Dans la foulée de l’arrestation du ministre d’Etat, ministre secrétaire général de la présidence de la République, suite à une plainte de l’Inspection générale d’Etat (IGE), pour « complicité d’escroquerie, abus de fonction et tentative de détournement de dernier public » une psychose générale s’est emparée de tout le Tchad.

 Des anciens dossiers sont dépoussiérés et remis sur la table. Les médias se livrent à une course effrénée pour avoir la primeur sur tel ou tel dossier. Dans ce sillage, des noms des futurs candidats à la prison circulent.

Visite du bâtiment par le Chef de l’Etat

L’une des spéculations la plus persistante est celle du marché de construction du siège de l’Office National de Radiodiffusion et de la Télévision (ONRTV). Le nom de l’ancien ministre de la Communication Hassan Sylla Bakari, de ses anciens collaborateurs et de Abakar Tahir Moussa, président-directeur général du Groupe Al-Manna, l’entreprise en charge de construction de ce bâtiment sont cités par des journaux de la place et de plusieurs médias en ligne. Tchadinfos.com a enquêté sur cette affaire portant sur la construction de la plus grande tour de N’Djaména, que certains confrères appellent ironiquement « la tour de Babel ».   

La genèse

L’histoire de la construction du siège de l’ONRTV remonte en avril 2011. A la veille du lancement de la campagne présidentielle de 2011, le chef de l’Etat Idriss Déby Itno a procédé à la pose de la première pierre de la construction de la tour qui devait abriter la télévision nationale et la radiodiffusion tchadienne. La cérémonie de la pose avait eu lieu le 1er avril 2011. Et c’était le dernier projet du troisième quinquennat du président de la République. A l’époque, le portefeuille de la Communication était assuré par Kalzeubé Payimi Debeu.

Le marché de la construction est attribué à une entreprise nationale, le Groupe Al-Manna. Et le marché d’étude est attribué au bureau d’étude Dar-El-Emara (société de droit émiratis). Le cabinet ASD, Architectes-Ingénieurs, assure dans ce marché le suivi de la bonne exécution de l’ouvrage. A la pose de la première pierre, l’ancien ministre de la Communication n’avait pas annoncé le coût global de la construction du siège de l’ONRTV. Après son discours, le chef de l’Etat présent à la cérémonie avait demandé de donner un chiffre. Kalzeubé Payimi Debeu reprend le micro et annonce que le coût global de l’ouvrage est de 19 milliards Fcfa.

Maquette du siège de l’ONRTV

Un projet lancé sans contrat

Un ancien cadre du ministre de la Communication confie qu’à la pose de la première pierre, aucun contrat n’avait été établi et que l’ancien ministre ne pouvait pas donner un chiffre. « C’était à la veille de la campagne, le président de la République voulait inscrire la construction du siège de l’ONRTV dans son précédent mandat. Tout est allé trop vite. Aucune étude n’avait été effectuée avant la pose de la première pierre. C’était vraiment politique, que personne de loin ne pouvait comprendre », renchérit un autre cadre du ministère de la Communication.

Entretemps, l’ancien ministre de la Communication demande à l’entrepreneur de lui établir un contrat dans l’urgence et n’excédant pas le montant annoncé de 19 milliards. Le Groupe Al-Manna s’exécute et propose un contrat de 19 678 710 000 Fcfa toute taxe comprise (TTC). Le contrat est mis dans le circuit. Et parvient à la table du président de la République qui signe le 5 avril 2011, soit quatre jours après la pose de la première pierre.

Le Groupe Al-Manna et le cabinet émirati Dar-El-Emara démarrent les études, alors que cela devait se faire en amont du démarrage des travaux. A l’issue des études, près de six mois après, l’architecture initiale du bâtiment devait être modifiée, passant de huit niveaux à onze avec des travaux connexes, et d’autres réajustements.

Réajustement du contrat, on passe de 19 milliards à 31 milliards

Après avoir réalisé ses études, le cabinet Dar-El-Emara transmet ses résultats au maître d’ouvrage qui est le ministère de la Communication. Au vu des études réalisées, comportant des modifications, le cabinet d’études avait obligé le Groupe Al-Manna, en charge de la construction de revoir l’ossature du bâtiment.  C’est ainsi que, le Groupe Al-Manna a demandé conformément aux études du partenaire de l’Etat, Dar-El-Emara de réajuster le marché. Nous sommes en février 2012, soit plus de 10 mois après la pose de la première pierre. Le bureau de contrôle, « Groupement ASD, Architectes et Ingénieurs » qui a donné son avis sur le réajustement de ce marché a expliqué que « le marché avait été conclu sur la base d’un avant-projet sommaire ». L’avis « motivé » du Conseil architecte de l’ONRTV avait soutenu qu’à la fin des études d’exécution détaillées du projet sont apparus des « items » exigibles tant pour la stabilité de la structure que pour la sécurité incendie, ou encore pour les besoins de fonctionnement des équipements qui y sont projetés.

Sur cette base, le cabinet « Groupement ASD » conclût qu’il ne soulève aucune objection de sa part.

Ainsi, en 2013, un marché-bis de 11 807 226 000 Fcfa TTC est approuvé le 20 février 2013 par le chef de l’Etat, après que le dossier ait fait le circuit, ramenant ainsi le coût global de la construction à 31 485 936 000 Fcfa TTC contre 19 678 710 000 Fcfa.

Des rumeurs font état d’avenants qui portent le marché à 70 milliards Fcfa

Une source au ministère des Finances et du Budget assure qu’en plus du réajustement du marché, aucun autre montant n’a été décaissé pour la construction du siège de l’ONRTV. Alors que des rumeurs annoncent que le coût de la construction s’élève à plus de 70 milliards Fcfa, avec plus de trois avenants. Après vérification, le Groupe Al-Manna n’a bénéficié d’aucun avenant dans la construction de ce bâtiment. Mais par abus de langage, certains appellent avenants le marché-bis, rétorque un financier au Trésor public.  

L’IGE met son nez dans l’affaire

Il est certes vrai qu’une mission de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) est sur le dossier du marché de construction du siège de l’ONRTV depuis plus de huit mois, mais jusque-là, rien d’anormal n’a été relevé d’après notre source. Les principaux protagonistes qui pour l’essentiel ne sont plus aux affaires à l’exception de la société constructrice ont été maintes fois écoutés par l’inspection. La mission de contrôle poursuit son travail qui ne tardera pas à boucler, nous fait savoir un membre de la mission.  Si arrestation, il y aura, comme le laisse entendre la rumeur, ça sera certainement après que la mission ait rendu son rapport. Mais de l’avis de notre source au sein de la mission, de ce côté il y a peu de chance que des personnes soient arrêtés. Le montant du marché certes peut donner le vertige, mais sur l’ensemble il n y a rien à reproché, si ce n’est le non respect des règles et procédures des marchés publiques.

Visite du ministre Alix Naimbaye du nouveau siège de la Radio et Télévision du Tchad

Une inauguration qui tarde à venir

Il se dit que le Chef d’Etat aurait refusé de venir inauguré le bâtiment. Un haut responsable du ministère de la Communication confie qu’aucune invitation pour l’inauguration du siège n’a été envoyée au chef de l’Etat. « Ce ne sont que des mensonges véhiculés à dessein par certains médias pour écorner l’image des personnalités politiques. Ce sont des coups politiques, il est très difficile de s’en apercevoir, pour un profane. Nous projetons l’inauguration du siège pour le 1er trimestre de l’année 2020. Depuis plus d’un an, nous sommes en train de former les agents de l’ONRTV pour la prise en main du bâtiment. Nullement, aucune autre raison », tranche ce responsable du ministère de la Communication. La réception technique du bâtiment dont le procès-verbal a été signé le 22 octobre 2019 confirme que l’on progresse vers une réception provisoire de la tour de l’ONRTV, qui sera entérinée par une inauguration.