La situation en Centrafrique est de plus en plus préoccupante, d’une crise politique on s’achemine vers une guerre civile aux relents religieux. La violence a atteint des sommets affectant la vie de plus de deux millions de Centrafricains et des milliers de ressortissants tchadiens. Les troupes tchadiennes présentes dans le cadre de la MISCA sont accusés à tort ou à raison de concussion avec la Séléka et prient pour cible par la milice “chrétienne” nommée “Anti-Balaka”. La haine pour les militaires tchadiens a des conséquences sur la communauté tchadienne qui jusqu’à peu vivait en harmonie avec le peuple centrafricain. Pour mieux comprendre la situation, nous nous sommes approchés d’un des acteurs politiques majeur de la Centrafrique, en la personne de Mr Martin Ziguélé ancien Premier ministre sous la présidence de Ange Felix Patassé. Mr Ziguélé a bien voulu répondre à nos questions.

1- Mais que s’est-il passé ? Comprenez-vous cette escalade de la violence, cette anarchie qui règne en RCA ?

La situation actuelle a des racines lointaines, qui remontent à la naissance des rebellions politico-militaires dès 2006, et dont le processus de Désarmement Démobilisation –Réinsertion globalement échoué. De l’autre côté, le programme de Réforme du Secteur de la sécurité n’a jamais pu évoluer par manque de volonté politique. Ces deux éléments très graves pour la sécurité nationale, ajoutée à la très mauvaise gouvernance du régime précédent, ont fait le lit de, la déliquescence de l’État centrafricain, que la Coalition Séléka s’emparera avec une facilité déconcertante.

2- Qui sont les responsables selon vous ?

La responsabilité de la gestion d’un État et notamment celle de sa sécurité en tout temps et en tout points, du territoire national incombe à ses dirigeants, cela est un principe intangible, consacré par le serment présidentiel en début de mandat. Plus globalement, si l’adage qui dit qu’un peuple a le gouvernement qu’il mérite, alors nous pouvons dire que tous les centrafricains, par manque de vigilance et d’action démocratiques, sont coresponsables de la descente aux enfers de notre pays.

3- Que faut-il faire ? L’armée française essaie désarmer les milices, mais on voit bien que ce n’est pas suffisant

Il y a deux choses à faire : désarmer résolument toutes les milices de tous bords, et concomitamment, prendre toutes les dispositions en urgence pour la réhabilitation des Forces Armées Centrafricaines, de la Gendarmerie et de la Police Nationales, pour qu’elles pérennisent les opérations de désarment et prévenir les exactions. Ensuite, il faut que tous les chefs de quartier, les notables, les chefs religieux et les partis politiques s’engagent résolument dans toutes les actions de proximité favorables au retour à la paix.

4- Il y a une réelle montée de la xénophobie en l’encontre des Tchadiens, c’est dû à quoi ?

Comme je le dis souvent, dans l’inconscient collectif des centrafricains, tout musulman est considéré bien évidemment à tort comme un étranger. Quand j’étais Premier Ministre, j’avais combattu énergiquement cette fausse assertion, en expliquant que nous devrions promouvoir la citoyenneté au-delà des origines et des croyances de chacun. Je continue ce combat au sein de notre Parti le MLPC, et c’est vraiment un grand défi et un vaste chantier en RCA comme nous le prouve malheureusement la tournure des évènements actuels. Comme toujours en pareille circonstance, les marchands de haine amplifient par tous les moyens possibles les ressentiments, au lieu de chercher à rétablir la paix : c’est ainsi que les membres de la Séléka étant majoritairement musulmans, ils sont considérés comme des étrangers et notamment tchadiens, comme le contingent tchadien de la MISCA est régulièrement accusé d’être complice des sélékas. Cette ambiance délétère est exploitée pour dresser les uns contre les autres. C’est pourquoi il nous faut redoubler d’efforts et de détermination pour lutter contre ces pulsions et contribuer efficacement au retour à la paix et à la tolérance.

5- N’avez-vous pas peur que cette haine perdure même après la guerre ?

C’est impératif d’arrêter par tous les moyens cette spirale de la haine inter-communautaire, et cela, dans les meilleurs délais. Elle ne saurait perdurer puisque rien de positif ne peut être construit dans notre pays dans cette ambiance.

6- Pourtant on est un peuple frère, on a l’impression que c’est d’ailleurs ces peuples qui se font le plus de mal en Afrique, les guerres sont presque toujours fratricides, vous savez d’où ça vient ?

Comme je l’ai dit tantôt, cette spirale de haine inter-communautaire doit être stoppée. Rien ne justifie cela et pour notre part, nous nous investissons sans relâche pour que les femmes et les hommes de bonne volonté puissent œuvrer au retour à la paix. Nos peuples sont liés par la géographie et par l’histoire, et des circonstances douloureuses comme celles que nous vivons doivent être surmontées. Sinon les forces du mal auront vaincu, et je me refuse à me résoudre à cela, comme beaucoup d’autres bonnes volontés en RCA et ailleurs.

7- Que préconisez-vous pour un retour à la paix durable en RCA ?

Il faut naturellement désarmer tous les groupes de milices de toutes natures, et pacifier de force ou de gré le pays, avec le concours des Forces Armées centrafricaines qu’il faut impliquer dans tout ce processus. Ensuite, il faudra entamer avec détermination la réforme du secteur de sécurité, qui constitue la colonne vertébrale d’un État lui-même à reconstruire. C’est la pierre angulaire de la renaissance de la RCA.

8- Comme on dit : « On ne change pas une équipe qui gagne », mais on doit forcément changer une équipe qui perd, le gouvernement de transition a échoué, Pensez-vous qu’il faille le changer ?

L’urgence, aujourd’hui, est au rétablissement rapide et par tous les moyens de la paix et de la concorde nationale. Les questions politiques viendront bien après.

9- Vous êtes une personnalité centrafricaine plutôt bien appréciée, êtes-vous prêts aujourd’hui à servir votre pays ?

Croyez-moi, je ne fais que cela, servir mon pays en toutes circonstances.

10- La RCA a besoin de solutions, avez-vous des solutions ?

Sylvanus Olympio, le premier Président du Togo indépendant, avait coutume de dire à ses compatriotes « Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour se lève toujours ». La solution première, c’est la paix, il nous faut arriver à la paix durable pour entamer le processus de consolidation de notre pays sur tous les plans.

11- On a pu remarquer que les opposants en Afrique ont pour politique de dénoncer mais beaucoup ne proposent pas beaucoup, il serait temps de donner de la visibilité à vos propositions non ?

Je pense que comparaison n’est pas raison, et pour ce qui concerne mon Parti le MLPC, nous ne nous cantonnons jamais aux dénonciations, nous accompagnons toutes nos prises de position de recommandations et de suggestions.

12- Que dites-vous à vos compatriotes centrafricains qui souffrent actuellement ?

Mon cœur saigne, et je n’épargnerai aucun effort, avec mon Parti, et avec toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté en RCA et ailleurs et ils sont nombreux pour que la paix triomphe de la haine et de la mort. Je m’incline très respectueusement devant la mémoire de toutes les victimes de ces derniers événements, y compris devant la mémoire des deux jeunes soldats français morts pour notre cause. Je remercie les pays contributeurs de la MISCA et la France pour leur appui, et c’est à nous centrafricains de nous ressaisir pour saisir cette perche de la paix qui nous est tendue, afin de sauver de notre pays de cette autodestruction.