RENCONTRE – Sorti de prison le 8 janvier 2020, Mahamat Nour Ibedou s’est confié à nous lors d’un entretien. Découvrez ses premières impressions.

Visage d’un ancien détenu. Voix faible, Mahamat Nour Ibedou respire de nouveau la liberté. Le mercredi 8 janvier, le juge d’instruction a prononcé un non-lieu dans sa mise en cause pour meurtre et complicité de meurtre. Et depuis sa libération, il est sans repos. Amis, activistes, hommes politiques, acteurs de la société civile se succèdent pour lui remonter le moral.

Malgré ses 64 ans et les séquelles de sa détention, il se tient toujours debout pour accueillir ses hôtes. Pour la discrétion de notre entretien, le natif de la province du Guéra, nous isole dans une autre pièce du siège de la Convention tchadienne pour la défense des droits de l’homme (CTDDH), ce vendredi 10 janvier.

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Au fond de la salle, tout est encore insalubre. Une couche poussiéreuse couvre encore la table du bureau. En prêtant attention, Mahamat Nour Ibedou tire une chaise. Il prend confortablement place comme s’il voulait combler un mois et cinq jours qu’il n’a pas occupé ce fauteuil. Le temps de poser la première question, il glisse son index sous son verre correcteur pour rincer son œil gauche. Ses premières impressions sont mêlées de soulagement et de frustration.

« C’est une impression de liberté. Mais quelque part j’ai un cœur gros parce que j’ai laissé des gens qui ne méritent pas d’être en prison. J’ai de même un sentiment de soulagement, parce que, j’ai été victime d’une machination. J’avais été détenu arbitrairement », accuse-t-il.  « Vous savez que le même juge d’instruction qui avait délivré le mandat de dépôt est le même qui, après un mois et cinq jours, vient prononcer un non-lieu pour moi. Ça veut dire que qu’ils reconnaissent eux-mêmes qu’ils ont connu quelque chose d’effroyable à un innocent », estime-t-il.

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Mahamat Nour Ibedou ou l’ancien professeur au lycée Félix Eboué a élevé légèrement le ton pour répondre à cette seconde question sur la confusion quant au mobile de son arrestation.

« Si la CTDDH avait peur, elle n’allait pas dénoncer certaines choses délicates. Et vous savez que la première convocation de la Police était venue suite à une plainte déposée contre la CTDDH pour diffamation. C’est parce que nous avions dénoncé les agissements d’un proche du chef de l’Etat qui torturait des gens dans son jardin. Nous nous sommes rendus là-bas et nous avons reconnu d’abord avoir publié ce communiqué et comme ils nous demandent des preuves nous nous sommes engagés à en fournir. Nous avions accepté et nous avions signé le procès-verbal à la Police. On était sur le point de rentrer quand ils nous ont rappelés pour nous parler des crimes, des mails, je ne sais pas quoi. Donc c’est après que nous apprendrons que quand on sortait, l’ordre est venu demandant à la Police de m’arrêter coûte que coûte. Donc ils n’ont pas trouvé autre chose que de coller des faussetés que l’on veut que vous puissiez le constater ».

C’est pour la énième fois que Mahamat Nour Ibedou passe derrière les barreaux au nom de la CTDDH. Sa dernière arrestation en décembre 2019 a fait couler beaucoup d’encres. Certaines langues vont jusqu’à soutenir qu’il a été arrêté simplement pour avoir conseillé les partenaires du Tchad à ne pas financer les élections législatives en gestation. Sur cette question, voici sa réponse.

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« Je ne pense pas avoir dit ça exactement. Même si j’ai dit ça je serai fier que l’Union européenne refuse de donner un franc CFA à ce pays. Figurez-vous que tous les financements de l’Union européenne ou bien des bailleurs en général finissent dans des comptes privés. Et ça c’est au détriment des peuples tchadiens qui doivent payer des factures plus tard sans avoir bénéficié du moindre franc de ces financements.  Et là si vous insinuez que j’ai dit ça je serai fier de l’avoir conseillé. Si j’ai dit ça je vais dire oui j’ai dit ça et je le dirai. C’est nécessaire tant que j’aurai l’occasion de le dire, je conseillerai toujours l’UE de pas financer ce pays parce que ça ne sert à rien de mettre une dette sur le peuple tchadien. »