TRANSPORT – La partie tchadienne de la route transsaharienne devant relier le pays à son voisin du Niger traine encore le pas, pendant que certains pays membres sont déjà à 100% de leurs réalisations notamment la Tunisie et le Nigeria.

Bien que tous les projets soient lancés et la plupart des marchés déjà attribués à des entreprises internationales, sur le terrain les choses avancent à pas de caméléon. Quel est le niveau d’avancement des travaux après la tenue de la 68ème session du Comité de Liaison de la Route Transsaharienne (CLRT) en novembre 2018 à N’Djaména ? Tchadinfos.com a scruté le dossier et vous révèle le motif réel du retard après un voyage sur cet axe long de 568 kilomètres.

La transaharienne

En novembre 2018, la partie tchadienne concernée par la route transsaharienne a été réalisée à 36%, cinq ans et dix mois après la pose de la première pierre par le chef de l’État Idriss Déby Itno, le 23 janvier 2013, et trois ans après le démarrage effectif des travaux en septembre 2015 où en est-on ?

L’axe Massakory-N’Gouri, 84 kilomètres, SOROUBAT met le turbo

La fin de la date contractuelle du tronçon Massakory-N’Gouri, long de 84 kilomètres avec une voirie urbaine d’un kilomètre confié à l’entreprise tunisienne SOROUBAT (Société des Routes et Bâtiments) amorce sa phase finale. 65 kilomètres sur les 85 kilomètres sont déjà réalisés. Les voyageurs circulent déjà sur la partie enrobée. 74 kilomètres sont en phase de finition avec le sol-ciment. Le terrassement est au niveau de 83,6 kilomètres à la date du 25 décembre 2019. Un ingénieur de cette société rencontré sur le terrain assure que, la date butoir de fin janvier 2020 pourrait être respectée si le rythme actuel des travaux est maintenu.

L’axe Massakory-N’Gouri, déjà praticable

Au niveau de la direction des investissements routiers au ministère des Infrastructures et des Transports, tout en appréciant la réalisation faite jusque-là par l’entreprise SOROUBAT, certains responsables se disent un peu sceptiques quant au respect du délai contractuel. Toutefois, un responsable du département des Infrastructures confie qu’un délai contractuel (avenant) sera accordé à SOROUBAT pour achever le reste des travaux. Selon ce responsable, l’entreprise tunisienne SOROUBAT qui a une expérience avérée dans la réalisation des routes, dans le Sahara est en train de faire le travail avec des investissements en matériel conséquents.

Justement, sur le terrain notamment à la base vie de la société des routes et bâtiments à quelques kilomètres au nord de Massakory chef-lieu de la province de Hadjer Lamis, l’on se rend à l’évidence à la vue de gros engins déployés tout le long de la route. Les 65 kilomètres déjà bitumés augurent d’une bonne exécution des travaux.

L’adage qui dit : « là où la route passe suit le développement » est un fait. Les petits villages perdus au bord de cet axe reprennent vie. Des activités commerciales commencent déjà à se développer. « A chaque fois qu’un village est désenclavé, les habitants achètent de motos », ironise un gendarme en poste à Tomoussary, à une trentaine de kilomètres de Massakory. « Notre village était fantôme. Pour s’acheter du sucre, il faut parcourir une dizaine de kilomètres ou attendre le jour d’un marché hebdomadaire pour s’en procurer. Aujourd’hui, comme vous observez, nous avons sur place plus de quatre boutiques, des cabines téléphoniques et plusieurs autres petits commerces. Personne ne s’imaginait il y a quelques années à un tel développement. La route nous a sauvé !» s’exclame un habitant du village Chafaye.

Le passage de la route n’a pas seulement développé les villages, mais aussi et surtout retenu plusieurs jeunes sur place, à travers l’absorption de la main d’œuvre locale, des emplois offerts par l’entreprise SOROUBAT. « Le transfert des compétences est l’une des priorités de notre société. A cet effet en plus d’employer des ingénieurs locaux, nous avons aussi recrutés des jeunes sur place pour les former puis les embaucher », souffle un technicien sur le terrain.

Dans tous les cas, même si l’entreprise SOROUBAT semble connaître un « léger retard dans l’exécution des travaux pour cause de retard dans le décaissement », selon des sources au ministère des Infrastructures et des Transports, la filiale tchadienne de la société tunisienne dispose du personnel et les matériels nécessaires pour livrer ce tronçon au courant 2020, si l’on s’en tient au rythme actuel des travaux.

En effet, le coût global de réalisation des travaux est d’un montant hors toutes taxes de 49 831 399 257 Fcfa et un délai de trente-six (36) mois financé conjointement par la Banque Islamique de Développement (BID) à hauteur de 95,99% et Etat Tchadien à 4,01%. Les travaux ont effectivement démarré en septembre 2015. Les prestations de contrôle et de surveillance des travaux sont assurées par le groupement de bureaux CIRA-TECHNOROUTE (groupement de bureau malien et tchadien) pour un montant hors taxe de 1 010 929 800 Fcfa et un délai de trente-huit (38) mois sur financement de la BID.

Visite du chantier en 2017

L’axe N’Gouri-Bol, 100 kilomètres, ETEP traine les pas

La réalisation des travaux du tronçon N’Gouri-Bol, d’une distance de 100 kilomètres initialement un seul marché, puis scindé en deux lots (section de 65 kilomètres et de 35 kilomètres), est confiée à l’Entreprise des Travaux et d’Etudes des Projets (ETEP) une autre entreprise tunisienne pour un montant hors taxes de 61 075 470 286 Fcfa et un délai de trente (30) mois. Le projet est financé par un consortium des partenaires notamment la BADEA (Banque arabe pour le développement économique en Afrique) (8,7%), OFID (Fonds OPEP pour le développement international) (12,9%), FKDEA (Fonds koweïtien pour le développement économique dans le monde arabe) (15,58%), FSD (Fonds saoudien de développement) (23,77%) et Etat Tchadien (39,05%). Les prestations de contrôle et de surveillance des travaux sont assurées par le groupement de bureaux CIRA-AAI (groupement de bureaux malien et tchadien) pour un montant hors taxes de 893 752 000 Fcfa.

Pour financer le second lot du projet de bitumage N’Gouri-Bol, notamment les 35 kilomètres, le Tchad et la Banque Arabe pour le Développement Economique en Afrique (BADEA) ont signé depuis le 2 avril 2018, un accord de prêt concessionnel d’un montant de 8 millions de dollars américains. Cette convention vise le financement partiel des travaux de bitumage du deuxième lot du deuxième tronçon Ngouri-Bol. Le financement, octroyé à des conditions « hautement concessionnelles », est remboursable sur 40 ans, avec un différé de dix ans et un taux d’intérêt annuel de 1%. Ces fonds serviront à la réalisation d’une route longue de 35 kilomètres entre N’Gouri-Bol.

Depuis le démarrage effectif des travaux en 2016, à la date du 25 décembre 2019, soit près de quatre ans après, le chantier n’avance presque pas. Dès la ville de N’Gouri, chef-lieu du département de Wayi, les travaux lancés avec en grande pompe sont à l’arrêt même si par endroit sur le linéaire « une timide reprise » est à noter. « Les deux entreprises (SOROUBAT et ETEP) ont démarré presque dans la même période, l’une accélère les travaux et l’autre tourne au ralenti. Nous ne comprenons rien », s’interroge un habitant de N’Gouri.

Alors que la date contractuelle de fin des travaux est fixée pour le mois de mai 2020, sur les 100 kilomètres que la société ETEP devrait bitumer, aucune partie n’est finie. L’entreprise en charge du tronçon ne s’est focalisée que sur le premier lot long de 65km pour une date butoir de fin mai 2020.  Les travaux à l’étape actuelle ne sont constitués que de terrassement, de chaussée de drainage et travaux divers, déviation etc.

Sur le terrain, aucun travail n’est en cours en terrassement. Les travaux se sont arrêtés à une cinquante de kilomètres de N’Gouri. Ces travaux semblent arrêtés depuis un bon moment si l’on s’en tient à l’état des couches supérieures (forme finie ou assise).

La couche de fondation se situe aux environs 33 kilomètres. Elle est imprégnée presque sur la totalité. Aucune activité n’est en cours. Tout de même, après une reprise timide, au village Warasso, à une vingtaine de kilomètres, des engins sont déployés pour une couche de base.

Tout le long, après un long arrêt, une bonne linéaire doit être vraisemblablement reprise, car elle est dégradée. Les ouvrages hydrauliques sont des éléments préfabriqués et posés jusqu’aux environs de 45 kilomètres. Mais pour la plupart il reste encore les têtes car il a été posé que les corps. Sur la section où la couche de base a été réalisée, il y a juste un ou deux dalots seulement qui ne sont pas fini.

Sur presque les 30 premiers kilomètres, il a été exécuté des bordures et descentes d’eau. Les fosses béton sont visibles de passage sur le tronçon. La déviation est dans un état assez inconfortable le long du tronçon.

Au ministère des Infrastructures et des Transports, en sourdine beaucoup de responsables doutent des « compétences réelles » de l’entreprise tunisienne ETEP à mener à terme ce projet. « Personnellement, je commence à avoir des doutes. ETEP peine à avancer dans la réalisation de ce tronçon. Le travail déjà réalisé sur le terrain laisse planer de doute. Je pense que le gouvernement doit revoir un peu sa position avec cette entreprise. Elle ne respecte pas seulement les termes du contrat, mais ne déploie pas les matériels et le personnel bien qualifié sur le terrain. Alors que les deux éléments sont très importants pour exécuter un tel projet », s’emporte un responsable du département en charge des Infrastructures. « Moi je crois que, le fait que le marché soit restructuré et divisé en deux lots, le retard de paiement et le manque de matériels sont entre autres les causes réelles même si le manque de respect de l’esprit du contrat par ETEP n’est pas à exclure », relativise un autre responsable.

Les inquiétudes de ces responsables sont confirmées par deux étudiants tchadiens, qui ont réalisé leur mémoire de fin d’études sur « l’historique de la transsaharienne au Tchad et analyse de l’efficacité de la mise en œuvre de deux projets (Massakory-N’Gouri-Bol) ». Ces étudiants citent entre autres, la faible mobilisation du matériel prévu dans l’offre de l’entreprise, l’installation de chantier inachevée car l’entreprise a réactualisé son planning des travaux en prévoyant douze (12) mois allant de décembre 2015 à décembre 2016 pour les installations du chantier, le non-respect du planning révisé concernant le démarrage des travaux de la chaussée, la non mobilisation du directeur des Travaux. Un agent à la direction des Investissements Routiers confie effectivement que la société ETEP ne disposerait pas les moyens humains et matériels nécessaires pour arriver à bout.

Le retard dans l’exécution des travaux de bitumage du tronçon N’Gouri-Bol risque de coûter à l’entreprise ETEP, un autre marché qui lui a été déjà attribué par la BID, pour la construction de l’axe Abéché-Abgoudoudam d’environ 100 kilomètres. Sur les trois entreprises postulants pour une enveloppe de 67 milliards Fcfa, l’ETEP a proposé de réaliser le tronçon de 100 kilomètres à 62 milliards. Alors que les entreprises SOROUBAT et ARAB-CONTRACTOR proposent respectivement une offre de 69 milliards et 72 milliards Fcfa. Après avoir attribué le marché à ETEP, d’après une source au ministère des Infrastructures, le gouvernement tchadien aurait écrit à la BID, de l’incapacité de l’entreprise ETEP à réaliser ce projet au vu de son expérience dans l’exécution du projet de tronçon N’Gouri-Bol. Le gouvernement aurait proposé alors la société SOROUBAT qui arrive deuxième dans l’offre. Malgré les explications fournies par le Gouvernement tchadien, la BID persisterait à maintenir ETEP, parce que la banque juge que l’écart entre les deux propositions est significatif (65 milliards Fcfa contre 69 milliards). 

Bol-frontière Niger, les travaux peinent à aller vite aussi

D’après des sources au ministère des Infrastructures et des Transports, l’axe Bol-Liwa d’une longueur de 85 kilomètres financé par la BID, est attribué depuis 2017 à une entreprise marocaine, qui n’a pas encore démarré les travaux.

L’axe Liwa –Rig-Rig de 53 km, sur la base du budget général de l’Etat tchadien, un appel d’offres a été lancé, l’entreprise China First Highway Engineering Co., Ltd (CFHEC), entreprise Chinoise a été déclarée attributaire provisoire. Le projet de marché ne pourra pas être mis dans le circuit à cause de non délivrance du certificat de disponibilité de crédit. Vu la situation économique que traverse le pays, le Gouvernement a sollicité un financement auprès des bailleurs de fonds pour l’aménagement de ce tronçon.

L’axe Rig-Rig – Daboua Frontiere Niger long de 93 kilomètres, suite à un appel d’offre international, l’entreprise CGCOC Group est retenue pour l’exécution des travaux pour un montant hors toutes taxes de 54 184 556 945 Fcfa et un délai contractuel de trente (30) mois. Financement est prêt FAD : 27,54 %, Don FAD : 19,43%, prêt BDEAC : 39,74% et l’Etat Tchadien : 13,29%. L’ordre de service de démarrage a été notifié le 18 avril 2016. Les travaux sont en cours d’exécution.

Dans tous les cas, le secrétaire général du comité de liaison de la route transsaharienne Ayadi Mohamed a déclaré que : « partout, les travaux sont engagés à un degré ou à un autre. Et cela donne envie de continuer et de se battre ».  Pour lui l’important, ce n’est pas le délai mais plutôt c’est le travail bien fait. Nous avons constaté que le niveau et la qualité du travail sont impressionnants.

Le Tchad a adhéré à la route transsaharienne en 1995

Le Tchad a adhéré au projet de la route transsaharienne (RTS) en 1995. La RTS est une route à vocation régionale orientée vers l’axe Nord-Sud qui doit accroître les échanges commerciaux entre les six pays membres (Algérie, Mali, Niger, Nigeria, Tchad et Tunisie). La RTS est un maillon important des corridors transsahariens, identifiés comme prioritaires par le Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA), pour atteindre les objectifs du NEPAD à l’horizon 2020.

A cet effet, le gouvernement du Tchad s’est engagé à construire avec l’appui des bailleurs des fonds partenaires au développement la section tchadienne de la RTS (axe Ndjamena-Frontière Niger) longue de 568 km environs. Au stade actuel, l’axe N’Djamena-Massakory long de 152 km est effectivement bitumé, par contre les axes Massakory-Ngouri 85 km ; Ngouri-Bol 100 km et RigRig-Frontière Niger 93 km sont en cours d’exécution, l’axe Bol-Liwa (85 km) est dans la phase de contractualisation et l’axe Liwa-RigRig (53 km) est en instance de financement.

Pour rappel, au début des années soixante les pays riverains du Sahara Algérie, Mali, Niger, Tunisie rejoints par le Nigeria en 1976 et le Tchad en 1995 ont senti la nécessité de coordonner leurs efforts pour la construction d’une infrastructure routière à même de favoriser leurs échanges et stimuler ainsi réciproquement leurs potentialités socio-économiques. La RTS, longue de 9022 Km est constituée d’un axe principal long de 4.498 km, qui part d’Alger (Algérie) à Lagos (Nigeria), en passant par Zinder (Niger) et de trois axes secondaires qui viennent s’embrancher sur cet axe principal.