Voici l’interview de Bedoumra Kordje, candidat du Tchad à la présidence de la Banque Africaine de Développement.  C’est aussi le candidat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) et, selon certaines confidences, le candidat naturel de la France, pays influent au sein de la BAD. 

Qu’est ce qui a motivé votre candidature pour la présidence de la  Banque Africaine de Développement ?  

L’Afrique connait ces derniers temps un regain de croissance et  fait partie des régions du monde qui progressent le plus vite.  Les Africains et leurs gouvernements aspirent à une rapide transformation  et à l’émergence de leur économie, et à l’innovation pour la création des richesses au bénéfice de la majorité de la population restée encore très pauvre.  Face aux défis à relever,  La BAD, première institution de financement du développement en Afrique, a une mission  particulière à jouer à cet effet. Elle a besoin pour cela d’avoir, à sa tête un leader capable d’impulser cette dynamique  qui lui permette de jouer pleinement ce rôle. Toute chose que me confère mon expérience exceptionnelle, unique au sein de cette institution pendant 29 ans; des Opérations jusqu’à la responsabilité de Vice-président chargé des services institutionnels en passant par le poste de Secrétaire général, j’ai parcouru la BAD de long en large, si bien que je peux prétendre, mieux que quiconque, avoir une parfaite connaissance des rouages de la maison BAD, et la meilleure manière appropriée de mobiliser cette machine sans perte de temps.

A  cela s’ajoute mon expérience gouvernementale au Tchad comme Ministre du Plan, de l’Économie et de la coopération internationale, puis Secrétaire Général de la Présidence – poste stratégique pour la compréhension le fonctionnement d’un pays au niveau le plus élevé – et enfin aujourd’hui comme Ministre des Finances  et du Budget. Je peux donc me targuer d’avoir eu une bonne préparation pour être immédiatement opérationnel et efficace à la tête de la BAD au service de l’Afrique. 
Je dois ajouter à cela un élément personnel important. J’ai une passion pour la réussite de mon continent africain et son développement depuis que j’étais étudiant. J’ai toujours agi dans ce sens et l’essentiel de mon parcours est placé au cœur du développement de l’Afrique. C’est pour moi un sacerdoce, une mission sacrée à accomplir.

 

Etes-vous le candidat du Sahel ou de l’Afrique Centrale ?  Qu’apporterez-vous à ces ensembles une fois élu ? 

 

Ma candidature est portée par le Président de la République du Tchad, son Excellence IDRISS DEBY ITNO, dont l’envergure, le poids et la dimension africaine et internationale sont reconnus et respectésC’est aussi la candidature de l’Afrique centrale qui n’a jamais occupé ce poste et voudrait aussi cette fois-ci  apporter sa contribution au développement de l’Afrique à ce poste. C’est aussi avec fierté que je me revendique candidat du Sahel car le Tchad a ce privilège d’être la jonction à la fois de l’Afrique du Centre et de la Région sahélienne qui se trouve dans sa grande partie en Afrique de l’Ouest. Le Tchad partage beaucoup de réalités sociopolitiques, économiques et culturelles avec le Sahel dans son ensemble. Celles-ci ont pour noms  sècheresse, manque d’eau, famine, pauvreté rurale,  etc. ; bref les dures conditions de vie dans lesquelles survivent nos populations. A tout cela, il convient de greffer l’insécurité dont le visage hideux est représenté par le terrorisme qui sévit ces derniers temps sur toute la bande sahélienne. Ce sont des difficultés du moment auxquelles font face nos Etats et auxquelles il faut aussi des réponses appropriées. Le fait d’être issu de cette zone et d’avoir une bonne connaissance de ces réalités constitue pour moi un atout non négligeable pour poser des diagnostics efficaces à même d’aider à la résolution de ces problèmes. C’est dans ce contexte que nous avons été encouragés par des grandes personnalités de tout horizon et des pays amis qui sont convaincus que nous sommes la personne appropriée pour relever ce défi. Le choix a porté sur la personne dont ils sont convaincus qu’il remplit les conditions pour accomplir dignement et avec succès cette mission.

 

L’on sait qu’une élection pour la présidence de la BAD relève de la diplomatie et du lobbying.  Où en êtes-vous avec les membres régionaux et non régionaux ? 

 

C’est de manière sereine que nous menons notre campagne, avec un fort soutien des plus Hautes Autorités tchadiennes. L’élection à la présidence de la BAD étant une élection particulière parce qu’elle implique essentiellement les Gouvernements, nous travaillons de manière à les convaincre en mettant en avant la force de nos idées et notre expérience. Nous bénéficions en cela du soutien de beaucoup de personnalités aussi bien africaines qu’occidentales qui croient à notre candidature.  De même, beaucoup de pays amis, qu’ils soient régionaux ou non régionaux comme vous le dites, nous encouragent sur cette voie.

 

Où en est le Tchad, pays pétrolier, en 2015 où tous les pronostics tablent sur la chute du cours de l’or noir ?

 

L’effondrement inattendu des cours du pétrole sur le marché international nous a contraints – comme du reste la plupart des pays exportateurs du pétrole – à réajuster les prévisions des recettes et des dépenses. Il ne saurait en être autrement avec le prix du baril qui a baissé de moitié en un temps très court. Les prévisions des dépenses ont subi des coupes drastiques par rapport au premier projet de budget. Eu égard aux moyens restreints de financement, nous nous emploierons à exécuter de manière prudente et parcimonieuse le budget 2015.  Dans tous les cas, des mesures spéciales ont été prises pour accroître les revenus hors pétrole. Pour combler le déficit prévisionnel, le Tchad va recourir à l’appui budgétaire des partenaires, au décaissement attendu de la Facilité Elargie de Crédit, et à l’émission des bons du Trésor à souscription libre. D’autres voies seront explorées pour capter des types d’emprunts compatibles avec le statut financier actuel du Tchad.

Mais le plus grand enseignement à tirer de cette nouvelle donne est que la diversification de l’économie tant souhaitée et annoncée devienne effective. Au Tchad, nous avons la possibilité de nous concentrer sur d’autres secteurs. Le pays dispose d’importantes ressources minières qui peuvent être des sources de revenus. Nous avons l’or, l’uranium, des métaux rares, etc. Des efforts sont en cours pour accélérer la finalisation de  l’inventaire de nos mines, améliorer le code minier  et attirer des investisseurs. Le pays a pris des mesures pour la transformation industrielle de son agriculture et de son élevage, deux mamelles de son économie qui emploient la majorité des Tchadiens. Deux grandes usines d’abattoir sont en construction pour permettre au Tchad d’exporter la viande au lieu du bétail sur pied. De même, il sera renfoncé la mécanisation en cours de la production agricole et une meilleure du potentiel immense d’eau dont dispose le pays, afin de permettre à notre agriculture de se moderniser et de devenir une grande source de revenus.

 

En tant que ministre des Finances, quels ont été  vos grands challenges pour 2014 ? 

 

En réalité, 2014 a été pour le Tchad une année plutôt de réussite, malgré certains défis liés aux baisses des recettes pétrolières au deuxième semestre. Des résultats importants ont été réalisés dans le domaine de la gestion des finances publiques en termes d’amélioration et d’assainissement. Pour être succinct, nous avons mis en œuvre des réformes qui ont permis au Tchad d’obtenir le 1er août 2014, l’Accord du FMI au titre de la Facilité Elargie de Crédit (FEC), et qui conduira, après plus de 10 ans d’attente, à la concrétisation de l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE), attendue pour le premier trimestre de l’année 2015.  De même, nous avons pu obtenir une augmentation de plus 15% des recettes fiscales hors pétrole  par rapport à l’objectif annuel. Nous avons également initié un recensement des fonctionnaires qui a permis d’assainir la base des données et de faire gagner à l’Etat environ 17 milliards de FCA par an.  Enfin, nous avons mis en place un mécanisme de suivi des recettes pétrolières ainsi que leur publication qui ont éminemment  contribué à ce que le Tchad soit  éligible le 15 octobre 2014 à l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE). Donc, globalement un pas important a été franchi dans l’assainissement des finances publiques et qui se poursuit en 2015 avec des actions importantes, telles que l’informatisation des impôts, l’audit de tout le portefeuille de l’Etat et la mise en place d’une comptabilité intégrée de l’Etat.

Propos recueillis par Adama Wade pour Financial Afrik