Le long de notre dossier sur le cinéma, nous avons abordé plusieurs angles en gardant toujours en tête le souci de booster le rendement et la compétitivité du secteur en perte de vitesse. La plupart des acteurs ont soulevé les préoccupations que nous sous-entendions tous, à savoir la faible professionnalisation du secteur et surtout, le manque de financement. C’est à ce point que nous consacrons notre article.

Un business modèle à définir

En soi, la question du manque de financement n’est pas étonnante. Le secteur est embryonnaire et toutes les parties prenantes ont leur part de responsabilité. La clé de voute à considérer ici est la difficulté à créer un marché rentable. C’est généralement le même problème dans la plupart de nos activités. Nous avons, nous tchadiens, du mal à construire des marchés autour de nos activités. Le milieu sportif ne saurait démentir. Les différents acteurs, n’ont pas encore su établir un business modèle efficient qui puisse drainer les ressources de façon autonome.

Cela tient peut-être à un fait qu’il ne faudrait pas négliger : beaucoup de films semblent ne pas se poser la question de la commercialisation de leur œuvre. Il n’y a pas, ou du moins on ne sent pas, de réflexion commerciale qui prédomine la construction du projet cinématographique tchadien classique. Les films étant ici conçus comme des capsules de sensibilisation non évolutives dont on étire la durée. Le cycle de vie de nos films est assez court et le travail de communication est bien souvent assez marginal. Les scénarios sont construits autour de la valeur morale qu’ils cherchent à transmettre, aucun fan service, aucun système de produits dérivés n’est envisagé. Il n’y a pas de circuit intégré pour booster les recettes du film, et dans de telles conditions il est difficile d’attirer des fonds autres que ceux des ONGs engagées dans le combat social. Et cela tient à un principe simple, le retour sur investissement. En l’absence d’une chronique box-office locale, on ne peut faire un benchmark efficace mais cela n’étonnerait pas que les films se vendent bien peu.

Une demande difficile à stimuler

Mais si le retour sur investissement est peu élevé, ce n’est pas la seule faute des projets eux-mêmes, c’est aussi parce qu’il est délicat de vendre de l’immatériel aux Tchadiens. Et ça, c’est un problème culturel dont pâtissent tous les arts. Les professionnels du cinéma tchadien se retrouvent alors pris en étau entre d’une part, une exigence de qualité nécessaire pour se démarquer (et donc chère) et d’autre part, un marché à l’atonie déconcertante et un financement au compte-goutte. Dans une telle situation, il revient à l’Etat de mettre tout en œuvre pour impulser les dynamiques devant servir à créer le marché.

Mais cette année encore il ne faudrait pas s’attendre à des miracles. Selon le décret de répartition du budget général, que nous avons parcouru, le ministère du Développement touristique, de la Culture et de l’Artisanat bénéficiera d’une ligne d’environ 1,8 milliards de FCFA pour mettre en œuvre son programme. C’est tout simplement le ministère le moins bien nanti, avec quasiment 0,7 milliard de moins que le secrétariat général du gouvernement en charge des réformes. C’est peu, trop peu pour booster le secteur quand on a idée de ce qu’il faut pour produire un bon film.

Des retombées multiples

On ne peut pas développer le tourisme, attirer des investisseurs si on ne retravaille pas l’image perçue. Cela passe par l’amélioration du soft power et le cinéma est un des moyens d’y parvenir. Du cinéma qui s’exporte, devrait être une priorité nationale. L’hyperpuissance américaine s’est construite aussi grâce au brainstorming servi à satiété par Disney et ses personnages intemporels allant des classiques Mickey jusqu’aux récents Avengers, qui connaissent une seconde vie encore plus emblématique avec le Marvel Cinematic Universe. Mais pour en arriver là, il a d’abord fallu investir une grande quantité de fonds publics pour créer le marché.

Cet apport de fonds publics, peut autant se placer comme garantie, subvention ou toute autre forme que notre créativité pourrait lui attribuer mais il est nécessaire. Le CNC en France, en tant que garant ou producteur en dernier recours, a tenu son rôle pour donner ses lettres de noblesse au cinéma français avant que les acteurs privés ne viennent s’y greffer. C’est simple, on ne peut pas dans un marché financier si peu profond et insignifiant que le nôtre, prétendre laisser le cinéma voler de ses propres ailes. C’est prédire de sa mort.

Le secteur du cinéma rapporte au Nigéria l’équivalent du PIB tchadien

CANAL+, Enquêtes d’afrique

Et pourtant le cinéma est rentable, c’est aussi un moteur de changement. Tout près d’ici, Nollywood, dont les premiers pas ne datent que de 1992, pèse déjà pour 3% du PIB du Nigéria. A titre de comparaison, cela fait l’équivalent du PIB tchadien, près de 10 milliards de dollars. Cette éclosion n’a été possible qu’avec le soutien financier du pouvoir central, qui continue d’ailleurs à y investir et à imaginer de nouveaux systèmes de financement avantageux.

S’inscrire dans la nouvelle économie

Il faut comprendre que le cinéma est rentable, c’est déjà une bonne raison d’y investir. Mais investir dans le cinéma, c’est aussi investir dans une filière intégrée large dont les externalités vont de l’immobilier aux sciences en passant par le divertissement et toutes les formes d’art intermédiaires. Le cinéma est l’un des moyens les plus faciles de s’approprier la technologie, de stimuler la créativité (c’est un art et c’est à ça que servent les arts) mais il nous sert tout autant à construire une identité qu’à consolider notre passé. La créativité est justement l’une des compétences clés identifiées pour les métiers d’avenir. Il est certainement temps, dans un monde de services où les gens investissent sur les talents et l’immatériel, de commencer à se poser la vraie question de l’immatériel dans notre économie. Devrions-nous continuer à nous considérer comme une économie d’hier ou prenons-nous le train pour celle de demain ?