Depuis l’accession du Tchad à l’indépendance politique (le 11 août 1960), somme toute relative, le pays a traversé une situation conflictuelle quasi-permanente, qui demeure d’actualité. Tous les secteurs de la vie socio-économique et politique n’ont pas été épargnés. Les efforts des uns et des autres ont été anéantis par les conflits meurtriers inter-tchadiens qui n’ont apporté que malheurs et désolations au pays. Dans cette modeste contribution, nous essayerons de mettre en évidence la dimension de la coopération multilatérale du Tchad sous l’angle des transformations structurelles et responsabilités diplomatiques, avec comme approche déterminante l’analyse des opportunités qu’offrent les institutions internationales. En clair, une coopération multilatérale adaptée aux besoins du pays et de ses populations.

Il convient de souligner que ces dernières années, le monde a connu de grandes transformations du système international aussi bien dans les échanges économiques et financiers que dans les relations politico-diplomatiques et les enjeux géostratégiques. Les moyens classiques de négociation et de régulation sont devenus inefficaces, et de nouvelles règles manquent pour suivre le rythme de la globalisation des problèmes et des interdépendances, de l’émergence et de la multiplicité des centres de pouvoir, de l’accroissement de la pauvreté, des inégalités et des risques d’ordre écologique, avec des difficultés à moraliser le système économique et financier international.

Toutefois, les Etats ne restent pas inactifs ; ils essayent de reprendre le contrôle du système. Cela se voit à travers la multiplication des rencontres régionales et multilatérales, avec une présence marquée des experts de divers domaines concernés, dans l’optique de trouver de nouveaux cadres de négociation et instruments de régulation. En même temps, il se forme une dépendance croissante des pays les moins avancés à l’égard de diverses instances internationales qui s’accompagne, d’un côté, d’un affaiblissement des moyens dont disposent ces pays pour faire valoir leurs points de vue et défendre leurs intérêts, et de l’autre de leur marginalisation progressive.

En suivant les principales étapes de son évolution historique dans les relations internationales (Royaumes, colonisation et post-indépendance), le Tchad est progressivement entré dans le multilatéralisme en plus de ses relations bilatérales ; un système multilatéral qui, au-delà de l’ONU et des organisations apparentées, consiste en grande partie en des institutions et des mécanismes d’aide et de financement du développement, à travers notamment l’appui institutionnel, l’appui au développement rural et urbain ainsi qu’au cadre macro-économique et à la réduction de la pauvreté par l’aide budgétaire, etc.

Comme dans la plupart des pays africains, cela n’a pas entraîné le développement souhaité au Tchad ; bien au contraire, la situation socio-économique et politique n’est pas à la hauteur des attentes de la population. Ce qui implique la nécessité des réflexions sur les voies et moyens d’améliorer l’efficacité de notre coopération multilatérale et de l’image du Tchad dans ses relations internationales. Ce qui nous semble important aujourd’hui, c’est de dépasser le cadre classique de la diplomatie pour s’adapter aux enjeux et défis du moment de sorte que notre pays puisse tirer le maximum d’avantages pour son progrès et accroître sa marge de manœuvre en matière de développement.

Comme cela se fait traditionnellement, le Tchad peut continuer à bénéficier de l’expertise scientifique et technique ainsi que de l’appui financier et institutionnel sur le plan multilatéral. Cependant, d’une part, les partenaires multilatéraux s’emploient à traiter les symptômes (réfugiés, endémies, famines, conflits…) plutôt qu’à chercher à éradiquer leurs causes, notamment les contraintes dont souffrent les économies et les institutions africaines en général et tchadiennes en particulier. D’autre part, ils ne visent qu’à créer au Tchad un environnement favorable à l’épanouissement des affaires et des intérêts étrangers.

De ce fait, le Tchad devrait reprendre l’initiative de l’expertise et de l’action en définissant et proposant les domaines, les secteurs, les champs, les thématiques… sur lesquels il a besoin d’une expertise et de réalisations concrètes ; en lieu et place de ce qui est proposé, pour ne pas dire imposé, de l’extérieur par les partenaires multilatéraux. Sur ce plan, la ville de Genève offre un laboratoire approprié du fait de la concentration des organisations internationales qu’on y rencontre. Et les opportunités qu’elles offrent sont importantes diverses et variées. Pour reprendre l’initiative, et étant donné un contexte de plus en plus défavorable aux pays africains, le Tchad devrait chercher à mobiliser plus d’énergie, de temps et des moyens adéquats pour placer les ressources humaines, financières et matérielles là où l’exigent ses intérêts, et de manière à mener une politique étrangère plus audacieuse et plus offensive, avec des objectifs plus ambitieux.

Tout cela exige, d’une part, une volonté commune de changer, une vision partagée et claire, la définition de nouveaux principes d’action, l’explicitation des enjeux et des buts poursuivis, montrer en quoi le changement répond aux besoins des tchadiens, encourager l’innovation, promouvoir l’excellence…D’autre part, nos représentants doivent être compétents, de haute moralité et professionnellement à la hauteur de la mission confiée et des attentes nationales. Ils doivent aussi avoir une nouvelle vision, de nouvelles mentalités et habitudes. Pour aller plus loin, il devrait y avoir une politique de placement des tchadiens hautement qualifiés dans les institutions régionales et internationales ; ce qui augmenterait le pouvoir de négociation et d’influence du Tchad ainsi que sa capacité à tirer profit des diverses opportunités sur la scène régionale et internationale ; pouvoir qui peut être en outre renforcé en s’unissant avec d’autres pays ayant des ambitions et des intérêts convergents avec ceux du Tchad.

Dans cette perspective, il importe d’aller au-delà des perceptions mais aussi des déclarations de bonnes intentions. La route est longue, mais il n’est pas d’autre choix que celui d’accompagner les mutations du monde, de dépasser l’éphémère et de réformer ce qui peut l’être. Certes, les défis sont nombreux et l’esprit individualiste peut chercher à s’opposer à ce chantier malgré des arguments de bon sens et de la raison. Mais l’inertie n’est pas une solution et le chantier n’est pas impossible à réaliser ; une vigilance de tous les instants pour démasquer et décourager les caméléons, opportunistes et profiteurs de tout genre peut permettre à faire face à cette résistance des esprits individualistes.

Comme l’a si bien dit une personnalité africaine, « […] plus l’engagement est clair et non équivoque aux côtés de toutes les causes justes […], plus l’autorité morale et politique d’un pays est grande » et plus importante est sa grandeur. Essayons autant que faire se peut de cheminer vers la raison et le bon sens ; le chemin est long et difficile mais l’avenir reste ouvert.

Talha Mahamat Allim