Pour sortir de la récession et soutenir une relance économique progressive, le Tchad doit accroître fortement sa production agricole et améliorer les conditions sécuritaires, tout en comptant sur une stabilité des prix du pétrole, relève la Banque mondiale dans son rapport semestriel portant sur des questions de développement clés au Tchad et dans la sous-région du Sahel, présenté mercredi par vidéoconférence.

Le Tchad se remet lentement d’une profonde récession. L’économie s’est contractée d’environ 3% en 2017 après avoir chuté de 6,3 % de 2016, selon la Banque mondiale. Suite à la chute drastique des prix du pétrole en 2014, la croissance est plus lente et elle a diminué plus vite que son potentiel, créant un écart de production négatif considérable. Cet aspect transparaît également dans la forte baisse de l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC), qui se remet lentement d’une déflation de -1,1 % en 2016 et -0,7 % en 2017. «En 2017, le secteur primaire a contribué à la croissance à hauteur de 1,3 point de pourcentage, stimulé principalement par l’agriculture et le secteur pétrolier. Les contributions des secteurs secondaire et tertiaire ont reculé de -0,2 et -3,9 points de pourcentage respectivement, freinées par un manque d’investissement en capital ainsi que d’importants arriérés intérieurs», a expliqué Mme Soukeyna  Kane, directrice régionale des opérations de la Banque mondiale pour le Tchad, le Mali, le Niger et la Guinée Conakry.

Le déficit du compte courant extérieur a baissé de 13 % du PIB en 2016 à 5,2 % en 2017. Les importations se sont contractées de -1,3 % en 2017 en raison d’une consommation privée morose et des mauvaises conditions sécuritaires le long de la frontière Nigeria-Tchad. Cependant, la hausse légère des prix du pétrole a stimulé les exportations de pétrole.

«Le gouvernement est resté déterminé à poursuivre l’assainissement budgétaire en 2017», a affirmé Jose Lopez-Calix, responsable régional des programmes macroéconomiques. Les dépenses totales ont stagné à environ 15 % du PIB en 2017. Contre toute attente, la masse salariale a connu une légère hausse, passant de 7.5 % du PIB non pétrolier en 2016 à 7.8 % en 2017. Les recettes totales ont grimpé de 12,9% du PIB en 2016 à 13,4 % en 2017 à mesure que les prix du pétrole ont commencé à croître en fin d’année. Par conséquent, le déficit budgétaire global a chuté de -2,6 % du PIB en 2016 à -1,4 % en 2017. Enfin, le déficit de financement de 2017 a été comblé par des prêts concessionnels externes et une accumulation d’arriérés intérieurs.

Après plusieurs tentatives de restructuration de la dette commerciale envers Glencore en 2017, un accord a été conclu en février 2018. Les conditions de la restructuration sont les suivantes: une période de grâce de 2 ans, une maturité de 12 ans au lieu de 7 ans et une réduction du taux d’intérêt de 7,5 % à 2 % au-dessus du taux interbancaire offert à Londres (LIBOR). «Cet accord ainsi que les progrès de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) en matière de restructuration des échéances des avances fournissent l’espace budgétaire nécessaire pour combler le déficit de financement de 2018, et il place à nouveau la dette extérieure sur une trajectoire viable», a noté M. Jose Lopez-Calix.

«Même si les taux de pauvreté ont diminué depuis 2003, la croissance démographique a fait croître le nombre absolu de personnes pauvres et vulnérables», relève le rapport. Les données d’une enquête réalisée auprès des ménages en 2003 et 2011 indiquent une légère amélioration. En 2003, 36 % de la population vivaient dans l’insécurité alimentaire, 55 % étaient pauvres et 76 % vulnérables. En 2011, ces taux ont diminué à 2g %, 47 % et 68 %, respectivement. En 2011, on comptait environ 6,8 millions de personnes vulnérables au Tchad (soit la moitié de la population actuelle), contre 5,7 millions en 2003.

Pour la Banque mondiale, la reprise progressive de l’activité économique au Tchad dans les deux prochaines années dépendra des prix du pétrole relativement forts et soutenus, ainsi que d’une aide budgétaire extérieure constante. La croissance du PIB réel devrait atteindre environ 2,6 % en 2018, justifiée par deux facteurs clés: la croissance des exportations, pour laquelle une accélération de 3,6 points de pourcentage est prévue alors que le prix du pétrole reste élevé, et une reprise progressive de la formation brute de capital fixe. «Etant donné la poursuite de politiques budgétaires et monétaires strictes, il est peu probable que l’écart de production se comble à moyen terme», tempère le document.

La hausse des exportations de pétrole entraînera une reprise, et l’économie non pétrolière suivra progressivement. Le déficit du compte courant extérieur devrait encore diminuer pour atteindre 4,4 % du PIB en 2018, et les réserves imputées seront reconstituées progressivement en 0,4 mois environ de couverture des importations.

L’excédent budgétaire global devrait atteindre 0,6 % du PIB en 2018 et osciller autour de 0 % à l’avenir. Les investissements publics devraient augmenter lentement pour passer d’environ 4 % du PIB en 2017 à 4,5 % en 2020.

Pour un seuil international de pauvreté de 1,90 dollar par jour en parité de pouvoir d’achat, la pauvreté devrait diminuer de moins de 1 point de pourcentage entre 2018 et 2020. Avec une croissance démographique annuelle de 3,3 %, le nombre de personnes pauvres augmentera d’un demi-million d’ici 2020, portant ainsi le nombre absolu de pauvres à environ 6,6 millions (contre 4.7 millions en 2011).

«La reprise économique du Tchad reste fragile et pourrait être moins bonne que prévu», prévient la Banque mondiale. En effet, l’austérité prolongée alimente les tensions sociales, et la détérioration des conditions de sécurité pourrait rapidement perturber l’activité économique, décourager les investisseurs et peser davantage sur les finances publiques en augmentant les dépenses sécuritaires. L’instabilité politique, caractérisée par les fréquents remaniements du gouvernement, pèse sur la croissance économique. Avec environ 20.000 nouvelles personnes arrivées de République centrafricaine, la crise actuelle des réfugiés reste un problème face à l’espace budgétaire très limité du gouvernement. Enfin, la volatilité des prix du pétrole pourrait réduire les contributions du secteur pétrolier à la croissance du PIB.

Globalement, les pressions extérieures et budgétaires annoncent un renversement des progrès accomplis dernièrement en matière de pauvreté. «Face à ces risques, il est important de diversifier l’économie tchadienne afin de favoriser la résilience et la croissance durable, soutenues par des investissements dans des secteurs prioritaires tels que l’agriculture ou les télécommunications/TIC», conclut le rapport.

Touroumbaye D. Geoffroy

Article paru dans le NDJH N°1745 du 25 Juin au 1 Juillet 2018