La démission du ministre de Affaires étrangères découle d’un mode de gestion politico-administratif sous la mainmise de cabinets parallèles qui se livrent une guerre larvée. Les conséquences de ces dérives au sommet de l’Etat pourraient être dommageables à la transition.

Les ingrédients d’une ambiance délétère couvaient depuis belle lurette. Pas depuis Doha en février 2022, pas depuis le retour de Chérif Mahamat Zène aux Affaires étrangères en mai 2021. Non, il faut remonter à bien plus loin pour saisir toute la complexité de ce qui se déroule dans les hautes sphères politico-administratives.

« Cette démission survenue aujourd’hui (ce lundi 19 septembre) n’est que la partie visible de ce qui se passe. Ce n’est pas nouveau. Cette situation remonte à plus de 30 ans » assure un haut fonctionnaire aguerri de la diplomatie tchadienne. Et de poursuivre « Les zélés et les intouchables qui chuchotaient aux oreilles du chef inventaient tout et n’importe quoi, modifiaient les documents soumis à sa signature. L’épisode de Chérif n’est que le résultat d’un mode de gestion qui nous ramène aux années Déby. Nous avions atteint le sommet de cette dictature des cabinets parallèles lors des années allant de 1991 à 1994, durant laquelle les proches du pouvoir s’arrogeaient des prérogatives qui n’étaient pas les leurs. » Nous sommes en 2022 et visiblement rien n’a changé.

Pas de faux semblants

L’homogénéité d’une équipe se mesure souvent aux réactions à postériori après la défection, l’empêchement, voire la démission d’un de ses membres. A la lecture des réactions publiées sur les réseaux sociaux, on sent une certaine jouissance née du départ de l’Ambassadeur ; marquant de la sorte la victoire (certainement temporaire) d’une officine sur une autre. Pourtant la tradition de bienséance républicaine, que nous avons héritée de nos amis Français, préconise par grandeur, à défaut d’une solidarité ou d’un soutien, même de façade, le silence. Mais ce pli n’existe pas dans la jungle qu’est l’administration tchadienne (politisée et/ou régionalisée à outrance).

Cette dernière ne s’embarrasse pas de ces convenances. Bien au contraire, elle ne vit que de querelles de clocher, de viles manigances et de rances intrigues. Des entourloupes (allons-y, nous ne nous gênons plus, utilisons cette terminologie propre aux films de gangsters. Les Tonton flingueurs traversent soudainement l’esprit).

Le respect des prérogatives ministérielles est la base de la bonne entente des cabinets entre-eux, les règles administratives en assurent le liant, les sceaux en attestent et les formules les embellissent. Tout est fait, dans cette politesse républicaine, pour que chacun puisse remplir sa mission dans les meilleures conditions sans empiéter sur les compétences de ses coéquipiers. Aux antipodes de ce savoir-vivre et de savoir-être, au Tchad chaque individu se sentant proche du « roi » et jouissant par ruissèlement d’une certaine impunité devient un chef de village. Prend, dans un premier temps, en otage l’administration qu’il dirige et la gère tel un pré-carré. Il s’attelle, dans un second temps, à gangrener tout ce qu’il peut gangrener chez les autres. Au point que les échecs de ses ennemis deviennent une victoire pour lui, pour son camp. Celles et ceux parmi les détenteurs d’une certaine autorité qui n’ont pas les coudées franches et les connexions nécessaires deviennent des étrangers dans leurs administrations respectives, sans autorités et sans marge de manœuvre. Ils sont à la longue tout simplement broyés. Soit, ils quittent leurs fonctions, soit ils rentrent dans le rang et élargissent le cercle d’influence de celui à qui ils devront rendre compte. Et cela en dépit du fait qu’il y ait un 1er ministre ou tout autre hiérarchie. « Un de mes anciens collègues est aujourd’hui en situation de quasi-démission car il ne peut compter sur personne dans son ambassade tant ses services ont été noyautés, corrompus. » renchérit notre haut fonctionnaire.

Morcelées et quasi privatisées par des histrions, pas étonnant que l’administration tchadienne soit aussi inefficace à servir les citoyens.

Les incidences

Chérif Mahamat Zene a dû avaler beaucoup de couleuvres pour en arriver à prendre cette décision ultime. Cette actualité fragilise la transition, amoindrie le peu de crédit que nous avons auprès de nos partenaires et déstabilise un CMT qui perd en moins d’un semestre une 2ème personnalité parmi les plus fidèles et les plus à même de représenter notre pays dans leurs rôles respectifs. Que ce soit l’Union africaine, son homologue européenne ou encore les autres pays qui sont à notre chevet, ils ont tous besoins de gages de stabilité.

Même si c’est loin d’être un séisme politique, la démission de ce lundi est une faille dont cette transition n’avait pas besoin. Car dans ses desseins pour rasséréner ceux qui lui accordent le bénéfice de la bonne intention et qui la ponctionnent de fonds pour assumer toutes les étapes de cette période transitoire (dialogue, référendum et élections) elle se doit de se présenter sous son meilleur jour. Tant que les rangs étaient serrés autour du chef, les rivalités de personnes étaient secondaires. Mais dès lors que cette chienlit transparait au grand jour (une 2ème fois), l’image que l’on donne est celle d’un organe qui ne maîtrise rien, qui est à la merci des velléités individuelles et qui peut imploser à tout moment.

Chérif Adoudou Artine