Parmi les événements qui ont marqué et continuent de hanter, du moins une partie des Tchadiens de la génération 1960-1970, est certainement le 12 février 1979 où éclata la guerre civile. La capitale Fort Lamy, devint N’Djaména en 1973, repos en arabe, ne sera pas du tout repos. Récit.

Avant d’en arriver à cette date fatidique, il faut rappeler qu’au cours de la décennie 1970-1980, des rébellions ont écumé l’espace politico-militaire tchadien. Dans la foulée, le régime militaire dirigé par le général Félix Malloum décide de négocier avec une aile de la rébellion dirigée par Hissein Habré. Les négociations conduisent aux accords de Khartoum au Soudan signés le 17 septembre 1977.

Par ces accords, celui qui sera le futur président du Tchad, Hissein Habré (1982-1990) devrait rentrer à N’Djaména et partager le pouvoir avec Félix Malloum. Un exécutif à deux têtes, car Habré sera Premier ministre avec plein pouvoir et Malloum président de la République avec aussi plein pouvoir. Le germe d’une guerre au sommet de l’État était déjà porté par les accords de Khartoum.

Le président tchadien Felix Malloum dans son bureau à N’Djamena le 24 février 1979, Tchad. (Photo by Daniel SIMON/Gamma-Rapho via Getty Images)

Le général Félix Malloum n’avait-il pas vu venir cette situation ? Les observateurs et les acteurs de la scène politique savaient qu’il se posera un problème de cohabitation, mais l’essentiel est de faire la paix et ramener une aile de la rébellion au « bercail ». Et Hissein Habré était le candidat idéal.

Ainsi, pour son retour, le chef des FAN (Forces armées du nord), Hissein Habré a obtenu, par le biais des accords de Khartoum « la dissolution du Conseil supérieur militaire (CSM) et toutes les institutions politiques dérivées, le Commandement des FAN en tant qu’organe politique, la création d’un comité de défense composé de seize membres, l’adoption d’une Charte fondamentale, les combattants FAN devraient intégrer l’armée régulière appelée à l’époque Forces Armées Tchadiennes (FAT) », entre autres des points contenus dans l’accord.

Hissein Habré arrive à N’Djaména en avril 1978. Il devient le Premier ministre du gouvernement d’union formé le 29 août 1978. Des combattants des Forces armées du nord arrivent dans la capitale. Ils sont environ 500 éléments stationnés dans la capitale sans que le processus d’intégration dans les FAT ne se concrétise.

Portrait de Hissen Habre, chef des rebelles toubous en février 1979 à N’Djaména, Tchad. (Photo by Daniel SIMON/Gamma-Rapho via Getty Images)

Les têtes de l’exécutif exercent leur pouvoir chacun. Hissein Habré comme Félix Malloum dispose, chacun des pouvoirs, chacun avec une armée en main, les FAN et les FAT. Selon certains observateurs de l’époque, les deux camps sont sur leur garde. Les proches du président Félix Malloum craignent que son Premier ministre Hissein Habré prépare un affrontement dans la capitale. La France qui a une présence armée au Tchad disait qu’en cas d’affrontement, « elle soutiendra la légitimité ». Un général proche du président Malloum se demande « qui est légitime ». La France entretient le flou, estiment les soutiens de Malloum dont certains diront plus tard que les français ont choisi Habré.

Le lycée Félix Éboué, point de départ de la contestation

L’antagonisme entre le chef de l’État et son premier ministre finira par un affrontement et embrasera la capitale. La déchirure du pays est née. En effet, les FAN ont lancé un mot d’ordre de grève générale pour protester contre « la mauvaise volonté du Conseil supérieur militaire dans l’application de la Charte fondamentale ».

Au matin du 12 février 1979, une altercation entre élèves du lycée Félix Éboué dégénère. Parmi les élèves, il y a ceux grévistes qui soutiennent le mot d’ordre lancé par les Forces armées du nord et d’autres, non-grévistes. Les responsables du lycée Félix Éboué font appel à la police pour mettre de l’ordre. Une fois sur place, des tirs de sommation ont été lancés. Étant donné que la résidence du Premier ministre Hissein Habré n’est pas loin du lycée, des combattants FAN arrivent sur place. Des gendarmes en faction devant la RNT aussi arrivent. C’est le flou qui s’installe. Trois forces en présence. Des tirs d’arme retentissent. La première bataille de N’Djaména est partie.

Camp des Martyrs ou Camp Koufra détruits dans la ville de N’Djamena, Tchad en 1984 (Photo par Christian Strübin / RDB / ullstein bild via Getty Images)

Ce qui est parti d’une simple altercation entre élèves deviendra désormais une guerre entre deux armées, puis entre deux groupes des Tchadiens. La capitale est divisée en deux. Chacun choisit son camp. Les soldats de l’armée régulière sont embarqués dans cette situation inédite en choisissant aussi « le camp des proches ».

Plusieurs factions de la rébellion tchadienne profitent de la situation pour arriver à N’Djaména. La situation se dégrade. L’armée n’est plus nationale. C’est la désagrégation des institutions de la République. Les Tchadiens iront d’accord en accord, de gouvernement d’union en gouvernement d’union. Le président Félix Malloum démissionne et reste en exil au Nigéria. Kamougué, quant à lui se retire au sud du pays pour fonder le comité permanent. Les tendances rebelles occupent N’Djaména. La deuxième bataille de N’Djaména appelée guerre de neuf mois éclate le 20 mars 1980. Hissein Habré finit par être chassé avec ses FAN, puis reviendra en force le 7 juin 1982 pour prendre le pouvoir.

Civils et militaires à N’Djamena au Tchad lors du coup d’État d’Hissène Habré, Tchad, 4 juin 1982. (Photo Philippe Le Tellier / Getty Images)

Parmi les conséquences de cette guerre (première et deuxième batailles), il y a des dégâts matériels et humains, la déliquescence de l’État, la destruction du tissu économique, social et la faillite des finances publiques. D’où est née l’expression, « Tchad, État néant ».