L’Agence nationale pour les Investissements et les Exports (ANIE) a signé le 21 mars 2022 un mémorandum d’entente avec le Rwanda Development Board (BDR). Nous avons posé pour mieux comprendre le contour de cet accord la question suivante à notre expert-intervenant et chroniqueur économique Amine Idriss. Qu’est-ce que le Tchad peut apprendre de l’exemple rwandais ?

Lundi dernier (21 mars), le directeur général de l’ANIE signait un accord de coopération avec le Rwanda Development Board. L’accord, signé entre le DG Nassour Delio et la PDG Clare Akamanze est une traduction concrète du désir des deux institutions publiques d’intensifier leur coopération, et leur collaboration sur des sujets d’intérêts communs. Au-delà de cette envie commune, ce genre d’accords montre aussi qu’une coopération Sud-Sud est possible et peut être bénéfique pour nos pays.

Le Rwanda est célébré en Afrique et ailleurs dans le monde pour ses réussites économiques. Cette réussite est bien sûr le résultat du très bon système de gouvernance mis en place par les autorités rwandaises ; mais elle doit aussi beaucoup au travail de fond qu’entreprennent les équipes de Madame Akamanze. Le RDB, à la différence de beaucoup d’agences nationales de développement en Afrique, a en effet un triple mandat : promoteur des investissements étrangers sur le sol rwandais, mais aussi porteur des projets commerciaux nationaux, l’agence rwandaise coordonne aussi l’ensemble des activités de développement dans le pays. Les très bons scores du Rwanda dans les classements internationaux des cabinets d’affaires mais aussi des agences de notations sont aussi le résultat du travail de terrain du RDB dans la normalisation du climat des affaires. Il faut aussi ajouter que le RDB fonctionne comme une agence VRP pour le Rwanda : promouvoir et vendre l’image du Rwanda comme une destination touristique, une destination où il fait bon vivre et une destination où il est facile d’investir font partie des activités de cette agence gouvernementale unique en son genre sur le Continent africain.

Les résultats du RDB parlent d’eux-mêmes : sur les trois dernières années, VAG (Wolksvagen), Renault, BioNTech, et d’autres industriels internationaux ont construit des usines dans le pays. Le Rwanda s’est aussi positionné comme une plateforme majeure dans le développement de solutions informatiques continentales dans tous les domaines du monde industriel et des affaires. Le RDB est soutenu dans ses projets par une autre institution : la Banque rwandaise de développement.

Le Tchad peut-il tirer parti de ce partenariat ?

Le Tchad a toujours été économiquement instable. L’irruption du pétrole dans l’économie tchadienne au début des années 2000 a vu le gouvernement investir massivement dans l’éducation (constructions d’écoles et d’universités), de la santé (construction de centres de santé), ou encore des infrastructures routières. Toutefois, d’un point de vue macro-économique, le pétrole n’a pas transformé l’économie tchadienne.

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Au milieu de la décennie 2000-2010, le gouvernement clamait pourtant sa volonté de faire du pays un bassin industriel régional, mais aussi un fournisseur respecté de produits agricoles. La volonté du gouvernement n’a jamais été traduite dans les faits. Il manquait trois facteurs clés : une gouvernance solide, un plan sérieux, et les compétences nécessaires. D’autre part, le Tchad des années MIDI n’avait pas mis beaucoup de sérieux dans la planification de son développement. Le PND-1 par exemple, avait été plus ou moins bâclé à cause des interférences politiques, et de la rapacité de quelques acteurs publics qui croyaient entrevoir à travers les projets porteurs une opportunité supplémentaire d’enrichissement rapides

Autour de la même période, le Rwanda s’était doté d’un solide plan de développement, bien structuré, et planifié avec soin. Celui-ci prévoyait de faire du pays une destination appréciée pour les investisseurs, spécialement en utilisant ce que les autorités rwandaises considéraient comme les avantages compétitifs de leur pays : son positionnement géographique, sa stabilité, et la qualité de sa gouvernance. En signant un accord avec le RDB, l’ANIE pourrait s’inspirer de ce que les Rwandais ont fait, et de leur manière de travailler. Les rwandais ont compris depuis bien longtemps qu’il n’y a pas de développement sans investissements privés. Mais il n’y a pas d’investissements sans bonne gouvernance, et sans transparence. D’autre part, le développement se planifie, soigneusement.

Revoir le mandat de l’ANIE et accroître ses moyens

L’ANIE pourrait s’inspirer de RDB pour revoir ses statuts, et son mandat. Elle pourrait par exemple progresser pour devenir une véritable agence de développement de l’investissement, du développement industriel et de l’entrepreneuriat. Ce triple mandat pourrait lui permettre de susciter la création et la mise en œuvre de projets structurants, comme les parcs industriels francs, ou encore les plateformes intégrées pour les investissements technologiques. Les projets de zones franches industrielles conçues autour de chaînes de valeurs thématiques sont parmi les chemins les plus efficaces pour développer un tissu industriel national. Une zone franche industrielle spécialisée dans une chaîne de valeurs mettrait à la disposition d’éventuels investisseurs une plateforme physique, une autonomie énergétique, et concentrerait des services de gestion des approvisionnements mais aussi des exportations. En règle générale, dans un investissement industriel, les plateformes physiques (génie civile, fourniture d’énergie) représentent environ 30% des capitaux à investir. Une telle plateforme réduirait ainsi les montants à investir, et les délais de construction, ce qui constituerait un encouragement supplémentaire pour tout investisseur.

Le RDB utilise précisément cette démarche. Le Sénégal, à travers son fonds souverain et son agence nationale de développement industriel, utilise aussi les mêmes procédés. L’Ethiopie ou le Ghana l’ont aussi expérimenté. En fait, tous les pays africains investissent désormais dans la construction de zones industrielles. Le Togo est l’un des tous derniers exemples. Le Tchad, malheureusement, reste encore à la traîne. Mais gageons que la signature de ces accords tchado-rwandais, et la visite du DG de l’ANIE auprès de RDB, apporteront l’inspiration nécessaire pour oser rêver…rêver un rêve qui est financièrement très abordable dans la mesure ou la construction d’une zone industrielle complètement autonome, avec ses propres infrastructures électriques, tourne seulement autour de 50 milliards de CFA, c’est à dire bien moins que l’immeuble ONAMA…mais pour réaliser ce rêve, l’ANIE doit être soutenue, son mandat élargi, et ses moyens humains et financiers renforcés.

Amine Idriss

Chroniqueur économique