraiment la peine ce portrait ? », se demande Mbacké Fall, à peine la porte capitonnée de son bureau ouverte. L’homme hésite un peu, même s’il camoufle sa circonspection derrière une poignée de mains engageante et un sourire gentil. Dans ses yeux noirs, se lit une légère confrontation entre les pavés de dossiers qui jonchent son plan de travail où trônent un ordinateur portable et un Pc, et le petit salon en cuir qui, disposé de l’autre côté du spacieux office, donne un peu de chaleur à la froideur de l’endroit. Plongé dans ses principes de droit, le magistrat a laissé tomber la veste et envoyé promener ses chaussures de ville dans un petit coin. Et, l’intrusion dans son antre ne le décidera pas à quitter ses « thiarakh ». Lui, a la tête ailleurs, bien loin de son illustre image d’homme fort des Chambres africaines extraordinaires dont les bureaux flambant neufs, sis à la Cité Keur Gorgui, respirent le luxe discret.

« J’ai vu un vieux là-bas au Tchad qui avait dans son compte 400 millions de FCfa, et pour des problèmes d’ethnie, ils l’ont mis en prison et ont voulu lui faire signer un chèque. Il a refusé parce que tous les commerçants qui ont donné leur argent n’en sont pas sortis vivants. Il m’a dit : « Tu sais comment je me lavais ? J’attendais que le soleil soit au zénith pour sortir dans la cour et là, j’attendais de suer. Je mouillais mon T-shirt avec le liquide salé et je me le passais sur le corps pour diminuer la crasse », raconte Mbacké Fall.

Le temps de la chute de l’histoire, il jette un coup d’œil vers ses dossiers et entame une autre. « D’autres étaient détenus dans une piscine fermée par une chape en béton. Ils étaient entassés dans une chaleur ambiante de 43°et n’arrivaient pas à respirer. Y en a qui m’ont dit que c’est là qu’ils ont appris à reconnaître la mort. Quand une personne agonisait, ils se mettaient sur lui pour avoir un peu de fraîcheur. Il faut écouter ces gens-là pour savoir exactement ce qu’est l’horreur. Les Sénégalais qui soutiennent Habré ne savent pas ce qui se passe », s’indigne-t-il doucement, en gardant le sourire sur un visage marqué par la lassitude d’une dure journée de labeur.

Son besoin effréné de mener ses interlocuteurs hors des sentiers de sa vie privée ferait presque sourire. Celui qui a été propulsé sur le devant de la scène médiatique, le 30 juin dernier, jour de l’arrestation de l’ancien Président tchadien, Hissène Habré, tient coûte que coûte à rester dans la peau du Procureur général près les Chambres africaines extraordinaires. Un rôle qu’il joue depuis le 8 février, jour de l’installation des chambres africaines extraordinaires.

PARCOURS… MAGISTRAL ! La scène se passe lundi, au siège des Chambres africaines extraordinaires, lors de la conférence de presse tant attendue de Mbacké Fall. L’homme qui, après 22 ans de tergiversations de la justice, a enfin réussi à obtenir le mandat de dépôt de Hissène Habré. Après tant d’années de présence au Sénégal, l’ancien Président tchadien, accusé de crimes de guerre, s’est tissé un réseau impressionnant d’alliés et de sympathisants prêts, disent-ils, à tout pour ne pas voir leur « ami » finir ses jours en prison. Pour sa confrontation avec les journalistes, les éléments de la Brigade d’intervention polyvalente (Bip) n’ont pas fait dans la dentelle.

Encagoulés et armés jusqu’aux dents, les policiers ont soumis chaque visiteur à une fouille minutieuse, n’hésitant pas à brandir le détecteur de métaux. « C’est juste de la prévoyance parce que celui qui applaudit Habré va nécessairement insulter celui qui l’a mis dans cette situation. Mais je ne me sens pas particulièrement en danger, je n’ai pas changé mes habitudes, je travaille et le soir je rentre chez moi », sourit le magistrat. Mbacké Fall ne veut pas faire dans le mélodrame, mais l’œil exercé distinguera sans doute la présence furtive des agents en civil qui rôdent autour d’un homme qui s’est fait à la force du bras. Sans tache ni bavure.

Le primaire à 6 ans à l’école 12 de Pikine jusqu’en 1974. Ensuite, le Cse de Pikine, aujourd’hui rebaptisé Falilou Diop, pour le Diplôme de fin d’études moyennes (Dfem). Puis, direction le Lycée Limamou Laye. « Je fais partie de la première promotion qui a inauguré ce lycée entre 1979 et 1980 », informe-t-il. Le bac en poche trois ans plus tard, l’étudiant intègre la faculté de Droit de l’Université de Dakar où il décroche sa maîtrise en 1986. Une année de Dea plus tard, c’est le passage au concours de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) et en 1989, Mbacké Fall y sort jeune magistrat.

A une année du début de l’exil de Habré dont l’avion a atterri sur le sol dakarois en 1990. Il paraît prendre compte de l’incongruité de la situation pour la première fois. « J’étais loin de m’imaginer… », dit-il, suspendant, d’un ton rêveur, sa phrase. Les petites anecdotes croustillantes ne s’arrêtent pas là. Juge au siège civil et correctionnel, le magistrat a vu passer un autre accusé dans sa cour. « J’ai eu à juger Modou Diagne Fada qui avait été pris à l’Université pour entrave au fonctionnement des institutions universitaires. Je pense qu’il avait écopé de deux mois avec sursis et de 20 000 FCfa d’amende », se rappelle celui qui a été nommé par la suite Procureur à Kolda.

Contre son gré, le seul grincement d’un parcours bien huilé. « Par principe, j’ai attaqué la décision et… j’ai quand même fait 3 ans à Kolda », part-il dans une franche rigolade. Mbacké ne reverra Dakar que 6 ans plus tard, après être passé par la case Saint-Louis pour les mêmes habits de procureur. A son retour dans la capitale, il est nommé avocat général et affecté à la Cour suprême en tant que conseiller délégué.

« Il a été le premier à attaquer la loi Latif Guèye relative au trafic de drogue, demandant qu’elle soit (re)correctionnalisée. C’était courageux ! », dit de lui un avocat. Le procureur, lui, n’en fait pas grand cas, une nouvelle nomination a fini de le happer dans son sillon. Sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, relayée par le ministre de la Justice et validée par le président de la République, la commission de l’Union africaine a décidé d’installer Mbacké Fall, Procureur général près les Chambres africaines extraordinaires. Un statut bien loin des joies simples du petit banlieusard.

PINK FLOYD. Né à Grand-Dakar le 5 septembre 1962, le petit Mbacké commence l’école coranique à l’âge de 5 ans, jusqu’à la délocalisation d’Aynoumane 3 qui conduit la famille Fall à délaisser ce populeux quartier pour le grand air chaleureux de la banlieue pikinoise.

Là, le jeune garçon se met à l’heure des Navétanes. Mais, moins pour la passion du football que pour les instants de vie qu’ils offrent. « A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de frigos. Donc, on se fabriquait nous-mêmes nos rafraîchissements pour le stade. On prenait des bonbons qu’on faisait dissoudre dans une bouteille d’eau, on enterrait ensuite cette bouteille à l’ombre des canaris et à l’heure du match, on avait une bonne boisson fraîche. Les grands frères, eux, allaient au match avec leurs chaises pliantes et leurs parasols, le terrain était tracé avec de la poussière de charbons. Les gens s’amusaient, les couleurs étaient bigarrées. C’était vraiment une bonne ambiance, il y avait du bon football et pas de bagarres », narre-t-il, les yeux brillants.

Le soir, l’adolescent se shoote à la musique du Star Band et des Pink Floyd, ce groupe de rock progressif et psychédélique anglais. « C’était de la musique ! », dit le magistrat, qui continue à magnifier l’harmonie des instruments d’avec la voix en écoutant le Super Diamono d’Oumar Pène.

L’on pense alors tenir un musicien raté, le pressentiment s’envole comme Mbacké, emporté par ses souvenirs, se déchausse de ses « thiarakh » pour rester pieds nus sur l’épaisse moquette du petit salon. « Si je n’avais pas été procureur, j’aurais été journaliste. Comme Momar Lô, Sidy Lamine Ndiaye ou Ibrahima Bayo. Il y avait de très belles transitions, on quittait une actualité pour une autre sans s’en rendre compte. Bien loin du « Sans transition » que les journalistes utilisent maintenant », s’anime-t-il, rejetant la faute de son rêve brisé sur un journaliste qui baragouinait dans son reportage lors de la visite d’un Président. Peu importe, la vie trace bien les destins, ce polygame, père d’une dizaine d’enfants aime trop le calme des lieux déserts comme la plage de Malika pour s’aventurer au devant des projecteurs. Jusqu’à lundi dernier où l’affaire Habré l’a subitement projeté hors de l’anonymat de l’appareil judiciaire.

« Il fallait faire comprendre à l’opinion qu’il n y a pas d’acharnement. Pour toute la procédure à venir, je vais être entre deux avions et surtout au Tchad, il faut faire vite parce que la plupart des victimes sont vieux et esquintés par la torture. Il y a partout des charniers, il va falloir faire l’exhumation et faire la datation pour savoir si les ossements datent de l’époque Habré. Sinon, un avocat comme Me El Hadj Diouf va se lever et crier : « Qu’est-ce qui nous prouve que ce ne sont pas des éléphants qui ont été enterrés là-bas », conclut le Procureur général qui compte bien mettre hors d’état de nuire celui qu’il considère comme responsable des crimes internationaux commis au Tchad dans la période allant de 1982 à 1990.

Source: nettali.net