Le 17 septembre dernier, le palais de justice a été le théâtre d’une scène inimaginable, ahurissante, rocambolesque…celle qu’on ne voit que dans les westerns américains. Un colonel de l’armée a été reconnu coupable de « coups et blessures volontaires » ayant tué un jeune mécanicien au marché « Champ de fils ». Il est condamné à 5 ans de prison. Au lieu de recouvrir aux voies de recours légales, il a pris la poudre d’escampette, aidé par des proches.

Le colonel a eu trop de bol que les juges aient qualifié son forfait en coups et blessures volontaires alors que c’était un crime. Il a la chance de s’en sortir avec cinq ans de prison seulement alors qu’il devrait écoper d’au moins quinze et trente ans au plus si la seconde qualification juridique était retenue. Mais nonobstant cette faveur, l’officier s’est permis de traiter de tous les noms d’oiseaux les magistrats. Il s’est permis de piétiner la Justice, la République toute entière, en s’offrant une évasion, aidé par des proches. Mal lui a pris ! Il a été rattrapé quelques heures après.

L’indignation était totale, le forfait intolérable que les forces de sécurité ont été mises à la recherche du criminel fugitif. Qu’il soit appréhendé et conduit à la prison, ne suffit guère. Et c’est à juste titre que les avocats et les magistrats ont décidé de déposer leurs toges, du moins pendant une semaine. Mais ils ne devraient pas en rester là. Ils ne devraient pas se contenter d’une amélioration de la sécurité au palais de justice. Ils devraient faire en sorte que les individus qui ont tenté de mettre leur sécurité à mal, qui les ont nargués, humiliés en plein jour, soient sévèrement punis, conformément à la loi.

La justice a voulu se montrer clémente, très clémente à l’endroit du colonel, ce dernier l’a remerciée avec une insolence inédite. Maintenant que ce même colonel nhb doit passer devant elle pour sa rébellion du 17 septembre, elle devra se montrer intraitable, sans pitié.

Il y a huit ans, le 18 septembre 2012 précisément, Mbaïlaou Bétar Gustave, responsable de l’Union des syndicats du Tchad (UST), avait été condamné à trois mois de prison ferme. Son tort : avoir souri au moment du prononcé du verdict dans le procès sans fondement fait contre les leaders de l’UST Barka Michel et Younous Mahadjir et notre feu confrère Jean-Claude Nékim, alors directeur de publication de N’Djaména Hebdo qui avait publié dans les colonnes de son journal une brève sur la pétition de la centrale syndicale sur la mal gouvernance. Notre confrère a été condamné à un an de prison avec sursis et à une amende d’un million de francs CFA, son journal a également écopé d’une interdiction de parution pendant trois mois.

Ce sont ces peines totalement montées de toute pièces pour une infraction inexistante (« diffamation ») qui ont fait sourire Mbaïlaou Bétar Gustave. Il a été inculpé au débotter d’outrage à magistrat, condamné et envoyé à la prison. Malade, il est mort en détention le 9 décembre de la même année. Malade, il n’a pas bénéficié d’une autorisation d’évacuation sanitaire alors même que son avocat en avait fait la demande. Malade, il a été maintenu en détention jusqu’à crever alors que sa peine aurait dû être aménagée. Pauvre Mbaïlaou Bétar Gustave ! Cruelle justice !

Cette même justice qui, hier, bandait les muscles sur un syndicaliste innocent, est rentrée aujourd’hui sous les chaises et tables quand des individus ont sorti, en pleine salle d’audience, des armes de guerre pour exfiltrer à la douce un colonel pourtant coupable d’un crime. Pour avoir souri simplement, Mbaïlaou Bétar Gustave a été conduit à la mort. On attend de voir ce que le colonel va écoper, lui qui a insulté les magistrats en plein procès et s’est échappé en utilisant des armes de guerre. C’est le pire outrage à magistrat que nous avons vu dans ce pays. Sera-t-il châtié à la hauteur de sa démesure ? Qui vivra verra…

Le ministre de la Justice, Djimet Arabi, affirmait le 15 septembre devant à l’hémicycle : « Nous, au niveau du ministère de la Justice, nous n’avons pas encore rencontré des citoyens plus forts que la Justice ». Deux jours après, le plus célèbre colonel du Tchad lui a démontré le contraire. On attend de voir si le Garde des sceaux sera démenti une nouvelle fois par l’issue du second procès du colonel. Avec cette affaire rocambolesque, le Maréchal Idriss Déby Itno, président du Conseil supérieur de la magistrature, Djimet Arabi et la Justice elle-même jouent leur crédibilité. Qui vivra verra encore…

La Rédaction.