Les conseils municipaux des dix arrondissements de la capitale tchadienne renouvèlent leurs équipes dirigeantes. En toile de fond: les récurrents conflits de compétence avec la commune centrale.

Les premières élections communales de l’histoire du Tchad, organisées en janvier 2012 dans une quarantaine de communes, ont été une étape décisive de la politique de la décentralisation. Les maires et leurs adjoints sont élus au sein des conseils municipaux pour un mandat de trois ans renouvelable, selon la loi organique n°2 du 16 février 2000 portant statut des collectivités territoriales décentralisées.

C’est depuis juin 2015 que les équipes des premiers maires élus du Tchad devraient être renouvelées pour trois autres années, mais ce renouvellement a été retardé à cause notamment des attentats qui ont frappé la capitale et du processus ayant abouti à la présidentielle du 10 avril 2016.

Depuis jeudi dernier, c’est désormais chose faite: le premier arrondissement de N’Djaména a réaménagé son exécutif. Les neuf autres communes lui ont emboité le pas et le processus se poursuit. Dans la réalité, il s’agit d’un partage de postes entre le Mouvement patriotique du salut (MPS, parti au pouvoir) et ses alliés qui avaient raflé la majorité des sièges communaux.

Si ses prédécesseurs se sont heurtés à une farouche résistance, le délégué général du gouvernement auprès de la commune de N’Djamena, Dago Yacouba, est déterminé à faire changer le visage des différentes équipes dirigeantes.

“En dehors des événements circonstanciels qu’a traversés la capitale, il n’y a plus de raison aujourd’hui pour que les exécutifs municipaux ne soient renouvelés. Cela fait partie des priorités de l’autorité que je représente”, déclare-t-il.

“Nous avons constaté que certains maires font bien leur travail mais beaucoup d’autres trainent malheureusement les casseroles: morcèlement des espaces publics ou attribution illégale moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, incapacité notoire, etc. Pour toutes ces raisons, il faut que certains maires passent la main. Je suis choqué de dire que d’autres seront même suspendus bien avant, vu les désordres qu’ils entretiennent dans leurs circonscriptions. Des poursuites judiciaires s’en suivront selon les cas”, précise Dago Yacouba.

Bélélem Tao Job, le maire du 7ème arrondissement, l’un des plus peuplés, a déjà fait les frais de ce nettoyage. Il y a une dizaine de jours, il a été suspendu de ses fonctions pour attribution illégale des espaces publics et bassins de rétention d’eaux aux riches commerçants, détournement de pouvoir, etc.

Le délégué général du gouvernement se veut radical: le choix des nouveaux maires doit se faire “en toute liberté” et “sur certaines bases relatives à l’intégrité, à la bonne volonté et à la morale”. “Tous les maires en fonction qui ont failli à ces conditions vont quitter leurs postes quelles que soient les conditions”, prévient-il.

Ce mouvement de renouvellement ne concerne pourtant pas la mairie centrale qui a connu une longue instabilité à sa tête après les communales de 2012. Trois maires s’y sont succédé depuis: Djimet Ibet, Saleh Abdelaziz Damane et Ali Haroun, élu en janvier 2014.

Selon une loi de 2005 portant statut particulier de la ville de N’Djaména, la capitale “est organisée en une commune de la ville et des communes d’arrondissement”, toutes “dotées, chacune, de la personnalité morale et de l’autonomie financière”. Près de deux décennies après sa consécration, la décentralisation peine toujours à être appliquée correctement, et le transfert des compétences aux collectivités locales décentralisées n’est pas effectif.

“La loi liste plusieurs domaines tels que: éducation, santé et action sociale, culture, jeunesse, sports et loisirs, agriculture et élevage, etc. mais c’est paradoxal de voir que rien ne se concrétise sur le terrain”, explique Annaim Oumar Abderrahman, secrétaire général de l’Association nationale des communes du Tchad.

Il déplore que l’Etat prenne des textes pour attribuer les pôles de compétences sans garantir les ressources nécessaires pour le fonctionnement des communes déjà pourvues des élues.

“Beaucoup des collectivités territoriales décentralisées ne maîtrisent pas leur potentiel fiscal et ne disposent pas d’un plan de développement local propre à leur population, parce qu’il y a transfert des compétences sans le transfert des ressources”.

Ainsi, des difficultés persistent dans l’accomplissement des compétences, compte tenu, d’une part de la faiblesse financière et technique et, d’autre part, du manque des ressources humaines et de l’absence des textes d’application cohérents. Il faut également ajouter la réticence de la population à collaborer avec les élus.

Par ailleurs, la loi n°11 de 2004 portant régime financier et fiscal des collectivités territoriales décentralisées, énumère les ressources des communes: la taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties, la taxe superficielle, contribution des patentes, la taxe civique, la taxe sur la valeur ajoutée, la taxe sur les services publics, les amendes forfaitaires, etc. A ces ressources s’ajoutent les dotations et subventions de l’Etat. Ces taxes sont malheureusement l’objet de litiges récurrents entre la commune de N’Djaména et les communes d’arrondissement.

Pour y mettre fin, Annaim Oumar Abderrahman en appelle donc à la mise en place d’une intercommunalité, à l’application stricte des textes régissant le fonctionnement des collectivités territoriales décentralisées et à l’abrogation des textes qui ne répondent pas aux besoins du temps.