Le prix du carburant à la pompe n’a pas baissé pour les consommateurs tchadiens. Pourtant, le marché pétrolier a connu une chute brutale à cause du coronavirus. Comment expliquer cette stagnation de prix et comment le Tchad pourrait se sortir de cette crise ? Moustapha Mahamat, PhD en économie à l’université Paris Dauphine et membre du think tank Tchadna, nous décrypte cet environnement complexe.

Comment expliquer la corrélation entre cette crise sanitaire et la chute du marché pétrolier ?

Premièrement, il y a la baisse de la demande chinoise de pétrole, qui consomme environ 20% de la production mondiale en raison du confinement et de l’arrêt des activités. Deuxièmement, la pandémie et les mesures sous-jacentes ont réduit les déplacements (diminution de la demande à la pompe) et les activités des usines qui utilisent le pétrole comme intrant. Enfin, les pays producteurs de pétrole, au lieu de réduire leur production, ont cherché à compenser la perte de revenus non pétroliers causée par la pandémie en maintenant leur niveau de production. In fine, il y a plus d’offre que de demande sur le marché d’où la baisse du prix du baril.

Pour le Tchad, faudra t-il arrêter la production ou du moins l’exportation pour ne pas subir de grosses pertes ?

Surtout pas, parce qu’un arrêt de production a un coût énorme. Si le volume dans le tuyau ne bouge pas, il y a un risque très élevé d’endommagement du tuyau car le pétrole contient des métaux et des sédiments. Si vous fermez les puits jusqu’à ce que le baril remonte, les coûts de redémarrage peuvent être élevés d’un point de vue technique. Pour le cas particulier du Tchad, ce type d’arrêt peut également obstruer ou endommager l’oléoduc Tchad-Cameroun, long de 1076 Km, construit pour le transit du pétrole brut. La réparation de tels dommages peut être encore plus coûteuse. Donc d’un point de vue purement économique, il n’est pas intéressant d’arrêter la production quitte à vendre légèrement et temporairement à perte.

D’un côté la mévente, de l’autre la production du pétrole continue. Dans ce contexte, le marché des produits pétroliers à la pompe pourrait-il être impacté par la chute des prix ?

Oui, c’est mécanique. Dans les pays non pétroliers, les prix à la pompe suivent d’abord les prix mondiaux car c’est à ces prix que le pétrole brut est acheté bien que les prix à la consommation soient subventionnés.

Au Tchad, le prix du carburant à la pompe n’a pas changé. Comment expliquer cela ?

C’est le cas dans presque tous les pays producteurs de pétrole. Premièrement, parce que contrairement aux pays non producteurs, le pétrole n’est pas acheté au prix du marché international, il est raffiné sur place, vous devez donc considérer le coût du raffinage plutôt que les prix mondiaux. Deuxièmement, parce que ces prix sont déjà bas par rapport aux pays non pétroliers.

518F pour un litre d’essence, les Tchadiens trouvent que c’est toujours cher.

Je conçois qu’un litre d’essence à 518 francs CFA puisse être perçu comme très élevé étant donné le niveau de vie du Tchadien moyen. Mais, le Tchad a le prix le plus bas de tous les pays du Sahel. Un litre d’essence coûte environ 715 au Mali, 610 au Burkina Faso et 570 en Mauritanie et au Niger. En Afrique, seuls 15 pays ont un prix à la pompe inférieur à celui du Tchad. Dans un pays comme la RCA, un litre d’essence coûte environ deux fois plus cher (1100 FCFA) qu’au Tchad. En Europe, malgré d’importantes subventions, le litre d’essence coûte en moyenne de 850 FCFA.

Ne pensez-vous pas qu’il sera nécessaire pour le Tchad d’ajuster le prix à la pompe en fonction des fluctuations sur le marché mondial ?

Ajuster les prix aux fluctuations du marché mondial signifie augmenter les prix à la pompe lorsque les prix montent et les baisser lorsque les prix baissent. Il faut donc déjà examiner les implications de cet ajustement pour toutes les classes sociales. A priori je dirais qu’un ajustement des prix n’est pas nécessaire.

Quelle conséquence peut engendrer un tel scénario ?

Les conséquences dépendront des effets de l’ajustement sur les dépenses des ménages et le budget de l’État. Pour les plus pauvres, l’effet direct sera nul si les prix baissent, mais si les prix montent, l’effet peut être négatif en raison de la hausse des prix des transports. L’effet de cet ajustement est direct et plus marqué pour la classe moyenne et les riches, mais que représente une augmentation ou une diminution de 50 à 100 FCFA pour ces dernières ?

En ce qui concerne le budget de l’État, le mécanisme doit être au contraire contra-cyclique. Compte tenu de ce que le pétrole représente dans le budget de l’État, une baisse des prix devrait plutôt inciter les autorités à mobiliser davantage de recettes internes en augmentant, entre autres, les prix des biens publics et des produits des entreprises publiques et parapubliques (raffinerie). Et agir inversement en cas de hausse des prix du pétrole.

Comment le Tchad peut faire pour sortir de cette situation vu que le pétrole ne rapporte pas et que les autres ressources sont allouées à la lutte sanitaire ?

La bonne nouvelle est que la situation actuelle n’est pas liée à une crise économique profonde. C’est un phénomène conjoncturel qui peut s’améliorer avec la maîtrise de la pandémie. Ceci étant, la riposte ne peut être purement sanitaire, étant donné les dommages économiques et sociaux causés par la pandémie et les mesures sous-jacentes. Un certain nombre de mesures d’accompagnement ont déjà été annoncées par le gouvernement. Mais nous pouvons aller encore plus loin en soutenant notamment le secteur informel, les PME et le secteur agricole, qui constituent l’essentiel de notre économie.

Pour les moyens de financement, les ressources (internes, soutien des partenaires au développement, moratoire sur la dette etc.) mobilisées dans le cadre de cette crise peuvent largement compenser les pertes causées par la chute du pétrole, si ces fonds sont bien gérés. L’autre moyen pour sortir de cette situation est de réduire le train de vie très exorbitant de l’État.

Pour le monde post-Covid19, avec la transition écologique en cours dans de nombreux pays occidentaux, le nombre croissant de pays producteurs et le tarissement attendu de ce type de ressource, nous n’aurons d’autre choix que de compter sur nos ressources fiscales nationales. Ceci passe nécessairement par la modernisation de notre système fiscal et une meilleure discipline budgétaire.