Avec les attaques de la secte Boko Haram, dans la province du Lac, les enlèvements de personnes se sont multipliés. Si elles ne sont pas exécutées, ces personnes restent souvent portées disparues et leurs familles ne savent à quel saint se vouer. Victime, la famille Al-Moustapha refuse de faire le deuil et garde espoir.

Tristesse, résignation, espoir. Ces trois mots résument l’état d’âme de la famille Al-Moustapha, depuis l’enlèvement d’un de ses fils, d’une vingtaine d’années, par la secte Boko Haram, dans la localité de Ngouboua, province du Lac.

Abakar a été enlevé quand il s’est rendu en brousse, pour faire paître son troupeau de bœufs. Depuis ce rapt qui s’est déroulé en 2018, sa famille n’a reçu, ni de lui, ni de ses bourreaux, un signe de vie. Aucune trace non plus de son troupeau.’’ J’ai demandé aux membres de ma famille, mais rien. On ne sait pas si on l’a tué ou s’il est vivant’’, s’interroge, inquiet, un de ses cousins, Hassan.

Où est-ce qu’Abakar aurait pu être gardé, s’il est encore vivant ? Hassan a pu collecter quelques informations, mais n’est sûr de rien, craignant surtout ce qui pourrait arriver à son cousin. Les rumeurs qui lui parviennent des supplices que Boko Haram inflige à ses otages le hantent. ’’Quand on enlève les gens, certains sont exécutés, d’autres sont gardés et endoctrinés. Souvent, on dit qu’on les amène en brousse. Parfois, qu’ils sont dans la zone rouge, après Ngouboua jusqu’aux frontières du Cameroun, du Niger, du Nigeria. Il n’y a pas de certitude’’, reconnaît-il.

La femme d’Abakar garde espoir. Depuis la disparition de son époux, elle vit chez sa belle-famille. ‘’Elle est là. L’absence de son mari l’affecte énormément’’, confie un membre de la famille.

Face à cet énième enlèvement, les membres de la famille Al-Moustapha se disent impuissants. Le Comité international de la Croix-Rouge les a contactés pour avoir des données sur Abakar. Pour le reste, la famille croit à un miracle. ‘’C’est un manque grave. On ne peut rien faire. Mais, nous, en tant que croyants, nous disons que c’est la volonté de Dieu et on croit qu’il fera quelque chose pour nous’’, espère Hassan.

Depuis la première attaque de Boko Haram en février 2015, toujours à Ngouboua, jusqu’à nos jours, les populations du Lac vivent dans la terreur. Cette année, à la veille de la fête de Tabaski, 4 jeunes valides de la famille Al-Moustapha ont été enlevés.

Quelques jours plus tard, ils ont été exécutés. La vidéo de ce crime a été envoyée dans un groupe Whatsapp d’une des victimes.’’ Nous ne savons par pourquoi ils font cela. Alors qu’ils se disent musulmans’’, se demande un autre membre de la famille, choqué. ‘’ Il y a la peur. Mais, les gens n’ont pas de choix. Ils ne savent où aller et ils ont des familles à nourrir’’, confie Hassan, refusant de faire le deuil et appelant toute personne ayant des informations à les aider à retrouver son jeune frère.

Un phénomène qui prend de l’ampleur

D’après le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en Afrique, la disparition des personnes dans une famille ou une communauté, est l’une des conséquences humanitaires des conflits armés, des autres situations de violence et de migration les plus dommageables et les plus persistantes.

Ce phénomène s’est aggravé ces dernières années et touche plusieurs pays dont le Nigeria qui compte aujourd’hui, selon le CICR, le plus grand nombre de cas de disparition (24.000). Suivis de la Somalie (8 500) et du Mozambique (5 700).

Depuis 2015, au Tchad, avec les premières attaques de Boko Haram, le CICR a enregistré des demandes pour plus de 1 500 personnes recherchées par leurs proches.

En 2021, le CICR et les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont enregistré plus de 16 000 nouveaux cas de disparition en Afrique, portant le nombre total de personnes disparues à 64 000. Pendant la même année, plus de 4 200 personnes disparues ont été localisées.

Pour le CICR, ces chiffres ne représentent qu’une infime part d’une vaste tragédie humanitaire dont on en parle peu. ‘’Derrière chaque personne disparue, il y a une famille qui cherche un être cher et qu’aborder et résoudre la question des personnes disparues contribue au processus de paix et de réconciliation. Car, le temps ne guérit pas les blessures des familles de personnes disparues, seules les réponses le font”, estime la représentation du Comité international de la Croix-Rouge au Tchad.

NB: Cet article est rédigé pour le concours du CICR. Pour des raisons de sécurité, nous avons utilisé des noms d’emprunt.