Au Tchad, les pouvoirs publics et la société civile misent sur la sensibilisation et la formation pour venir à bout des phénomènes qui minent l’épanouissement de la jeune fille: mariage précoce, mutilations génitales et sous-scolarisation.

Depuis lundi, des dizaines de femmes, venues de différentes régions du pays, sont formées sur les techniques de communication interpersonnelle et sur les pratiques familiales qui favorisent la santé de la mère et de l’enfant, de la famille et de leur protection contre les maladies contagieuses. La formation est l’initiative de l’Union des associations féminines arabophones du Tchad (UAFAT).

“Cet atelier de formation se justifie à plus d’un titre d’autant plus que certaines données statistiques sont déplorables et méritent une telle action. Près de 9 enfants sur 10 n’ont pas d’identité civile. Seulement 12% des naissances sont enregistrées”, déclare Mme Kade Elisabeth, ministre tchadienne de la Femme, de la Protection de la petite enfance et de la Solidarité nationale.

A la défaillance de l’enregistrement sur l’état civil, la jeune fille tchadienne est confrontée au lancinant fléau du mariage précoce.

“Le taux de mariages précoces est très élevé au Tchad. C’est le troisième pays où le mariage des enfants est le plus répandu”, indique Mme Achta Abdouramane Aboubakar, du bureau local de l’Unicef.

Selon une étude réalisée par l’Unicef en 2013, le taux du mariage précoce est de 68% au Tchad et concerne essentiellement les filles. C’est l’un des dix pays d’Afrique les plus touchés par le problème; il est deuxième derrière le Niger avec un taux de 76%. Les prévisions montrent que si rien n’était fait, le taux de mariage d’enfants sur le continent, dont la moyenne est de 40%, doublerait d’ici 2050.

Ce sont 68% des filles au Tchad, soit presque 7 sur 10, qui sont mariées avant l’âge de 18 ans, selon une enquête mixte conduite en 2014. Le phénomène dit “des mariages précoces” est aujourd’hui profondément ancré dans les traditions et les mœurs de nombreuses familles et communautés. Si plusieurs facteurs peuvent expliquer l’enracinement de ce phénomène dans les sociétés tchadiennes, les pesanteurs socioculturelles, la pauvreté, les conflits et les inégalités basées sur le genre en constituent les causes principales.

La même enquête de 2014 indique que près d’une fille sur deux au Tchad est victime des mutilations génitales féminines. De 2010 à 2014, ce sont 44,2% des femmes âgées de 15 à 39 ans qui ont subi une forme de mutilation. Cette année, ce taux est de 38%. Les mutilations génitales sont en léger recul, mais “chaque année, des milliers de femmes et de filles subissent cette pratique pour des raisons culturelles ou non thérapeutiques”, observe Mme Moudalbaye Appoline, secrétaire générale adjointe du ministère tchadien de la Femme.

“Cette faiblesse de protection des enfants est liée à la pauvreté des parents, à l’insuffisance qualitative et quantitative des services sociaux de base, aux croyances traditionnelles et à l’instabilité familiale”, reconnaît Mme Kade Elisabeth. Certaines communautés au Tchad considèrent en effet les mutilations génitales comme un rite de passage ou comme une cérémonie d’initiation marquant la transition ou le passage de l’enfance à l’âge adulte. Elles sont pratiquées par la majorité des populations du sud, du centre et de l’est du pays.

La première conséquence du mariage précoce est donc la déscolarisation. Les faits constatés montrent en effet que les filles qui sont mariées précocement, interrompent leurs études à l’âge de 12 ans ou 13 ans. Dans la zone méridionale du Tchad, où opèrent certaines organisations non-gouvernementales, les problèmes de l’éducation des enfants et de la santé mère-enfant restent un goulot d’étranglement.

Une étude récente diligentée par la World Vision Tchad, une ONG américaine, qui a évalué la performance de l’Etat dans la mise en œuvre des politiques nationales relatives à la santé de la mère et de l’enfant ainsi que l’accès des enfants à l’école, montre que l’état de pauvreté des populations les expose à certains comportements entraînant la déscolarisation d’un grand nombre d’enfants utilisés comme main d’œuvre dans des travaux champêtres ou ménager (17,5%), un enfant scolarisé étant considéré dans ce contexte comme un manque à gagner pour les travaux champêtres et ménagers.

La modicité de moyens financiers dans un contexte culturel machiste privilégie l’envoi des garçons à l’école au détriment des filles (7,1%). Au-delà du simple refus de les envoyer à l’école, précise le rapport, d’autres considérations prévalent dans ce refus pour raisons de grossesse précoce (44,6%). A cela s’ajoutent l’éloignement des écoles, une insuffisance de matériels didactiques.

“Ces chiffres sont préoccupants au regard des conséquences dévastatrices que subissent en silence ces jeunes filles”, déplore Mme Achta Abdouramane Aboubakar.

“Le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre des programmes et projets en matière de santé de la reproduction, de scolarisation des filles et d’état civil, afin de relever le défi”, affirme la ministre de la Femme.

Le gouvernement tchadien a en effet adopté et ratifié, ces dernières années, beaucoup de textes nationaux et internationaux pour protéger les femmes et les filles, dont une ordonnance en 2015,  interdisant le mariage des enfants. Mais les effets de cet arsenal juridique ne sont pas encore très palpables, et les travailleurs sociaux ont appelé aux efforts pour la sensibilisation et la formation de la population.