Parue aux Editions Guirbeye-Infographie à Alger (Algérie), « Quand le fond du mortier est noir » de Djekourninga Kaoutar Lazare est une pièce de théâtre bien fignolée qui pose le problème d’un peuple. Un peuple singulier avec ses ulcères, ses tares, ses mares de pus, ses cancers… Un peuple qui vivote !

Le cataclysme économique

A à la couverture seulement, le décor est déjà planté : un mortier au fond noir renversé, traversé par un pilon, une mère tristement assise, la tête dans la paume, entourée de ses enfants eux-aussi tristes, des ustensiles vides rangés dans un angle du coin, un poêle noir accroché au mur… La scène se passe à Abou-Telfane, une République située quelque part en Afrique. Le sous sol de cette République regorge d’énormes potentialités de pétrole depuis des années. Les autorités décident d’exploiter ce bassin dont les bruits ont fait le tour du monde depuis des lustres. Et pour convaincre la Banque mondiale à financer ce projet, on fait savoir à cette dernière que c’est pour réduire la pauvreté dans le pays ; améliorer les conditions de vie des populations. Cette nouvelle a donné de l’espoir d’une condition de vie meilleure des populations. Pour les populations, c’est l’eldorado. Elles pensent que leurs conditions de vie vont être nettement améliorées.

La société civile telfane se mobilise pour poser quelques préalables pour l’exploitation de ce pétrole. Et ce, pour garantir une gestion optimale des ressources qui seront générées par le pétrole. Ces préalables sont : la réparation des dommages subis par les populations des zones d’exploitation lors des travaux des recherches, la fixation d’un pourcentage sur le revenu total pour le développement de la zone productrice : 2% des revenus du pétrole pour les générations futures, des études environnementales pour minimiser la destruction de la nature etc.

Composée en 12 tableaux, cette œuvre de 182 nous présente les fresques des frasques. Des frasques des dirigeants boulimiques, méprisant le peuple. Des fresques du quotidien de la République d’Abou-Telfane, un pays atteint d’une ou des maladies qu’on appelle mauvaise gestion des ressources publiques, népotisme, clientélisme, mal gouvernance, gabegie, crise sociopolitique, crise économique structurelle et non conjoncturelle, pillages des ressources publiques, étranglement de l’économie, bradage de l’économie nationale, détournement déguisé des entreprises publiques sous le couvert de la privatisation… Avec un style aussi limpide et truculent, la pièce passe au peigne fin les sujets brulants de l’heure.

Cris et cricris de la population

La pièce commence par une grogne à tous les niveaux à Abou-Telfane, ce pays imaginaire d’Afrique, créé par le dramaturge. La République d’Abou-Telfane regorge certes d’énormes potentialités pétrolières dans son sous-sol. Mais la gestion de ces ressources est catastrophique. A la mauvaise gestion et la redistribution de la manne pétrolière, greffent la discrimination dans le traitement salarial du personnel, le non respect des droits des riverains de la zone d’exploitation. Bien que le pays a d’argent grâce à l’exploitation du pétrole, les autorités ne respectent pas leurs engagements à savoir le payement des salaires, des bourses d’études, des pensions de retraités…. Cela déclenche une grogne sociale à tous les niveaux : des étudiants marchent, des retraités barricadent les rues, des travailleurs du secteur public et privé déclenche une grève, des militaires démobilisés et les diplômés sans emploi montent sur leurs grands chevaux et agissent… Le pays vit au rythme des grèves, des manifestations, des mouvements d’humeurs….

Le pétrole, source de malheur

La population telfane pensait que le pétrole allait améliorer considérablement ses conditions de vie. Mais c’est le revers de la médaille. Signalons le pétrole a aussi ses inconvénients : déversement des déchets toxiques. A cela s’ajoute la désorganisation de la société : abandon des études par les jeunes pour les travaux au chantier d’exploitation, alcoolisme, tabagisme, prostitution, la flambée des prix de denrées, la vie chère etc. A ces maux, s’ajoutent aussi des préjudices causés aux populations de la zone d’exploitation du pétrole : ces préjudices sont entres autres la destruction d’arbres fruitiers, des bois sacrés, des champs, la pollution des eaux, le clientélisme, le népotisme. Déversement criminels des hydrocarbures, conflits entre population riveraines et la société d’exploitation d’une part et entre le gouvernement la société d’exploitation d’autre part.

La déconvenue

La population telfane, en apprenant la nouvelle de l’exploitation de son pétrole a cru à un eldorado. Pour elle, toutes les conditions de vie allaient être nettement améliorées. Hélas, c’est le revers de la médaille. Au lieu que les conditions soient améliorées, c’est le contraire. La situation s’est aggravée. Le pétrole, au lieu de faire le bonheur de la pollution telfane, il a plutôt apporté le malheur. La population broie du noir. Elle vit l’enfer. La misère.

En écrivant « Quand le fond du mortier est noir », Djékourninga Kaoutar Lazarre a-t-il lu les signes du temps ? En tout cas, la crise persiste et signe. Le fond du mortier continue d’être noir.

Signalons au passage qu’avec « Quand le fond du mortier est noir », Djékourninga Kaoutar Lazarre signe son deuxième livre après « De l’autre rive », un roman publié en 2014 aux Editions Edilivre en France.