N’Djaména vit les pires inondations de ces dernières décennies. Alors que le mois d’août n’est qu’à sa troisième décade, des quartiers entiers de la capitale sont dans les eaux, des familles obligées de trouver refuge dans des écoles. La situation va s’empirer dans les prochaines semaines avec de nouvelles fortes précipitations. Et d’ici octobre ou novembre, quand les eaux du Chari vont monter et sortir de leur lit, des quartiers comme Walia et Ndigagali déjà inondés, revivront le même calvaire d’il y a dix ans. En 2010, nous avions assisté à l’inversion du cours du Chari; les eaux du fleuve avaient monté jusqu’à atteindre, par les canaux, des zones plus en hauteur.

L’on a vu la ministre de la Femme, Amina Priscille Longoh, la première venir compatir avec des populations sinistrées (essentiellement femmes, enfants et handicapées) à Walia, dans le 9ème arrondissement, puis à Abena dans le 7ème. La jeune ministre, très engagée dans l’humanitaire, est certes sortie de ses plates-bandes (car la Solidarité a été retirée et rattachée à la Santé publique), mais elle a montré la voie. Le lendemain, son collègue de la Jeunesse, Routouang Mohamed Ndonga Christian, lui a emboité les pas. Il est allé également dimanche féliciter des jeunes d’Atrone et de Ndigagali, accompagné par le délégué général du gouvernement auprès de la ville de N’Djaména, Mahamat Zene Elhadj Yaya, le maire de la capitale, Oumar Boukar, et quelques maires d’arrondissement. Mal leur a pris. Des habitants n’ont pas hésité à leur signifier vivement leur déception.

Ici et là, des jeunes se mobilisent. Avec des moyens dérisoires, ils essaient d’aménager les rues dégradées, de contenir les eaux, d’y tracer une voie, etc. Cette mobilisation citoyenne, cet instinct de survie est remarquable. Mais quand des ministres, quoique aussi jeunes, mais membres d’un gouvernement qui a failli et des maires qui ont démissionné, viennent faire le pompier après la catastrophe, c’est lamentable, risible à la limite.

Ce n’est pas en remplissant quelques sacs avec du sable qu’on arrêtera les eaux. Ce n’est pas en portant un gilet, en allant prendre une pelle et en faisant des selfies qu’on soulagera la galère des milliers de nos compatriotes. On ne combat pas les inondations avec des coups d’épée dans l’eau ou du bling-bling.

L’heure est grave. Une véritable tragédie se joue sous nos yeux. Il faut des actions concrètes, de grande envergure et durables: construire des systèmes de drainage efficaces, fournir des installations sanitaires adaptées, utiliser les stations de pompage existants, élaborer une planification solide à moyen et long terme pour gérer la montée prochaine du fleuve Chari et de son affluent, le Logone, relocaliser les populations sinistrées, etc. N’Djaména s’agrandit très vite. Et l’Etat peine à suivre cette évolution exponentielle. Les mairies, tant au niveau central que dans les arrondissements, manquent cruellement de moyens matériels pour suivre la cadence. Certaines ne possèdent même pas la moindre niveleuse.

Il est temps de donner les moyens de faire de N’Djaména la vitrine de l’Afrique centrale, du moins une ville digne de ce nom. Il faut réunir les compétences, de toutes les disciplines possibles, et réfléchir et élaborer une vraie planification urbaine à des projets pour prévenir de telles catastrophes et les gérer si elles surviennent.

Une réponse à la fois rapide et solide à ces inondations permet de soulager les souffrances des centaines de milliers de N’Djaména, mais également de prévenir la survenance et la propagation du choléra, de la fièvre typhoïde, du paludisme et d’autres maladies d’origine hydrique. La plupart de ces quartiers aujourd’hui inondés manquent de services urbains de base (eau potable et toilettes décentes) et d’infrastructures d’assainissement, de gestion des ordures ménagères et des eaux usées domestiques. Il faut prendre des dispositions pour éviter une nouvelle catastrophe sanitaire.

Avec la crise du coronavirus, un fonds de solidarité de 100 milliards de francs CFA a été créé. Mais la solidarité ne saurait être réduite à distribuer des petites quantités de céréales et d’huiles ici et là. Il faut repenser la solidarité nationale qui a montré sa limite avec la gestion des effets du Covid-19: la plupart des N’Djaménois n’ont pas vu les vivres alimentaires promis, sinon à la télévision. Le gouvernement qui a raté sa gestion sociale de la pandémie, est en train de reproduire la même erreur. Tous ces Tchadiens qui souffrent aujourd’hui en damnés de ce déluge où le gouvernement et les mairies les ont abandonnés, n’ont que leurs yeux pour pleurer et leurs mains pour implorer Dieu d’être plus clément et fermer un peu les fontaines célestes. Mais ils se rappelleront de leur galère l’année prochaine, au moment d’élire un président de la République, un député ou conseiller municipal.

La Rédaction