L’insécurité alimentaire risque de frapper durablement le Tchad. Non seulement en raison de la pandémie du coronavirus qui impacte le calendrier et les activités agricoles mais surtout, à cause de l’imminente invasion de criquets pèlerins. Sur le terrain, les structures en charge sont à pied d’œuvre pour éviter « une catastrophe alimentaire ».

Dans un appel lancé fin janvier, l’Organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), par la voix de son directeur général, QU Dongyu, a alerté sur « la recrudescence de criquets pèlerins qui risque d’engendrer une crise humanitaire dans la Corne de l’Afrique ». Il a même insisté sur des interventions urgentes dans les pays et zones à risques et à une mobilisation urgente des ressources financières. L’objectif est de « protéger les moyens d’existence et la sécurité alimentaire » et éviter que « les agriculteurs ne perdent pas leurs récoltes ».

Depuis lors, pour des raisons de laxisme administratif ou de négligence de la part des autorités en charge des questions agricoles dans tous les pays concernés, des dispositions adéquates ne sont pas prises. Comme on pouvait si attendre, l’essaim des criquets pèlerins avance et plusieurs pays sont déjà touchés. La Somalie, le Kenya ou encore l’Ethiopie sont gravement frappés. Tout près, l’Ouganda et le Soudan du Sud sont déjà atteints.

Criquets pèlerins au Kenya/Rfi

Le Tchad se prépare à la lutte

Au Tchad, suivant les simulations du Cirad, centre français spécialisé dans les recherches agronomiques, les insectes dévastateurs devraient atteindre les provinces frontalières avec les deux Soudan, entre les mois de mai et juin. Le dernier bulletin de l’observatoire acridien de la FAO pour le mois de mai se veut encore plus précis : « la reproduction des criquets pèlerins débutera au Sahel dès les débuts de la saison des pluies avec un risque d’apparition des essaims après mi-juin dans l’est du Tchad en se déplaçant en direction de l’Ouest vers le Niger, le Nigeria, le Mali, le Burkina Faso et la Mauritanie ».

Alors que nous sommes pile mi-juin, quelle est la situation réelle sur le terrain ? Selon Adoum Mahamat Tolli, directeur de l’Agence nationale de lutte antiacridienne (ANLA), « la situation acridienne actuellement au Tchad est calme. Aucune présence des criquets pèlerins n’a été signalée dans le pays ».

Toutefois, informe t-il, plusieurs dispositions sont prises pour limiter les dégâts. Parmi elles, environ 285 millions de francs CFA « pour l’acquisition de 5 véhicules tout-terrain, des pesticides (34.000 litres déjà disponibles et 40.000 litres en attente) et des kits de protection individuelle », révèle le directeur. Le tout, consigné dans un plan d’action d’urgence visant « à traiter entre 50.000 à 80.000 hectares ».

Malgré un retard que Adoum Mahamat Tolli justifie par la complexité de la lutte et la difficulté de mobilisation des ressources, deux formations ont débuté le 11 juin à Abéché. L’une sur les techniques de prospection pour repérer les potentiels sites de reproduction de ces criquets afin de les éliminer. L’autre sur les techniques de pulvérisation pour neutraliser les criquets et les potentielles larves et œufs qui devraient éclore.

« Cette situation crée une insécurité alimentaire sans précédent dans le pays »

Pour le Tchad dont le secteur agricole est déjà très menacé par la pandémie du coronavirus, l’ombre d’une crise alimentaire et nutritionnelle plane de plus en plus. Et la possibilité de voir débarquer une colonie de criquets ravageurs risque d’aggraver la situation. « 1 Km2 d’essaim compte environ 40 à 80 millions de criquets », ce qui représente « la même quantité de nourriture pour 35.000 personnes en une journée », informent les experts de la FAO.

Donc, « là où atterrissent les essaims, 80 à 100% de pertes de cultures et des pâturages sont attendues », avertit Adoum Mahamat Tolli. Une situation que le Tchad se doit d’éviter pour empêcher « la perte des revenus des ménages et des pâturages qui causent la transhumance ». Cette même transhumance qui engendre des conflits entre éleveurs et agriculteurs avec des conséquences désastreuses.