Mesdames et Messieurs les présidents de partis politiques de l’opposition,
Mesdames et Messieurs les Journalistes,
Permettez-moi de vous remercier d’avoir répondu à mon invitation. Nous sommes en période de vœux et je vais me soumettre au rite pour le faire, malgré les nuages d’incertitudes qui s’amoncellent dans le ciel tchadien. Bonne et heureuse année à tous les Tchadiens, et que 2017 fasse aboutir tous nos projets.
Je le fais du bout des lèvres pour garder toute ma lucidité, car, pour être sincère, je ne crois pas que cette année sera meilleure que la précédente. C’est un cycle que nous vivons depuis plusieurs années et un regard rétrospectif nous édifiera.
L’histoire retiendra que l’année 2016 a été marquée par une élection présidentielle encore plus calamiteuse que les précédentes, puisque, outre les fraudes et autres manipulations de la CENI, le candidat du MPS a perpétré un véritable coup d’état électoral pour l’emporter. Jamais, dans l’histoire contemporaine, une élection n’a été marquée par des tirs de dissuasion dans tout le pays, comme nous l’avons vécu le soir du 21 avril 2016, pour consacrer la victoire de M. Idriss Déby Itno. Ce fut l’œuvre d’une CENI aux ordres, soumise, partisane et indigne de sa mission, une CENI qui a commis un parjure. C’est pour cela que six candidats, ceux qui ont réalisé les résultats les plus significatifs, ont, d’une seule voix, rejeté ces résultats ainsi que ceux du Conseil constitutionnel, et déclaré M. Idriss Déby Itno illégal et illégitime. Cette position demeure encore la nôtre, huit mois après l’élection.
La nouveauté pour cette élection présidentielle, c’est que les six candidats ont publié leurs propres résultats jamais contestés, et qu’en dehors des faux chiffres de la CENI transmis pour aval au Conseil constitutionnel, ni la direction de campagne du candidat du MPS, ni son parti politique ne peuvent nous contredire avec des chiffres fondés.
Le candidat Idriss Déby Itno, comme à son habitude, a trompé les Tchadiens en menant une campagne pleine de promesses qu’il ne tiendra jamais. D’ailleurs, les Tchadiens qui ont appris à le connaitre le lui ont bien rendu en ne votant pas pour lui. Après s’être octroyé la victoire, il a prêté serment le 8 août 2016 devant un parterre de chefs d’Etat africains et a promis le paradis sur terre à ses compatriotes. L’euphorie de la fête passée, toute honte bue, il a fait prendre par son gouvernement, le 31 août 2016, un train de mesures qui sont un aveu d’échec de 26 années de pouvoir.
L’exercice du pouvoir par Idriss Déby Itno est en effet un véritable fiasco et une catastrophe pour le Tchad, qui pourtant a engrangé depuis 2003 des centaines de milliards de francs de revenus pétroliers. Où donc est passé cette manne tombée du ciel ? Comment le Tchad peut-il tomber si bas, au point de demander par ci par là des aides budgétaires ? Pourquoi tant de chantiers sont-ils à l’arrêt ? Comment un chef d’Etat peut-il être à l’aise quand les enfants du pays ne vont pas à l’école pendant quatre mois ? Un chef d’Etat digne de ce nom peut-il dormir tranquillement quand les hôpitaux de son pays sont devenus de véritables mouroirs, sans personnel médical ni médicaments ?
J’observe que nos dirigeants ont un comportement et des attitudes qui contrastent avec les réalités de tous les jours. C’est un drame que vivent les Tchadiens depuis l’année dernière, et c’est pour cette raison que j’accuse personnellement le président Déby d’en être le seul responsable. En effet, je l’accuse d’être le cerveau du bradage de notre pays ; je l’accuse d’avoir dilapidé les revenus du pétrole qui ont servi à ériger des fortunes personnelles colossales au détriment du pays ; je l’accuse d’avoir instauré l’impunité qui a institué les vols et les détournements. Je l’accuse d’avoir déstructuré l’Etat tchadien pour en faire un Etat informel où la Justice a perdu son indépendance et où, l’Administration publique, politisée, est fortement tribalisée ; je l’accuse de pratiquer une politique de division nationale en exacerbant les particularismes communautaires. Je l’accuse d’avoir toujours refusé de mettre sur pied une Armée nationale, disciplinée et au service de la Nation entière ; je l’accuse, enfin, d’envoyer les soldats tchadiens sur des théâtres d’opération extérieurs pour en tirer des avantages personnels.
Le président Idriss Déby Itno n’a qu’un seul souci et un seul programme : se maintenir vaille que vaille au pouvoir. C’est pour cela qu’il s’est attelé à vider de sa substance les acquis de la Conférence nationale souveraine ainsi que ceux de l’Accord politique de 2007. Toute sa démarche politique vise à restreindre les libertés démocratiques pour instaurer une dictature rampante qui s’impose aux Tchadiens au fil du temps. Cette entreprise de sape a presque atteint sa phase finale. Voici quelques faits révélateurs :
 Les médias publics, la radio et la télévision obligés de chanter les louanges du pouvoir à longueur d’antenne, sont devenus de simples services du ministère de la communication, ce qui constitue un grave recul de la démocratie ;
 Les médias privés sont sous une surveillance extrême et courent le risque d’être suspendus, voire traduits en justice, au moindre accroc ;
 Les violations des libertés sont devenues une pratique courante avec des arrestations fréquentes ou des embastillements des citoyens qui vivent la peur dans le ventre ;
 Les réunions publiques sont systématiquement interdites, qu’il s’agisse de meeting ou de marche pacifique ; en province, les simples conférences de presse sont interdites !
 Les services de sécurité, en particulier l’ANS (Agence nationale de sécurité), traquent les militants de l’opposition jusqu’à violer leur intimité, pour les intimider, voire les obliger à rejoindre le parti au pouvoir ;
 L’ANS, encore elle, viole systématiquement la vie privée des citoyens en écoutant leurs conversations téléphoniques, alors que cela est illégal.
Le deuxième événement marquant de 2016 est incontestablement la fameuse crise économique gérée à tort et à travers par le gouvernement. Si la bonne gouvernance était de mise dans notre pays et si les règles de prudence élémentaires étaient appliquées dans la gestion, nous n’en serions pas là. Malgré nos mises en garde de ces dernières années, le pouvoir a dépensé les revenus du pétrole comme s’ils étaient inépuisables, pour nous conduire à la banqueroute dont nous vivons les conséquences. Au lieu de prendre de bonnes mesures dans le consensus, le gouvernement s’est enfermé pour prendre des décisions sans portée véritable.
Dès lors, nous comprenons et soutenons les syndicats qui ont déclenché une série de grèves qui vont bientôt paralyser le pays. Au lieu de s’inscrire dans la logique du dialogue et de la concertation, le gouvernement, a choisi l’affrontement et l’intimidation. Le vote par l’Assemblée nationale d’une loi inique sur le droit de grève ne fera qu’accentuer les divergences. Pour notre part, nous recommandons fortement le retour à la table de négociations pour mettre fin à ce drame que nous vivons.
Le troisième événement de l’année 2016, selon moi, est la motion de censure introduite à l’Assemblée nationale et boycottée par la majorité. Après les manœuvres orchestrées par le président de l’Assemblée nationale, la majorité a fui le débat dont le gouvernement ne voulait pas. En effet, les députés de l’opposition voulaient débattre des graves problèmes qui minent le pays, mais le pouvoir ne l’entendait pas ainsi. C’est une autre preuve du recul de la démocratie. Comment un gouvernement qui dispose d’une majorité écrasante peut-il fuir un débat démocratique ? Si ce débat avait eu lieu, et j’espère qu’il aura lieu un jour ou l’autre, nous voulions en effet interroger le gouvernement sur des points précis dont voici un échantillon : les 60 villas de l’Union africaine, le Grand hôtel tout proche ; les immeubles de la télévision, des ministères des finances et des affaires étrangères, ceux achevés de la santé et de la Justice, de la Cour suprême et du Conseil constitutionnel, les locations de maisons pour abriter les services publics ; la gestion calamiteuse du PNSA, la politique hasardeuse de la mécanisation agricole ; le bitumage approximatif des routes, la création d’unités administratives à la pelle ; les grades anarchiques accordés aux militaires ; le sac des régies financières et en particulier les douanes, la gestion scabreuse de Cotontchad, et j’en passe…
Pour finir, je vais faire l’état des lieux de l’opposition tchadienne qui, de mon point de vue, se porte bien. Je reviens à l’élection présidentielle du 10 avril 2016 pour rappeler modestement que nous l’avons remportée haut la main. Idriss Déby Itno et ses partisans ont beau s’agiter et jouer aux vainqueurs, ils ne convaincront personne. D’ailleurs, eux-mêmes en sont-ils convaincus ? Non, le boubou de vainqueur ne leur sied pas, et c’est bien pour cela qu’ils sont empêtrés dans des problèmes et qu’ils n’arrivent pas à s’en sortir. Ils n’y arriveront jamais, car il leur manquera toujours l’essentiel, la légitimité du peuple. Nous devons rester dans cette logique du refus et continuer de le déclarer illégitime.
C’est dans cette logique qu’il faut saluer la création de nouveaux regroupements politiques imbus d’une nouvelle dynamique, comme le FONAC. L’essentiel pour l’opposition, c’est d’œuvrer, dans sa diversité, dans une opposition plurielle qui combat un adversaire commun. La seule recommandation que je ferai est d’agir dans l’unité et la solidarité. La vigilance est de mise et nous devons nous méfier des agents du pouvoir qui empestent nos rangs pour nous miner de l’intérieur. Ils sont parmi nous tous les jours, ils nous ont infestés, se faisant passer pour des opposants qu’ils ne sont pas, puisqu’ils sont au service du MPS à qui ils rendent compte assidûment.
Je salue la création récente du Mouvement pour l’Eveil Citoyen (MECI) dont la plate-forme a été signée par des partis politiques, des associations de la société civile et des personnes ressources. A en juger par les réactions du MPS et de ses affidés, les créateurs du MECI ont vu juste car le pouvoir tremble déjà avant qu’il ait commencé ses activités. Le MECI mérite notre soutien et nos encouragements pour que les actions qu’il ne va pas tarder à entreprendre remportent des succès.
Je crois que le pouvoir devrait abandonner ses fanfaronnades et sa vanité pour se mettre à l’écoute du peuple. Le message à la nation du président Déby le 31 décembre est d’une cécité politique malheureuse. Tout le monde l’attendait pour écouter ses solutions à la crise politico-économique du pays, il est resté sur la touche et n’a satisfait personne. Déçus, les Tchadiens se sont plutôt reportés sur les propos pirates qu’il aurait tenus devant le bureau politique de son parti et les partis alliés. C’est à ceux-là qu’il a préféré donner des explications et des chiffres sur la crise. Sans convaincre.
Les Tchadiens en ont assez d’être la risée des autres pays africains parce que leurs dirigeants sont ridicules et passent leur temps à naviguer à contre-courant de l’évolution du monde. Les Tchadiens en ont assez d’être les gendarmes de la sous-région pour être récompensés par la seule garantie que leur dirigeant peut se perpétuer au pouvoir. Les Tchadiens exigent que leurs enfants n’envient plus leurs camarades des autres pays, car ils ont assez de ressources pour mieux réussir que les autres.
En conclusion, il y a un fossé entre les gouvernants et le peuple. Le président Déby s’obstine à poursuivre la gestion solitaire du pouvoir. Ce sont cette arrogance et le mépris qu’il affiche qui ont conduit le pays dans le gouffre actuel. Dialoguer pour sauver le pays ou s’enfermer pour s’enfoncer ? A lui de choisir…
Je vous remercie.