L’armée tchadienne a lancé mardi à partir du Cameroun une offensive terrestre au Nigeria contre Boko Haram après des mois de violences et d’expansion du groupe islamiste, premier acte d’une guerre désormais régionale.

Pour la première fois, les troupes tchadiennes ont déclenché des hostilités sur le sol nigérian prenant le contrôle de la ville de Gamboru après de violents combats avec les islamistes qui contrôlaient la ville depuis plusieurs mois.

L’armée tchadienne avait pilonné pendant trois jours cette ville stratégique nigériane tombée aux mains des islamistes il y a plusieurs mois, et continuait mardi soir de ratisser la localité, durement touchée par les combats, a constaté un journaliste de l’AFP sur place. L’armée tchadienne a installé son quartier général dans cette localité où elle doit passer sa première nuit.

La ville a été durement touchée avec de nombreuses maisons détruites et des véhicules calcinés. De source militaire, les soldats tchadiens appuyés par un hélicoptère survolant en permanence la ville ont fait face à des snipers cachés dans des maisons.

«Comme nous l’avons dit, nous avons mis en déroute cette bande des terroristes», a affirmé à l’AFP le général Ahmat Dari qui commande le contingent tchadien.

L’armée nigériane, qui n’arrive pas à enrayer seule l’expansion militaire de Boko Haram, a déclaré auparavant que la présence de troupes tchadiennes ne remet pas en cause «l’intégrité territoriale du Nigeria».

Les Tchadiens, venus pallier l’inefficacité de l’armée nigériane, ont aussi massé des troupes à la frontière entre le Niger et le Nigeria, à proximité immédiate de bastions de Boko Haram.

D’autre part, «un contingent d’environ 400 véhicules et des chars est positionné de Mamori à Bosso», deux bourgades de l’est nigérien, qui ne sont séparées du Nigeria que par une rivière, la Komadougou Yobé, a annoncé la radio privée Anfani, basée à Diffa (sud du Niger).

N’Djamena n’a pas confirmé ce mouvement de troupes au Niger mais, selon des habitants, cette concentration comprend plus de 500 véhicules. Elle pourrait annoncer une attaque imminente sur Malam Fatori, contrôlée par Boko Haram et située de l’autre côté de la rivière. Les combattants islamistes ont pris position sur la rive nigériane et sont équipés de matériel anti-aérien monté sur des pick-up, selon ces témoignages.

– Menaces sur l’équilibre régional-

Paris soutient l’action tchadienne avec des missions de reconnaissance au-dessus du Tchad et du Cameroun, ont indiqué mardi des sources officielles françaises, précisant que du renseignement était délivré à ces pays largement impliqués dans la lutte contre Boko Haram.

L’offensive tchadienne intervient à l’approche de l’élection présidentielle nigériane du 14 février, où le chef de l’Etat Goodluck Jonathan vise un nouveau mandat dans un pays miné par les attentats et les attaques de Boko Haram.

Ces attaques, menaçant de plus en plus l’équilibre régional en pesant sur les frontières du Cameroun, du Niger et du Tchad, ont entrainé la réaction militaire de N’Djamena, soucieuse d’empêcher des infiltrations de jihadistes sur son sol.

Le président nigérian a échappé lundi à un attentat-suicide à la sortie d’un meeting dans le nord-est du Nigeria, région dont Boko Haram contrôle des pans entiers.

Mardi matin, des blindés et des fantassins tchadiens ont franchi le pont séparant la ville camerounaise de Fotokol de la ville frontalière nigériane de Gamboru, après d’importants bombardements aériens et d’artillerie et des échanges de tirs nourris avec les islamistes, a constaté un journaliste de l’AFP.

– Guidés par des gens connaissant la ville –

Les opérations aériennes ont duré près d’une heure avant le passage des troupes, qui sont entrées dans Gamboru vers 10H00 GMT. L’intégralité du contingent de 2.000 hommes environ, selon des sources militaires, était entré au Nigeria à la mi-journée.

«Ils ont traversé le pont accompagnés de guides originaires de Gamboru qui (…) en connaissent tous les recoins», a affirmé Umar Babakalli, qui réside à Fotokol.

Les forces camerounaises qui protégeaient Fotokol depuis des mois, sont restées sur leurs positions, a constaté l’AFP.

Boko Haram avait pris le contrôle de plusieurs villes longeant la frontière nord-est du Nigeria, multipliant les attaques dans les pays frontaliers, s’aventurant au Cameroun. Les islamistes qui avaient pris Baga (ville du nord-est nigérian, sur les rives du lac Tchad) début janvier y avaient commis, début janvier, des massacres, qualifiés de «crimes contre l’humanité» par la communauté internationale.

L’insurrection de Boko Haram, qui prône l’instauration d’un islamisme radical et s’associe aux idées d’Al-Qaïda et de l’Etat islamique, a fait plus de 13.000 morts et 1,5 million de déplacés au Nigeria depuis 2009.

Cette situation inquiète de plus en plus Washington. L’insurrection menace de provoquer une «crise régionale importante», a averti mardi le chef du renseignement militaire américain.

«Le gouvernement du Nigeria n’a pas réussi à améliorer» son efficacité militaire contre Boko Haram, ni à avoir une approche globale (économique, sociale, judiciaire…) contre l’insurrection, a estimé le général Vincent Stewart, nouveau chef du renseignement militaire.

L’Union africaine, quant à elle, a appelé à la mobilisation en Afrique contre les islamistes, et demandé la création d’une force militaire régionale de 7.500 hommes. Sa mise en place devait être débattue à partir de jeudi dans la capitale camerounaise.

Libération avec AFP