Les prix des denrées alimentaires grimpent dans les marchés. Ali Adji Mahamat Seid, président de la Chambre de commerce, d’industries, d’agriculture, des mines et d’artisanat ( CCIAMA), en donne quelques raisons et actions entreprises pour tenter de stabiliser cette situation.

Il est constaté une flambée quasi-généralisée des prix des denrées alimentaires. Les consommateurs s’en plaignent. Comment expliquez-vous cette situation ?

Il ne faut pas oublier que nous sommes en saison des pluies. En général, à la veille du mois d’août, les prix des denrées alimentaires montent. Même le tchadien lambda va te parler de « chari tamaïnè » ( mois d’août ). C’est un mois difficile où tout ce qui est stock de production locale s’épuise, les nouvelles productions ne sont pas encore récoltées ni mûres. Et donc, c’est normal qu’il y ait de flambée de prix pendant cette période. Le deuxième facteur, c’est ce blocus qu’a connu la ville de N’Djamena avec la fermeture des plateformes du pont de N’Gueli suite au différend entre la douane et les transitaires. Donc, dans une ville comme N’Djamena où on importe quasiment 80 à 90% de ce qu’on consomme, si aucun camion ne sort depuis plus de dix jours, certainement qu’il va y avoir une diminution de l’offre. Économiquement ça se justifie quand la demande dépasse l’offre, il y a toujours une augmentation du prix. Parce qu’on ne peut pas arriver à satisfaire tout le monde et c’est ça qui renchérit les produits et certains commerçants profitent également pour augmenter les prix. Maintenant que le blocus est levé, les camions ont commencé à rentrer dans la ville et naturellement les prix seront équilibrés. Je l’espère.

Les opérateurs économiques avaient eu des difficultés avec la banque centrale pour transférer des fonds pour commander des produits alimentaires et autres. Trois mille dossiers ont été bloqués à la douane parce qu’il faut d’abord apurer les anciennes commandes avant de lancer d’autres. Donc tous les transferts ont été bloqués à la banque centrale. L’apurement est une décision qui a été prise par la banque centrale et qui consiste à imposer à toute entreprise de justifier ses transferts d’argent. C’était pratiquement impossible. Les gens étaient habitués à travailler dans le noir et l’informel. Aujourd’hui, ils sont dans l’impossibilité d’apurer les 3000 dossiers. Tant que ces 3000 dossiers ne sont pas apurés, il ne peut y avoir de transfert. D’où le blocage ces six derniers mois. Ces derniers temps, avec le plaidoyer que nous avions fait, la banque centrale a suspendu cette contrainte.

D’aucuns disent que la CCIAMA est impuissante face aux commerçants. Que ce sont ces derniers qui dictent leur loi. Que leur répondez-vous ?

La CCIAMA n’est pas le gendarme des opérateurs économiques. Il ne faut pas faire d’amalgame. La CCIAMA représente les opérateurs économiques. Un commerçant est un commerçant. Il ne faut pas se voiler la face. Il n’est pas un humanitaire. Un commerçant est là pour gagner de l’argent. Il appartient à l’État d’intervenir pour régler les choses. Partout dans le monde, c’est comme ça que ça se passe. Il ne sert à rien d’accuser ni les opérateurs économiques , ni la CCIAMA et créer des confusions dans la tête des gens pour dire que la CCIAMA est impuissante. Nous sommes une institution de l’État mais composée essentiellement, exclusivement des opérateurs économiques. Notre rôle n’est pas d’amener de la nourriture et de la distribuer à la population en tant que tel. Nous, nous importons par rapport à la demande. C’est l’État qui s’occupe de la population. Nous sommes là pour défendre les intérêts des opérateurs économiques.

Essentiellement ?

Bien sûr. C’est pour ça que je voudrais attirer l’attention des gens qui font la confusion. Nous sommes des opérateurs économiques. On ne peut en aucun cas contribuer à ce que nos entreprises partent en faillite.

Et votre rôle d’interface entre les opérateurs économiques et l’État ?

Nous sommes des opérateurs économiques. Nous jouons aussi l’interface. C’est ce qu’on a fait la fois dernière lors de la crise. S’il y a des choses qui ne marchent pas, des règlementations qui ne sont pas cohérentes et autres, nous dénonçons et nous prenons en compte les propositions des opérateurs économiques pour faire le plaidoyer. S’il y a également des décisions du gouvernement, on n’essaye de discuter avec les opérateurs économiques. Mais, en fin de compte, nous sommes des opérateurs économiques.

Que fait la CCIAMA lorsque les prix des denrées alimentaires flambent ?

Le contrôle du prix, c’est l’État qui le fait à travers le ministère du Commerce. Si on se rencontre et qu’il y a une situation anormale, telle que la flambée des prix, on essaye de comprendre les raisons. Si la raison se trouve du côté des opérateurs économiques, nous dénonçons, nous faisons la sensibilisation pour que des corrections soient apportées le plus rapidement que possible. Si c’est lié à des taxations, on demande au gouvernement de revoir la situation. Nous avons mis en place « le juste prix » pour sensibiliser les opérateurs économiques pour qu’ils s’en tiennent à une marge raisonnable.

Qu’en est-il de cette opération lancée en grande pompe par votre prédécesseur en 2019 ?

Qui dit opération « juste prix » dit également de l’argent. Il faut du financement pour mener des campagnes de sensibilisation. Toutefois, chaque fois que c’est nécessaire, par exemple avant le mois de Ramadan, nous sommes descendus sur le terrain dans le cadre de cette opération. N’eut été le blocage que nous avions connu ce dernier temps, de manière globale, les prix ont été maitrisés ces dernières années. Il ne faut pas oublier que nous sortons des crises de Covid, économique et sécuritaire sans précédent. Malgré tout ça, il n’y a pas eu une augmentation extraordinaire des prix des denrées alimentaires comme tel. La vie n’a pas été aussi chère comme certains le disent.

Quelles solutions durables pour espérer stabiliser les prix des denrées alimentaires ?

Cela dépend de la politique du gouvernement. On est en train de travailler. Le Tchad a beaucoup de défis à relever. Des tracteurs ont été achetés et les semences distribuées, des micro-crédits ont été remis aux agriculteurs pour encourager la production au niveau local, pour que le prix soit maintenu à un niveau raisonnable. Et nous appuyons ces efforts du gouvernement. Mais, il ne faut pas que les gens exagèrent sur les flambées des prix. C’est normal, nous sommes dans une économie de marché. Le Tchad est une économie très ouverte. Et tout ce qui se fait, se décide sur le marché. L’État peut encourager l’importation des produits des denrées alimentaires. C’est ce qui a été fait. Aujourd’hui, le riz, la farine, le mil, le maïs et autres sont exonérés de toute taxe à l’importation et donc c’est quand-même un effort très important fait par le gouvernement. Par le passé, il y avait également les pâtes alimentaires et l’huile qui étaient concernées. Mais comme il y a des usines de l’huile dans notre pays, pour protéger nos entreprises, on a réinstauré les taxes sur l’huile. On vient de réinstaurer les taxes sur les pâtes alimentaires.

Malgré ces actions de l’État, le quotidien du citoyen lambda n’évolue pas. Comment comprendre cela ?

Je suis un citoyen lambda. Aujourd’hui, vous achetez du riz, le prix est stable, pareil pour la farine. L’intervention de l’État est quand-même là, n’eut été cette intervention, les prix allaient encore flamber. Il n’y a pas des augmentations majeures ces trois dernières années si l’on regarde les statistiques. Elles se situent autour de 1, 2 et 3%, c’est raisonnable au vu du taux d’inflation dans notre pays.

Un mot de fin

Tout le monde doit regarder dans la même direction. Empêcher les prix des denrées alimentaires de flamber n’est pas seulement l’affaire des opérateurs économiques, c’est l’affaire de tous. Nous encourageons la population à consommer local parce que ce n’est pas très cher. Nous demandons aux opérateurs économiques d’investir dans l’agriculture, l’élevage et la transformation. Je demanderais au gouvernement de mettre en place un programme d’accompagnement des investisseurs tchadiens dans ce domaine pour essayer de juguler le problème de la crise alimentaire de manière générale.