« Il sera difficile de mettre en œuvre ces mesures mais si le gouvernement arrive à investir l’essentiel des ressources vers les actions qui touchent aux conditions de vie de la population, je crois que c’est le plus important ». Kébir Mahamat Abdoulaye, économiste et directeur de la Communication et des Statistiques à l’Autorité de Régulation des Marchés Publics, se livre à Tchadinfos sur la faisabilité des mesures prises par le Président de la République.

Le président de la République a annoncé une série de mesures pour répondre à la pandémie du coronavirus. D’un point de vue budgétaire, pensez-vous que ces mesures sont réalisables ?

C’est la grande question du moment. C’est un plan ambitieux et je pense que dans l’ensemble ces mesures sont réalisables même s’il faut considérer qu’en ces temps, les ressources du Tchad sont limitées. Le président lui-même a chiffré ces mesures à plus de 943 milliards de FCFA. A l’état actuel, c’est plus de 75% du budget de l’Etat tchadien pour l’exercice 2020. C’est dire qu’il sera difficile de mettre en œuvre ces mesures mais si le gouvernement arrive à investir l’essentiel des ressources vers les actions qui touchent aux conditions de vie de la population, je crois que c’est le plus important.

D’un coté, des allègements fiscaux, de l’autre des recrutements et dépenses multiformes qui créent des charges à l’Etat. Ne pensez-vous pas que cela puisse causer un déséquilibre et agir sur la mise en œuvre des mesures ?

Entre les recettes et les consommations à tout point, le budget de l’Etat est déjà déséquilibré. Mais le plan de riposte du président de la République va encore aggraver l’écart. Cette pandémie a un impact considérable sur l’économie, sur les finances publiques, sur le secteur privé et sur les ménages. Les mesures annoncées induisent des dépenses importantes pour l’Etat mais il n’ y a aucune source d’entrée d’argent qui y soit précisée. Ce qui logiquement va impacter la mise en œuvre de ces mesures. Mais il y a quelque chose d’important à voir dans ces conditions. Ce sont les sources de financement. L’Etat ne dispose que de 200 milliards sur les 943 milliards annoncés. Il faudra donc réfléchir pour mobiliser les 700 milliards de francs CFA restant.  Il faut continuer la mobilisation financière sur le plan intérieur avec les dons et les aides d’entreprises et les personnes de bonne volonté, ce qui se fait déjà depuis quelques jours. Mais il faut aussi explorer des pistes à l’extérieur auprès de la BEAC, des partenaires bilatéraux et multilatéraux et demander des moratoires sur  le paiement des dettes extérieures comme récemment décidé par les pays membres du G20.

Les puissances occidentales ou orientales font elles aussi face à la pandémie. Pensez-vous que leur financement est encore possible ?

Déjà, le FMI a accordé un montant de 115 millions de dollars au Tchad et la Banque mondiale a aussi annoncé une enveloppe pour aider le Tchad. D’autres puissances vont certainement suivre. La France par exemple a annoncé une enveloppe conséquente pour aider certains pays africains et je pense que le Tchad pourra également en bénéficier. Donc le financement extérieur ne peut pas tarir à cause de cette pandémie. Au delà de tout, ce ne sera pas assez pour couvrir le gap donc j’insiste sur le fait qu’il faudra voir en interne auprès des entreprises et personnes de bonne volonté pour combler cette différence.

Connaissant les difficultés qu’a le Tchad actuellement, peut-on penser que la faisabilité de ces mesures ne dépendra exclusivement que de l’apport des partenaires  extérieurs ?

Si les 200 milliards annoncés par le président sont réels, ceci ne représente qu’environ 20% du coup global. Donc les 80% dépendront des ressources extérieures. A la fois des bailleurs de fonds et donateurs internationaux ainsi que les nationaux. La faisabilité de ce plan d’urgence dépend à mon avis de deux choses : une bonne mobilisation et bonne gestion financière et surtout un bon plan d’action. Il faut arriver à réaliser des actions qui touchent directement la vie des citoyens et la vie des entreprises, y compris les petits commerces. Ce sera le plus important pour préserver le social et maintenir l’économie.

La crise sanitaire aggrave la crise économique qui sévit depuis quelques années. A quoi le Tchad doit s’attendre dans les mois à venir si la situation ne change pas ?

Si le Tchad n’arrive pas à bien répondre face à cette pandémie avec toutes les conséquences que nous connaissons maintenant, il faudra s’attendre au pire. La crise économique va s’accentuer. Actuellement le Tchad fait face à trois crises : sécuritaire, sanitaire et celle économique qui frappe depuis plus de cinq ans aujourd’hui. Les mesures du président sont tombées au moment opportun donc il faut soigner la gouvernance de ces actions pour espérer d’abord contenir la pandémie, ensuite un retour à la normale en termes de croissance économique.