Le 8 août, le président Idriss Déby Itno a accordé un entretien à notre confrère Alain Foka de Radio France Internationale (RFI). Dans cet “entretien exclusif”, les deux hommes ont abordé le nouveau titre de maréchal du chef de l’Etat tchadien, son éventuelle candidature à la présidentielle de 2021, les 60 ans du pays, le terrorisme dans le Sahel, la guerre en Libye, l’économie tributaire du pétrole, etc.

Cet entretien à la veille de la cérémonie officielle d’élévation du Maréchal du Tchad, a fait couler et continue de faire couler de la salive et de l’encre, notamment dans la presse et sur les réseaux sociaux.

Cependant, c’est sur la forme de l’exercice, sur le médium que nous voudrions nous appesantir. L’entretien exclusif du 8 août vient compléter une longue liste. En près de 30 ans au pouvoir, le président tchadien accorde chaque année des interviews, voire des dossiers complets, à des médias occidentaux. Ses “clients” réguliers sont RFI et Jeune Afrique. La seule interview qu’il a accordée à un média privé tchadien remonte à mars 2013, au journal Notre Temps. A l’époque, le chef de l’Etat ouvrait cet entretien inédit par ces mots : “Je voudrais me féliciter de ce que les journaux de la place fassent aujourd’hui des efforts pour aller chercher la vérité là où ils devaient le faire, mais pas aller ramasser dans la rue ce que vous pouvez penser. La présidence est ouverte à tous les journalistes de la presse écrite privée comme publique et la presse non écrite aussi. Il suffit d’en faire la demande. Nous n’avons aucune raison de ne pas nous ouvrir pour faire savoir ce que nous faisons à la population”.

Notre confrère qui a eu l’insigne honneur d’interviewer le chef de l’Etat, survit difficilement dans le contexte économique austère où vivotent les médias au Tchad. Mais ils sont des dizaines de médias écrits et audiovisuels à tenir. Et pourtant, leurs multiples sollicitations à rencontrer en tête-à-tête le locataire du Palais Rose, se sont révélées vaines.

Pourquoi, le président Déby accorde-t-il moins de crédits aux médias locaux ? Depuis trente ans, ce sont ces médias qui l’accompagnent dans sa gestion de la chose publique. Ce sont ces médias qui le poussent à mieux faire, même avec leurs critiques acerbes. Ce sont ces médias qui, au jour le jour, conscientisent et éduquent les populations. Il n’est pas normal qu’ils soient cantonnés à aller enregistrer ses déclarations et autres “impressions” et venir les diffuser comme des automates dans les colonnes de leurs journaux ou sur les antennes de leurs radios et télévisions. Il est inadmissible que les journalistes des médias privés soient même bannis à couvrir des événements officiels et contraints à se rabattre sur les bandes enregistrées par leurs confrères des médias publics pour rattraper l’information. Il est temps qu’on cesse de taxer, même au plus haut sommet de l’Etat, des médias privés des “médias d’opposition”. Le dénigrement systématique, tant du côté du pouvoir que des médias privés, est contreproductif.

Les médias tchadiens, plus jeunes que leurs confrères occidentaux que chouchoute notre président, font un travail remarquable dans un environnement difficile marqué par la précarité. Certes, il y a des brebis galeuses dans la profession, mais il y a également des Alain Foka tchadiens qui exercent leur journalisme avec passion, professionnalisme et probité. Refuser de se confier aux médias locaux s’apparente à du mépris. Nous espérons que le Maréchal du Tchad écoutera notre coup de gueule légitime et tiendra la promesse qu’il nous a faite il y a dix-sept ans dans les colonnes de Notre Temps. Ouvrez-nous les portes du Palais Rose, Maréchal ! Nous le méritons autant que RFI, Jeune Afrique, France 24 et consorts.

La Rédaction.