N’DJAMENA, 3 juillet (Xinhua) — L’inculpation, mardi à Dakar au Sénégal, de l’ancien président tchadien Hissène Habré pour plusieurs chefs d’accusation dont “crimes contre l’humanité”, est unanimement saluée par les autorités actuelles de son pays d’origine, les associations de défense des droits de l’Homme et ses victimes.

Deux jours après son arrestation dans la capitale sénégalaise, où il vit depuis son éviction du pouvoir, M. Hissène Habré a été inculpé mardi pour les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et tortures perpétrés durant sa présidence de 1982 à 1990. Les juges des Chambres africaines, un tribunal spécial chargé de le juger, ont ordonné sa mise en détention provisoire.

Dans une déclaration faite lundi, le président actuel du Tchad, Idriss Déby Itno, s’est félicité de l’arrestation de son prédécesseur et son placement en garde à vue.

“Enfin! Mes frères tchadiens, mes soeurs tchadiennes, le calvaire de 23 ans est terminé. Hissène Habré vient d’être arrêté et écroué à Dakar par la justice sénégalaise, mandatée par l’Union africaine. Cet homme qui a eu à gérer le pays, mais qui a eu aussi à gérer d’autres régimes, avait commis beaucoup de mal, des crimes contre l’humanité dans son propre pays, contre son propre peuple”, a-t-il déclaré.

Deby Itno a rappelé les massacres des ethnies entières et des grands imams du Tchad, commis en 1978 et 1979, quand M. Habré était Premier ministre sous la présidence de feu Général Félix Malloum. “Pendant son règne, de 1982 à 1990, Habré a décimé des familles entières. Les charniers se trouvent dans toutes les régions du Tchad, oeuvre de son bras armé, la DDS (Direction de la Documentation et de la Sécurité)”, a ajouté M. Déby.

Une commission d’enquête sur les crimes et détournements commis pendant les années Habré, créée par le gouvernement tchadien après sa chute, a estimé à plus de 40.000 (dont 4.000 identifiées) le nombre de personnes mortes en détention ou exécutées au cours de ses huit ans de présidence.

Déby Itno a rendu un “hommage mérité” à son homologue sénégalais qui a permis que Habré soit, deux décennies après, rattrapé par l’Histoire. “Macky Sall vient de marquer l’histoire de l’Afrique, une Afrique de demain, débarrassée de tous les maux, une Afrique débarrassée de toutes les dictatures et de toute forme d’oppression.

Au nom de ces orphelins, au nom des parents de ces victimes, au nom des disparus ou ceux qui sont morts par suite des actions sinistres de la DDS, au nom du peuple tchadien tout entier, je lui rends hommage”, a-t-il affirmé.

Vendredi prochain, à l’appel du gouvernement, les populations tchadiennes sont conviées à sortir massivement “pour dire non à la violence et oui à la justice africaine”, au cours des marches qui seront organisées sur tout le territoire national.

Du côté des victimes de Habré, c’est également la satisfaction. “Hissène Habré qui était le lion, qui pouvait prendre quelqu’un et le bouffer, le tuer, est pris aujourd’hui comme un poulet”, s’est réjoui Clément Dokoth Abaifouta, président de l’Association des victimes des crimes du règne de Hissène Habré (AVCRHH).

Mardi, une centaine de ces hommes et femmes portent encore dans leur chair les séquelles de leur séjour dans les geôles de la DSS, ont tenu à exprimer, au milieu des youyous, de coups de sifflets et d’applaudissements, leur joie et leur reconnaissance à leur avocate, Me Jacqueline Moudeina, pour sa détermination dans ce long processus qui a débuté en 2000, date du dépôt des premières plaintes contre Habré devant les juridictions sénégalaises.

Pour Me Moudeina, l’arrestation de l’ancien président tchadien est une victoire collective. “C’est notre victoire, a-t-elle indiqué à ses clients. Si vous ne m’aviez pas accompagnée, on ne serait pas arrivé à ce stade”.

L’ancien dictateur est aujourd’hui en prison. Le procureur près des Chambres africaines, Mbacké Fall, a également ordonné la saisie de ses biens. Mais cela ne suffit pas à contenter ses victimes (elles sont près de 2.000 encore en vie, selon Me Moudeina) qui exhortent le Sénégal à le juger dans un bref délai. “Il (Hissène Habré, Ndlr) a commis beaucoup de dégâts, surtout humains. J’attends toujours de voir son jugement. Il est déjà âgé et si on n’arrive à le faire rapidement,il peut également succomber”, affirme Mme Nénodji Esther dont le père a disparu en 1984 dans une des prisons de Habré.

En son temps déjà, il a été jugé par contumace par le Gouvernement d’union nationale de transition, dirigé par le président Goukouni Wedeye, et a été condamné à mort. Cette décision de la justice n’a, malheureusement, jamais pu se réaliser. En 1996, la justice tchadienne avait jugé Habré et avait requis la peine de mort.

Outre Hissène Habré, cinq Tchadiens sont considérés comme des ” suspects” et ont été cités dans les faits reprochés à l’ancien président. Il s’agit de Guihini Koré, un neveu de Hissène Habré, Mahamat Djibrine, Saleh Younouss, Zakaria Berdeye et Abakar Torbo, présentés comme ses anciens collaborateurs.

Les trois premières personnalités et bien d’autres ont été mises aux arrêts il y a plus d’un mois, dans le cadre d’une procédure ouverte à N’Djaména, la capitale du Tchad.

Le président Déby Itno a promis que son pays va soutenir la justice sénégalaise, ouvrir toutes ses portes pour faire la lumière sur ce qui s’est passé pendant la période sinistre de son prédécesseur. Il a instruit la justice tchadienne de poursuivre tous ceux qui ont participé avec Habré à cette action macabre, précisant que “personne ne restera impunie”. Car, selon lui, “la main qui a exécuté a aussi une responsabilité, au même titre que Habré qui a conçu et mis en place une structure illégale, en dehors de toute légalité institutionnelle ou humaine; une structure mise en place seulement pour tuer et massacrer les Tchadiens”.

“Pour le repos de ceux qui sont morts, pour la tranquillité des vivants, le moment viendra où les vivants et les morts seront indemnisés par le gouvernement de la République du Tchad”, a conclu M. Déby Itno.

Par Geoffroy Touroumbaye